mardi 2 août 2011

Il l'aimait (4)

Entre inquiétudes et espoir…

Lorsque les islamistes ont commencé à faire sentir leur influence, il eut très peur pour cette terre. Comment pouvait-on en arriver là ? Il était si fier du combat des femmes algériennes ! Il n’était pas possible que ce pays devienne une République islamiste. C’était tellement contraire à tout ce qui caractérise l’Algérie… Il est vrai que les erreurs accumulées et l’affairisme ne pouvaient que favoriser les visées des « barbus », d’autant qu’ils ont vite compris que l’on peut tenir le peuple par deux choses : le mystique et le ventre.

En octobre 1988, des milliers d'Algériens descendent dans les rues des grandes villes pour exprimer leur « ras le bol » par rapport aux conditions économiques, au chômage, et surtout pour réclamer plus de libertés. Un grand mouvement de contestation populaire s’empare du pays, met en cause le pouvoir militaire en place et le force à faire des concessions pour rétablir le calme et, surtout, se maintenir au pouvoir. À l’issue de ces manifestations, le président Chadli Ben Djedid autorise la tenue d'élections multipartites dans le pays. Des formations politiques autrefois interdites pourront désormais participer aux élections aux côtés du FLN. Une nouvelle constitution instaurant le multipartisme est adoptée en 1989. Parmi ces partis d'opposition, le Front islamique du salut (FIS), recueille un succès étonnant aux élections municipales de 1990.

Son espoir de 88 se transforme dès lors en inquiétude. Inquiétude renforcée par le fait que ses correspondances avec Mourad ne trouvent aucun écho. Ses appels téléphoniques sont sans succès. Il n’arrive pas à se faire à l’idée que l’islamisme pouvait avoir un tel succès sur le sol algérien. Fallait-il que la population soit malheureuse pour en arriver à de telles extrémités !

Le discours du FIS fait mouche chez les Algériens, révoltés par des années d'inflation, de crise du logement et d'appauvrissement. Partout, des éléments les plus durs du FIS imposent la doctrine islamiste par la force. La terreur s’installe dans le quotidien des gens. En décembre 1991, le premier tour des premières élections législatives libres donne une majorité de sièges pour le FIS au Parlement. Il est catastrophé, comme beaucoup de progressistes en France et il ne supporte pas d’être loin de ces évènements : du haut de son impuissance, il assiste au désastre !
Aujourd’hui encore, en dépit d'une certaine période d'accalmie au début des années 2000, l'Algérie est périodiquement secouée par des vagues de violence qui, chaque fois, rappellent qu’ell'e n’a pas vraiment gommé cette décennie noire. La population reste meurtrie et divisée. Elle a du mal à croire au retour de la paix et de la prospérité. La violence intégriste guette toujours. Le chômage reste endémique. La crise du logement perdure et la jeunesse est désabusée. On est d’autant moins rassurés que l’avenir a du mal à se dessiner, eu égard au faible niveau de politisation de la population. Dans ses nombreuses rencontres, en 2004 et 2005, il observera combien l’individu prend le pas sur les idées, combien la construction d’un vrai pluralisme est loin des préoccupations des gens. Pendant que l’on est tout entier tourné vers la survie et hanté par l’illusion de l’émigration, on ne peut pas imaginer un vrai changement possible !

Combien le passé pèse lourd dans cette affaire ! Qu’il sera long le chemin qui mènera l’Algérie à un épanouissement démocratique lui permettant de mettre ses richesses à la disposition du plus grand nombre ! En même temps, il lui faut bien admettre que ce sont les Algériens et rien qu’eux qui ont les clefs.

C’est pourquoi, loin de cette terre, sans bulletin de vote, il ne lui reste plus comme perspective que de tisser patiemment les liens de l’amitié entre les peuples, seuls capables d’ouvrir plus encore ce pays au Monde et permettre petit à petit l’édification d’une société nouvelle, fondée sur son peuple libre et pleinement responsable de son avenir.

En effet, on n’effacera pas les dommages de l’Histoire. Après la conquête de 1830, la colonisation, la guerre d’indépendance, le socialisme des premières années de l’indépendance, la corruption, le pouvoir de l’armée, le chômage, le gâchis de la jeunesse, la décennie noire, la « concorde civile » et ses effets pervers, on mesure le poids du passé. On ne peut s’empêcher de se sentir responsables, pour une grande part, de tous ces malheurs. Il ne s’agit surtout pas de repentance dans les mots. Il est urgent que, conscients des responsabilités de l’ancien dominateur colonial, la France, dans les actes, aide l’Algérie à sortir de la crise morale et sociale qu’elle continue de vivre. Force lui est de constater que ça n’est pas le cas aujourd’hui. De la même façon que la guerre d’Algérie a été instrumentalisée pour cause de politique intérieure, aujourd’hui la France choisit toujours la politique politicienne au détriment du rapprochement des deux peuples. Le projet de « traité d’amitié » est remis aux calendes grecques et la politique menée par Nicolas Sarkozy n’indique rien de bon en ce sens.

A suivre...

lundi 1 août 2011

Il l'aimait (3)

Une identité à retrouver…


Vingt ans s’écoulèrent, avant qu’il ne remette les pieds sur ce sol chéri. Vingt ans d’impatience mais aussi d’inquiétude parce que ses frères souffraient de la folie des Hommes, de l’aveuglement des fanatiques, des sombres desseins des politiciens. Vingt ans de chaos où l’essentiel de la vie c’est la survie. Vingt ans de doutes, de colère, d’impuissance, de courriers sans réponse, de matraquage médiatique, de brouillard, de peur, de douleur. Mais vingt ans de la conviction que le retour serait là, que cette terre renaîtrait à nouveau de ses cendres. Les barbus ne pourraient rien, face au peuple courageux, face à la raison, face à la nécessité de doter ce pays d’une démocratie. Les tangos pouvaient massacrer, tuer lâchement Mohamed Boudiaf, espoir de tous les espoirs. Rien ne pourra entraver la marche en avant de ce peuple qui avait conquis la liberté, au prix du sacrifice de tant des leurs.

Durant toutes ces années, il suivait autant qu’il le pouvait ce qui secouait l’Algérie. Il était d’autant plus inquiet qu’il avait découvert avec stupeur combien les Algériens accordaient peu d’importance, c’est bien le moins que l’on puisse dire, à leur histoire. Il est persuadé qu'aujourd'hui son pays, l'Algérie, paie très cher l'erreur qui a consisté à :
- quasiment faire « table rase du passé »

- officiellement laisser les jeunes générations dans l'ignorance de l'origine de leur liberté

- faire comme si, sous prétexte d'un puissant mouvement de libération du pays, l'essentiel était fait avec un Pays souverain, alors qu'il restait à donner à cette terre une identité politique, à installer des choix économiques, à préserver les droits de tous les citoyens, à bâtir une Algérie prospère, vivant de ses nombreuses richesses et de ses traditions.

Faut-il se lamenter des impasses qui ont été opérées ? Faut-il ensevelir les mauvais choix, les utopies ? Il ne le pense pas. La force d'un Peuple est de tirer les leçons du passé. Ça paraît banal, convenu, mais il est bon de le rappeler.

Il a pu se rendre compte combien ces questions pesaient sur l'avenir de l'Algérie. Il a multiplié les contacts, durant un mois, avec des milieux très différents. Il en ressortait toujours la même chose : les Algériens, dans leur ensemble, n'avaient plus d'Histoire soit parce qu'ils ne voulaient pas en parler pour les plus anciens, soit parce qu'ils l'ignoraient pour les plus jeunes ou, pire encore, parce qu'ils la balayaient d'un revers de la main pour toute une bande de privilégiés, gravitant autour de l'armée et des affaires, pour qui la seule Patrie était, de leurs propres aveux, l'argent, surtout celui qui résultait du trafic et qui enterrait un peu plus chaque jour l'Algérie. Cette dernière catégorie est sans doute celle qui l'a le plus inquiété. Il a aussi réalisé à son contact, combien la France avait de responsabilité dans l'état pour le moins précaire de l'Algérie
Toujours à cette époque, Il a fait des rencontres édifiantes, au grès de ses déambulations constantinoises. C'est ainsi qu'alors qu’il descendait la rue Rouhault des Fleury, celle aux arcades que l'on nomme maintenant rue Abane Ramdane, porté par une force invisible, il s’est arrêté devant l'étal bien garni de, ce qui fut un de ses rendez-vous secrets préférés, son ex marchand de beignets. La boutique était la même, au carreau de faïence blanc et bleu près ! Les Zlabias étaient toujours présentes, en bonne place et son envie était intacte. Sans doute que ses yeux brillaient, pas seulement par les larmes de bonheur, mais aussi par le souvenir sirupeux de ces friandises irrésistibles. L'odeur des beignets lui rappelait son enfance et son attirance systématique vers cette tentation à chaque sortie d 'école, lorsqu’il descendait les escaliers venant du Coudiat et qu’il reniflait ces effluves bien familières. Il lui arrivait assez souvent de s'arrêter soit parce qu'une pièce de 5 F traînait dans ses poches, soit parce qu’il s'était appliqué à chaparder cette somme dans le porte monnaie de maman en vue de cet usage ou, plus tard, de l'achat d'une cigarette « Mélia », sous les arcades, un peu plus haut, ou encore qu’il avait fait le crochet par le chantier que dirigeait mon grand-père, derrière le Sacré Cœur, aujourd’hui devenu mosquée, et qui se trouve être aujourd'hui l'Hôtel des finances, crochet quelque peu intéressé puisqu’il savait qu'en principe il récoltait quelques fonds au passage et même que les jours de paie, le grand patron, monsieur Alessandra, en rajoutait, histoire qu’il ne soit pas en reste puisque chacun touchait sagement son enveloppe dans l'ordre d'une file d'attente impeccable et joyeuse, le taquinant au passage.
Alors, donc que ce jeune garçon préparait sa commande, porté par l'ambiance et les souvenirs, il lui parlait de cette époque où c’était la guerre et où il fréquentait ce lieu. Ses yeux s'ouvraient de plus en plus grands, au fur et à mesure de ses divagations. Il comprit assez vite que tout cela était surréaliste pour lui et que son discours devait lui paraître aussi hermétique que la théorie de la relativité d'Einstein ! Il ne résistait pas à l'envie de lui resituer tout ça, mais à l'évidence en vain car manifestement c'était à des kilomètres de son univers. Toujours est-il qu'il parut soulagé de son départ de sa boutique…

Ce sont des rencontres comme celles-ci qui, peu à peu, l'ont conforté dans l'idée qu’i ne pouvait pas rester spectateur de ce qui se passait dans SA ville, dans SON Pays et les évènements ultérieurs n'ont fait que lui confirmer ce sentiment.

C'est sans doute de ces méandres qu'est née l'idée de faire quelque chose à son niveau pour SON Pays. C'est de là qu'est venue l'envie irrépressible de revenir à Constantine pour aller à la quête de sa véritable identité.

A suivre...

dimanche 31 juillet 2011

Il l'aimait (2)

Le choc…


Cette nuit-là, il fut tout entier là-bas, comme si jamais il n’en était parti. Ses rêves l’emplissaient et il se réveilla bien déterminé à ne pas en rester là. Dès lors, il eut les tripes nouées, ses pensées accaparées par là-bas. Il écrivit à son ami Mourad pour lui dire son obsession, sa volonté de retourner au bled.

Il se trouva que dans sa classe - il était instituteur -, il y avait Nora, la fille d’un Algérois. Comme par hasard, les enfants travaillaient sur l’Algérie et c’est tout naturellement qu’il suggéra à son élève de mettre le papa à contribution. C’est ainsi qu’ils firent connaissance et qu’une amitié, petit à petit, se dessina. Les occasions pour parler du pays ne manquèrent pas. C’est tout naturellement qu’un jour, Ahmed, lui proposa de l’emmener avec toute sa famille. C’était l’occasion à ne pas rater. Il ne voulait pas y retourner comme un simple touriste et de plus, il n’osait pas y aller seul. Là, il se trouvait qu’Ahmed qui avait son âge, avait vécu les mêmes évènements que lui, de l’autre côté de la barrière, dans une autre ville. Faire ce voyage avec lui était chargé de sens. Après bien des discussions avec son épouse, ce fut décidé, les vacances d’été de l’année 1984 se passeront en Algérie. Dès lors, il ne se passa pas un jour sans qu’il fasse quelque chose en vue de ce voyage.

Son arrivée au port d’Alger ne lui laissera pas une marque indélébile. Il n’est pas encore dans SA ville, il a simplement conscience qu’il vient de poser les pieds sur sa terre natale et qu’il lui reste un long chemin à parcourir. Tout au long du séjour, même sur le Rocher, il aura cette sensation qui devint douloureuse. Certes il a été très bien reçu, avec chaleur et compréhension. On s’est mis en quatre pour qu’il réalise ses rêves. Mais il lui manquait cette intimité avec sa terre, cette communion qui ne se partage pas. Il avait déjà hâte d’y revenir tout seul, sans le regard de l’autre, dans une sorte de huis clos intime qui le délivrerait du passé.

Malgré tout, le passage de la pancarte « Constantine » restera un moment très fort, bouleversant et magique. Brusquement, tout bascule, plus rien autour de lui ne peut avoir de prise, même pas son épouse qui lui dit de demander sa route à un agent de police, ne s’apercevant pas que les yeux de son mari étaient noyés, baignés de larmes qui ne laissaient pas de place au quotidien. Il était enfin chez lui, comme s’il n’avait jamais quitté la belle Cirta. Il prit les petites rues de cette cité, sans douter un seul instant qu’elles le mèneraient directement dans SA rue.

Enfin arrivé, il se trouva face à Mourad, dans la petite rue de son enfance. Face à cet enfant, devenu adulte qui le reconnaissait sans coup férir, malgré les 22 années écoulées. « Toi, t’es Jean-Michel, khouya ! » Il tombe dans ses bras et tout s’enchaîne, comme dans un rêve. il se retrouve assis dans le salon à siroter un kawa et à déguster les pâtisseries de Nora, la maîtresse de maison. Mais Mourad voit bien que son regard est dirigé de l’autre côté de la rue, vers la maison qui fait face : celle de son enfance. Il le rassure, l’emmène vers cette terrasse où tant de choses se sont passées. Il est devant SA maison, face au cousin qui l’habite. Soudain, il rentre chez LUI. On lui dit qu’il est chez lui et que rien n’a beaucoup changé. Les tuyaux en plomb sont toujours là, les carreaux de la terrasse sont aussi bouillants qu’autrefois, les murs sont repeints, mais ont gardé leur couleur. Il y a juste une pièce de plus pour accueillir une famille plus nombreuse. On lui fait fête et il en oublie sa famille qui est là, les yeux grands ouverts, qui réalise combien c’est important pour lui. Les embrassades n’en finissent pas de le combler de bonheur et dès lors, il a le sentiment d’être rentré au pays. Il est enfin apaisé, bien qu’il lui reste une foule de sensations, de lieux à retrouver.
- Khouya, vas chercher tes bagages et installe-toi ici !

- C’est pas possible, mon frère, j’ai réservé à l’hôtel Cirta. Je ne peux pas ne pas me présenter, ce serait impoli…

- Pas question que tu dormes ailleurs. C’est un honneur et une grande joie de te recevoir chez moi !

- Et, ya khouya, comprends-moi, je suis l’invité de notre ville, je ne peux pas me comporter ainsi. Je vais voir avec eux, si on peut annuler les autres jours, mais ce soir, il faut qu’on dorme là-bas.

- Dans ce cas, tu laisses tes filles dormir ici et tu reviens dès demain matin. Je vais t’emmener en ville, tu vas retrouver tes souvenirs.

C’est sur ce deale que l’affaire fut conclue. Il alla s’accouder à la balustrade en brique de la terrasse et, machinalement, posa son regard sur cet homme qui balayait la rue, après la journée de travail de l’usine à vinaigre, comme on l’appelle aujourd’hui. « Javel » était écrit sur ce mur gris avec, dessous l’inscription en lettres arabes. Et ses yeux, tels celui de la caméra opèrent un travelling à 360 degrés, avec une série de zoom qui le transportent dans un autre espace temps. Il arrête soudain le va et vient de la caméra sur le garage de l’usine ; tout au fond il distingue un vieux Berlier couvert de tôle ondulée, la marque de l’époque, rafistolé de fil de fer : c’est celui qui y était déjà quand il vivait là. Son regard se porte alors, à nouveau, sur le vieil homme au balai et il reste bouche bée, tellement la scène qu’il vit lui semble celle d’hier, lorsqu’il était à cette balustrade, en face et qu’il observait les ouvriers s’affairer, en fin de journée. Il y est, là, tout de suite, sans transition ! C’est le même homme avec le même balai qui travaille de la même façon et fait les mêmes gestes qu’il y a 22 ans ! Il appelle Mourad et lui demande de lui confirmer la scène. L’émotion l’étreint encore et il est à nouveau petit garçon, dans cette Algérie tourmentée par une guerre qui mettra longtemps à dire son nom. Il lui faut de longues minutes pour se remettre de ce choc pas si anodin que cela. Il décide alors que plus rien ne l’empêchera de revenir et qu’il lui était vital de régler les comptes avec le passé, de retrouver l’Algérie d’aujourd’hui pour pouvoir appréhender celle de demain. Le repas fut magique, traditionnel et accueillant, riche en sensations.
Puis, le temps fila tel une météorite : sa maison natale, le cimetière, la visite des ponts, fierté de Constantine, le Rocher mythique, la rue Rol’, le Coudiat Aty, son école, son cours complémentaire à 100 m de chez lui, les esses, etc… Il a entrevu tout ces lieux, il a eu à peine le temps de les faire admirer par ses enfants et sa compagne qu’il faut songer à partir, à se séparer de la magie de cette cité pas comme les autres, à laisser ses amis. La déchirure est douloureuse, mais l’espoir est grand. Certes il a le tarab, mais il sait qu’il reviendra. Mektoub, comme on dit ici, Mektoub !

A suivre...

samedi 30 juillet 2011

Nouvelle : Il l'aimait

Avant-propos
Pour me faire pardonner de mon long silence, voici une nouvelle diffusée en plusieurs épisodes que je vous offre.

Elle a été écrite le 25 août 2008. Elle est inspirée de mon histoire.

Bonne lecture et n'hésitez pas à me laisser vos commentaires.

Il l’aimait…
Quand les racines peuvent se nourrir…

C’était une de ces soirées d’hive
r où la mélancolie vous prend sans prévenir. Il regardait la télévision pour essayer de rompre la monotonie et occuper son esprit.

C’est alors qu’il s’arrêta sur une image qui le paralysa. En fond sonore une voix au fort accent de « là-bas » retenait son attention et une musique inhabituelle le fit s’échapper. Soudain, il était loin, très loin de chez lui, au milieu des oliviers, la chaleur écrasante qui ralentit tout, fait se suspendre le temps.

Brusquement la voix se dessina et un visage familier apparu. C’était un humoriste bien connu de tous ceux de là-bas, en particulier, qui parlait de sa ville natale, de ce pays laissé à jamais, un certain été de 1962, alors que sa jeunesse lui interdisait de prendre la moindre décision. On avait choisi pour lui. Il n’avait rien à dire. Il prenait sans le savoir vraiment un virage déterminant pour sa future existence.

«… Je n’ai pas pu m’empêcher de me retourner pour vérifier que tout allait bien. C’est que dans ce coin, c’est plein d’arabes ! ». Il sursauta et dans le rire un peu forcé de l’humoriste, il réalisa qu’il venait de dire ce que lui n’osait pas exprimer : cette peur rentrée, inavouable, presque honteuse, née de la guerre, longtemps appelée « évènements ». Le comique, comme pour se défendre, venait de faire un mot pour dissimuler ces restes de la terrible période où tout le monde vivait dans la violence des affrontements pour garder une terre qui était la sienne sans lui appartenir. La scène se passait à Annaba, Bône, à l’époque coloniale. Ça n’était pas bien loin de sa ville à lui, l’imprenable, la fière perchée sur ce rocher qui faisait sa réputation. La ville des ponts qui l’avait vu grandir et partir soudainement pour s’exiler dans un pays dont il avait la nationalité, qu’il avait déjà vu, en vacances dans la famille de sa mère, mais qui lui semblait si loin. Soudain Constantine s’imposait à lui comme une amante délaissée sans raison qui se languissait de lui. Les petites rues écrasées par le soleil le conduisaient tout droit vers sa maison natale au bord du précipice, de l’abîme qui rend cette ville si grandiose.
Elle le saisit par les épaules et tendrement l’embrassa avec toute sa compassion et sa surprise. Elle ne comprenait pas pourquoi il pleurait. Pourquoi il sanglotait si irrésistiblement, la poitrine secouée par des vagues plus fortes que tout. Peu à peu, alors que le reportage touchait à sa fin, il reprit pied dans la réalité et se retrouva désemparé, presque hagard sur ce fauteuil à se demander pourquoi depuis tout ce temps il n’avait pas ressenti cet appel du plus profond de lui, des origines de sa vie. Il avait « mis » sa vie de là-bas entre parenthèses, sans le vouloir, sans s’en apercevoir, comme si rien ne s’était passé. Après tout, il n’avait été arraché à ce pays qu’à l’âge de 14 ans.

Il en avait 33 et ne s’était pas méfié, emporté par le tourbillon de la vie. Accaparé par les soucis du quotidien, ceux qui mettent tout à l’arrière plan, qui relègue les souvenirs au placard de l’oubli, de l’indifférence, des affaires classées. Mais la vie n’a cure de ces affaires dites « classées ». Elle se charge de faire en sorte qu’un jour le passé rattrape chacun d’entre nous. C’était son tour, ça ne le lâchera plus. Il n’aura, dès lors, de cesse que de retourner au pays, à la recherche d’une identité perdue, à la découverte d’une vérité qu’il n’approchait toujours pas malgré ses lectures. Comment avait-il pu, toutes ces années, se laisser noyer par le tourbillon de la vie, au point qu’il ne sente plus vibrer en lui ce « je ne sais quoi » qui est plus fort que tout, qui détermine un individu, qui le fait avancer et se distinguer des autres : ses racines. C’était un peu comme si l’arbre s’était desséché, faute d’avoir été irrigué depuis longtemps, longtemps…

Peu à peu, il ravala ses sanglots et revint dans cette demeure bien française, si loin de la terrasse de son enfance où pourtant, le temps était si long les jours de congé, alors qu’il cherchait à s’occuper, faute de pouvoir rejoindre ses copains qui eux étaient dans la rue à pousser ces carrioles faites de trois planches et de quatre roulements à billes, récupérés chez le mécanicien du coin, de façon à dévaler la pente naturelle des rues, au risque de se renverser et de récolter quelques belles décorations couvertes de mercurochrome aux genoux qui marquaient ceux qui étaient les plus téméraires, les casse-cou qui entraînaient les autres plus timorés. Il n’avait pas le droit non plus d’aller traîner avec ses amis « indigènes », de parler leur langue. Il ne connaissait que quelques expressions entendues à l’école ou prononcées par son père. Il ne connaissait que ces courts instants volés, sur le trajet du retour de l’école, où, à la saison, il jouait aux noyaux, aux billes ou aux capsules avec les copains et où on se battait pour conquérir plus au moins honnêtement ce trésor dérisoire que représentaient les agates, les bouchons de limonade ou ces noyaux d’abricots qui se négociaient avec passion, non sans affrontements, tricheries en tous genres.

A suivre...

samedi 12 mars 2011

Nouveau blog de Nassira Belloula

Nassira Belloula qui réside à présent au Québec vient d'ouvrir Le nouveau blog de Nassira où elle nous propose un carnet de voyage et des très brèves nouvelles.

Voici son texte de présentation :
" Chacun de nous a besoin d'un espace où DANSER, c'est le titre du roman-feuilleton que je mets en ligne sur ce blog. C'est Samia la narratrice qui raconte son aventure canadienne. Le deuxième volet, est une chronique journalière pas journalistique, plutôt littéraire, une courte nouvelle sur la vie quotidienne à Montréal, du vu, du su, du vécu, du ressenti, du apprécié, du vomi, du haï, du aimé...etc. A suivre également dans la page Corps anonymes. "


Longue vie à ce blog et ne manquez pas de lefréquenter assidûment.

Vous trouverez sur mon blog (outil de recherche) mes impressions sur quelques-uns des livres de Nassira.

samedi 20 novembre 2010

Souad Massi : Ô Houria

Le quatrième album de Souad Massi, Ô Houria, vient de sortir Le son est absolument excellent et la "couleur" du disque est magnifique.
Ce CD marque une belle étape dans la carrière de Souad et je le trouve très personnel.

Il y a beaucoup d'instruments nouveaux dans sa musique et c'est très réussi. Il y a également plus de textes en français que d'habitude et c'est sans doute en relation avec le fait que d'autres auteurs ont écrit pour elle (Francis Cabrel et Michel Françoise)

Voici les 5 chansons que je préfère :

- Samira Meskina

- Ô Houria (Souad a baissé sa voix et Lavillieres a raison ça lui va très bien )

-Tout reste à faire (super tempo et beau duo avec Cabrel)

- Une lettre à Si h'Med (influence country Folk)

- Enta Ouzahrek (influence Zydeco)

J'ai hâte de les entendre sur scène dès que la tournée passera pas loin de ma région.

mercredi 13 octobre 2010

Mabrouk Amira !

Bienvenue à toi Amira qui est née le 10 septembre 2010, alors que j'étais en Algérie.
Ta maman est Souad Massi et ton papa s'appelle Abdel. Ils ont très heureux de ta venue ainsi qu'Inji, ta grande sœur.
Je te souhaite beaucoup de bonheur et surtout écoute bien attentivement les belles chansons de Maman.
À bientôt sur la tournée de Souad.
Boussas

mardi 12 octobre 2010

Xavier Beauvois : Des hommes et des dieux

Une humanité extraordinaire

Ce film retrace l'histoire de ces moines trappistes de Tibhirine, en Algérie, qui furent sauvagement assassinés en 1996 par le GIA ou par des militaires corrompus. Ce fim n'est pas un film sur la foi, mais il donne la part belle à la dimension humaine.

On pourrait craindre de s'y ennuyer de par la vie très réglée de ces hommes entièrement dévoués à leur foi. Ça n'est pas du tout le cas. Le quotidien de ces moines auquel on assiste s'avère passionnant car il permet de ramener les choses à l'essentiel. Ces petits actes de tous les jours rythment donc le film : les rituels religieux, les semailles, l'entretien du potager, les séances de bois.
Les moines vivent en harmonie avec la population algérienne du village. Ils partagent leur peur et les soucis du quotidien. Frère Luc (Michael Lonsdale absolument génial) est médecin et soigne les gens du village. C'est lui qui maintient le lien très fort avec ces Algériens persécutés par la terreur que font régner les islamistes.

C'est dans ce décor que les moines vont douter pour finalement décider de rester quoi qu'il arrive. Xavier Beauvois dresse le portrait d'hommes avec leurs faiblesses, mais aussi leur courage déterminé. C'est sans doute l'un des traits essentiels de cette œuvre cinématographique.

Si Michel Lonsdale porte le film, frère Christian incarné par Wilson Lambert est remarquablement interprété. D'ailleurs, l'ensemble des acteurs a la part belle et joue juste, sans en rajouter.

Xavier Beauvois signe quelques scènes inoubliables comme le moment où tous les moines réunis autour de la table décident de rester, après avoir exprimé cahcun leur avis. Ou bien ce moment extraordinaire où alors que les pales d'un hélicoptère produisent un bruit angoissant, les moines entonnent un chant choral. Ou bien encore ce repas au son sub lime du Lac des cygnes de Tchaitkovski.

Personnellement, j'ai regretté que le montage se contente d'une juxtaposition de scènes dont beaucoup consistaient en plans fixes. Ces derniers n'étaient justifiés que lorsqu'ils soulignaient le caractère religieux des moments de recueillement.
Ce film est remarquable et maîtrisé. C'est un beau moment d'humanité.







Bande annonce

lundi 11 octobre 2010

Rachid Bouchareb : Hors la loi

Un film juste

Après Indigènes, Rachid Bouchareb continue sa plongée dans l'histoire. Cette fois c'est de l'Algérie qu'il s'agit. Cette histoire commence dans les années 1920 avec l'expulsion d'une famille de fellahs au profit d'un colon. Le 8 mai 1945, suite au massacre de Sétif, Messaoud (Roshdy Zem), Abdelkader (Sami Bouajila) et Saïd (Jamel Debbouze) perdent une partie de leur famille. Abdelkader emprisonné pour ses opinions verra sa formation politique en prison qui fera de lui un leader du FLN en France. Messaoud, après avoir combattu en Indochine rejoindra la France et s'engagera au côté de son frère. Quant à Saïd, le bad boy de la famille, Il dirigera un cabaret à Pigalle et une salle de boxe.

À travers ces trois héros, le film raconte la lutte pour l'indépendance depuis la France et met en avant l'histoire du FLN sur le sol de la métropole avec ses ombres et ses cruautés. Il aborde la rivalité entre les différents partis de la révolution algérienne, notamment l'opposition fratricide entre le FLN (Front de Libération Ntionale) et le MNA (Mouvement National Algérien).

Tout au long de cette fresque historique sans concession, le spectateur cotoie le quotidien des militants nationalistes qui mettent leur vie personnelle entre paranthèses pour être totalement au service de la cause. C'est particulièreùment le cas d'Abdelkader, nationliste pur et dur entèrement dévoué à la lutte pour l'indépendance. Son frère Messaoud est plus en nuances et apparaît plus humain avec ses hésitations et ses doutes. Les scènes de violences sont là à bon escient et permùettent de comprendre le contexte.

Sans doute Bouchareb a-t-il pensé très fort à "L'armée des ombres" de Jean-Pierre Melville, sans jamais le copier. La force du film, c'est son sujet principal : le rôle des immigrés depuis le sol français pour soutenir la guerre de libération algérienne. C'est une première dans le cinéma français et c'est tout à l'honneur de Bouchareb d'avoir montré l'intransigeance des dirigeants qpour mener à bien leur entre^prise. Intransigeance qui va jusqu'aux exécutions sommaires pour faire respecter la discipline révolutionnaire. Il était important de souligner combien l'engagement des Algériens sur le sol français a permis de soutenir la révolution. Cette évocation permet aussi de mettre à l'honneur les porteurs de valises français qui permettaient aux fonds d'arriver à destination.

La sortie du film a été l'occasion d'une polémique partisane initiée notamment par Lionel Lucas, député des Alpes Maritimes qui défend un projet de mémorial de l'Algérie française. Elle est totalement vaine, à tel point que le soufflé s'est vite applati. L'objet du film de Bouchareb n'est pas Sétif, même si un quart d'heure lui est conscré. Temps justifié par la nécessité de replacer le film dans son vrai contexte. Je n'ai pas trouvé que Bouchareb avait forcé le trait sur ces tragiques évènements dont la France peut avoir honte. Plus personne de sérieux ne conste les évènements. seule une querelle de chiffres subsiste. Il reste que plus de 10 000 Algériens sont morts suite à ce massacre et c'est cela qui compte.

Ce film utile, remarquablemenent mis en scène et interprété (Roshdy Zem extraordinaire), doit être un point de départ pour la réflexion des plus jeunes qui chercheront à en savoir plus sur cette période tourmentée. Ils se tourneront utilement vers la littérature pour mieux comprendre cette période importante.

jeudi 7 octobre 2010

Constantine : 48 ans après...

Des retrouvailles émouvantes

Le moment fort de mon dernier voyage à Constantine (septembre 2010) fut sans aucun doute ma rencontre avec trois de mes camarades de classe (cinquième et quatrième).

L'histoire commence en 2008, alors que mon ami Samir me retrouve sur Internet, grâce à une photo de classe. Nous avons maintenu le conttact par mél en nous jurant de nous revoir lorsque je descendrai à Constantine.

Je tenais beaucoup à retrouver des camarades de classe puisque nous nous étions quittés dans des conditions particulières. C'était en 1962. Le 19 mars le cessez le feu était effecif. Le 5 juillet l'Algérie était enfin indépendante et les "Européens" (selon l'expression de l'époque) quittaient le pays à la hâte dans un déchirement qui laissera des traces indélébiles. 3 communautés se séparaient (Arabes, Juifs et "Européens" non  juifs) dans la douleur.

Il m'aura donc fallu attendre 48 ans et 4 retours au pays pour revoir des copains de classe. J'y tenais particulièrement en raison du caractère symbolique de ces retrouvailles mais aussi parce qu'il m'était difficile d'imaginer leur passage à l'indépendance : ce que ça avait représenter pour eux, à l'époque dans un contexte particulier puisque l'essentiel des cadres avait disparu avec le départ des "Européens" qui détenaient les leviers du pays.

Peu après mon arrivée, un matin, je contactais Samir pour fixer un rendez-vous qui n'a pas tardé puisque l'après-midi même nous nous retrouvions devant le kiosque à journaux, place de la Pyramide, comme on l'appelle encore, en haut de la rue Roll (Abane Ramdame). C'était très émouvant et les premiers instants passés, nous prenions la direction du boulevard St-Jean pour aller boire un thé, comme si nous ne nous étions jamais quittés.

Samir m'a fait rencontrer ses amis et les discussions que j'ai eues avec eux ont été passionnantes.
Le jour même de notre rencontre, nous avons contacté un autre camarade de classe que j'avais aussi retrouvé par Internet : Ahmed. Rendez-vous fut pris place de la Pyramide et nous avons profité de la voiture pour faire une balade dans Constantine. Quelques jours après, nous allions dans la campagne constantinoise sur les lieux du récit d'Ahmed : Mintaka 25 qu'il a publié à compte d'auteur et sur lequel je reviendrai ultérieurement.
Le frère d'Ahmed, Messaoud, a été un combattant pour la cause algérienne pendant la guerre de libération et il est mort au champ d'honneur.
Nous sommes allés dans le village qui porte son nom. Nous sommes passés par Ibn-Ziad (ex Rouffac), où nous avons mangé dans une gargote, et Messaoud Boudjeriou (Ain-Kerma). Ce fut une tournée bien agréable !

J'ai aussi eu l'occasion d'aller à Jijel avec Faouzi, originaire de cette ville côtière, pour y passer une journée très agréable et colorée malgré la pluie. Faouzi est d'une gentillesse remarquable et qu'il me consacre une journée entière m'a beaucoup touché. Sur la route, nous avons cotoyé le grand barrage de Beni Haroun qui alimente en eau toute la région de Constantine. Au retour, comme il faisait nuit, j'ai pu admirer le pont suspendu tout illuminé. Les tunnels du boulevard de l'Abîme (Zighoud Youcef) le sont aussi.

Enfin ce fut le moment des retrouvailles avec Mohamed, camarade de classe aussi. Il m'a invité avec Samir à déjeuner chez lui et j'ai ainsi pu faire la connaissance de sa petite famille. Nous avons aussi pu parler de nos vies depuis 1962 et de l'après indépendance avec le passage au socialisme puis la décennie noire et le retour à une vie plus calme mais qui reste excessivement difficile. J'ai été impressionné par la mémoire phénoménale qu'ils avaient lorsque nous avons regardé les photos de classe ci-dessous : ils se rappelaient de quantités de noms ! Nous avons regretté ensemble que Constantine soit aussi abîmée et surpeuplée. Malgré le téléphérique, le tramway en construction et le pont transrhumel, il reste beaucoup à faire pour redonner à Constantine son visage d'antan.

Merci mes amis de toutes ces émotions et j'espère que nous serons, dans le futur, plus nombreux à nous retrouver. Si vous vous reconnaissez sur les photos ci-dessous, contactez-moi par mél : yahia.jmp@free.fr

Classe de quatrième
Cours complémentaire Stade Turpin
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Classe de cinquième
Cours complémentaire Stade Turpin 
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