jeudi 13 juin 2019

La France et l'Algérie à l'heure des mouvements citoyens

De chaque côté de la Méditerranée,
deux mouvements citoyens changent la donne...
Je m'aperçois que depuis le début mai, je n'ai pas pris le clavier à propos de la situation en France, que ce soit à propos des Gilets Jaunes ou de la drôle de campagne pour les Européennes...
J'ai plutôt donné priorité à l'Algérie qui est très chère à mon cœur. Coïncidence malheureuse, au moment où j'ai commencé à écrire, alors que le pays est secoué par une crise politique et sociale sans précédent, il se trouve qu'un séisme de magnitude 4 a été ressenti à Bouira (Kabylie) et l'onde de choc s'est propagée jusqu'à Alger qui se trouve à une centaine de kilomètres au Sud-Est..


En fait, je me suis exprimé sur ces sujets, mais en relayant un collectif politique : Les forces politiques : où en est-on en Charente ? (un billet du blog " Résistons par les Actes ")

En  même temps, il se trouve que par certains côtés, la situation en France comme en Algérie a bien quelques similitudes comme par exemple les  problèmes que rencontrent les journalistes, à l'instar de Ariane Chemin convoquée en vue d'une audition libre dans les locaux de la DGSI le 29 mai, concernant l'affaire Benalla qu'elle a, en son temps,  été la première à révéler dans les colonnes du journal Le Monde ! Pour parfaire le tableau, le président du directoire du journal Le Monde, Louis Dreyfus, a également été invité a fréquenter les mêmes lieux...
Mais aussi, au niveau du mouvement social, les Vendredis algériens ont pour écho les Samedis français. Ces deux rendez-vous sont ceux, dans les deux cas de mouvements citoyens, avec leurs particularités, issus de la société civile et ça n'est pas rien ! C'est sans doute ce parallélisme qui motive ce billet. 
En avançant dans l'écriture, après avoir longuement travaillé avec mes amis sur l'analyse des résultats des élections européennes en France, c'est ainsi qu'il me semble juste d'aborder l'actualité des deux côtés de la Méditerranée simultanément.
Les Gilets Jaunes, au contraire du Hirak (la révolte), continuent leurs rendez-vous hebdomadaires sans mobilisation plus importante. Le mouvement n'arrive pas à mener sa lutte sous d'autres formes qui seraient sans doute plus aptes à mobiliser les Français qui restent malgré tout favorables aux Gilets Jaunes. Le refus obstiné, qui a eu sa légitimité, des corps intermédiaires est toujours un préalable qui favorise un isolement dommageable aux justes revendications des citoyens français qui n'en peuvent plus.
J'ai de plus en plus la sensation que le mouvement se meurt, faute d'imagination, de collaboration et d'analyse politique. Dans ces conditions deux hypothèses :
  1. le mouvement se meurt, dans la passivité générale qui revient à de la résignation, 
  2. soit le mouvement des Gilets Jaunes n'en démords pas et faute de remettre les gens dans la rue il opte pour la violence à tout va, sachant que le black blocs n'attendent que ça.
Dans les deux cas c'est non seulement une catastrophe, mais un gâchis immense. De plus dans la première hypothèse, nous passons à côté de l'histoire et l'oligarchie en sort triomphante. Dans la seconde c'est l'extrême droite qui en profite et se rapproche dangereusement du pouvoir ce qui me semble encore plus grave !
« Ce n'est pas parce qu'une main a été arrachée, parce qu'un œil a été éborgné que la violence est illégale » (Le Secrétaire d'État à l'Intérieur) 
La violence est une caractéristique de la situation en France et, en particulier, las violences policières font débat d'autant que le couple Castaner-Nuñez ne renonce à rien comme en témoigne les propos de Laurent Nuñez, double du ministre de l'intérieur, lors du Grand Jury sur RTL. De ce point de vue, le rapprochement avec la volonté du Pouvoir algérien de casser le Hirak par la force la plus extrême (décès en prison du militant Kamal-Eddine Fekhar), est tentant : il est vrai qu'en France on se contente de mutiler des citoyens en les privant de leurs yeux ou de leurs mains grâce aux LBD et aux grenades de désencerclement !
Des deux côtés de la Méditerranée, le pari porte sur le pourrissement du mouvement, afin de parvenir à une fin de crise sociale. Force est de constater que ça n'est pas le cas :
  • comme le montrent les articles de la Presse algérienne et les deux communiqués ci-dessous, l'heure est plus que jamais à l'avènement d'une Constituante citoyenne imposée par un Hirak inventif, puissant (plusieurs centaines de milliers de manifestants dans les rues, partout sur le territoire national, malgré le ramadhan !) et unitaire ainsi que par la mobilisation sans faille des organisations diverses de la société civile,
  • en France, les Gilets Jaunes ne lâchent pas, malgré la baisse de la participation aux manifestations du samedi et comme il est dit plus haut cela correspond à une défaite du Peuple, mais aussi à un coup de pouce de fait à l'extrême droite et d'une façon indirecte à l'oligarchie macronienne !
Pour rester dans le parallèle, dans des conditions bien plus difficiles qu'en France, le Hirak est très intelligemment maintenu sur des bases très hautes, partout dans le pays, mais au dégagisme qui est maintenu s'ajoute la construction patiente, minutieuse et réfléchie de ce que l'on appelle chez nous une union populaire.
En effet, samedi 15 juin, la société civile, les syndicats et des partis politiques se retrouvent autour d'une initiative patiemment construite : la Conférence nationale de la société civile qui doit rassembler plus de 500 participants (Collectif de la société civile pour une transition démocratique et pacifique, Forum civile pour le changement et la Confédération des syndicats algériens). L’objectif de cette Conférence citoyenne est de parvenir à une feuille de route commune pour une sortie de crise, rien de moins ! Et on peut dire que c'est en bonne voie, tellement le travail a été intense depuis plus de 3 mois pour créer un consensus autour des objectifs :
  1. rupture radicale avec le système en place,
  2. rejet des élections à courte échéance,
  3. séparation des pouvoirs politique, militaire, exécutif, législatif,
  4. une justice indépendante,
  5. une période de transition démocratique qui ne devrait pas dépasser 6 mois,
  6.  mise en œuvre des articles 7 et 8 de la Constitution
  7. exigence de la levée de toutes les restrictions sur le mouvement populaire pacifique, ainsi que sur les espaces politiques et associatifs,
  8. rédaction d'une constituante qui ouvrira enfin la voie à l'élection présidentielle, dans le cadre de la deuxième République algérienne.
En France,  nous sommes très, très loin de ce type d'initiative qui, je n'en doute pas, est de nature à maintenir, voire à augmenter, le rapport des forces. C'est ainsi que le Hirak à d'ores et déjà engranger des victoires significatives :
  • démission de Bouteflika,
  • retrait du champ des responsabilités de très nombreux politiciens du « gang », comme l'appellent les algériens (seuls 2 d'entre eux, mais pas des moindres, sont encore aux commandes : Abdelkader Bensallah qui assure l'intérim de la présidence de la République et le pâlot premier ministre Noureddine Bedoui,
  • annulation de la Présidentielle du 4 juillet
  • maintien de la formidable mobilisation du Peuple algérien, tous les vendredis, dans le calme et la responsabilité.
    C'est déjà un beau bilan qui ne demande qu'à avoir son apothéose avec la Constituante !
En France, nous n'avons pas su imposer un tel rapport de forces bâti sur la non violence et une attitude constamment constructive qui a la grande vertu de rassembler les forces vives de la nation, dont bien entendu les cadres intermédiaires que nos Gilets Jaunes continuent de refuser. C'est ainsi que ni les syndicats, ni les forces politiques progressistes ont été incapables de jouer pleinement leur rôle et, par exemple, offrir des perspectives tangibles aux Gilets Jaunes, sans véritable expérience du mouvement social.

Les résultats totalement décevants et redoutablement sur le recul des élections Européennes sont la touche final de ce sombre tableau. La dynamique est cassée, face à la montée du RN voulue par Emmanuelle Macron, l'apprenti sorcier qui en a trop fait !

Comment expliquer de telles différences entre le mouvement social en Algérie et celui que nous connaissons de l'autre côté de la Méditerranée ?
  1. La société algérienne est plongée dans une crise sociale très sévère depuis des décennies et avoir à manger tous les jours a un vrai sens pour l'écrasante majorité des Algériens,
  2. La décennie noire (décembre 1991 à 1997) a marqué ce Peuple au fer rouge et plus jamais il ne veut connaître une telle catastrophe. Quand on a eu plus de 60 000 morts, on ne veut surtout pas y retourner !
  3. Les Français sont très loin d'un tel tableau et, sans souhaiter qu'ils « en bavent » un peu plus, le besoin de faire front n'est pas vraiment là, si bien que nous sommes incapables d'installer un vrai rapport de forces.
Ce constat, aussi direct soit-il, ne se veut pas pessimiste, mais il est inutile de se cacher les yeux : ouvrons les tout grand !
 
Faisons notre vrai HIRAK, à la française !

Initiative de la société civile :
une conférence nationale le 15 juin
Nabila Amir
Les acteurs composant la société civile poursuivent leur travail de concertation pour tenter de fédérer leurs efforts afin d’arriver à une feuille de route commune et donner forme à leur projet politique portant l’organisation d’une conférence nationale de la société civile. Cette dernière prend, en toute vraisemblance, forme puisque sa date est fixée.
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Elle rendra publique son initiative le 15 juin
La société civile s’impose comme
une force de proposition
La société civile s’unit et se prépare à lancer officiellement son initiative de sortie de crise. Trois mouvements se sont, en effet, mis d’accord pour organiser une première conférence devant donner naissance à une proposition portée par un peu plus d’une cinquantaine d’organisations et de syndicats autonomes, représentants divers secteurs et différents courants.

Il s’agit de trois collectifs (la Confédération des syndicats algériens, le Forum civil pour le changement et le Collectif de la société civile pour une transition démocratique). Ces derniers ont tenu, samedi dernier, une troisième réunion, à l’issue de laquelle les participants se sont mis d’accord sur la tenue, le 15 juin, de la première conférence de la société civile.

Ils ont rendu publique leur initiative de sortie de crise

Des Oulémas* musulmans appellent à une période de transition

Cheikh-Tahar-Ait-Aldjet
Après le mouvement populaire, l’opposition, les différentes associations et des syndicats autonomes, des religieux, très connus sur la scène nationale, viennent de déjuger le vice-ministre de la Défense et les partisans de la solution constitutionnelle à la crise, en appelant à la mise en place d’une période de transition.
* Oulémas : religieux, savants
algériens de l’islam


Communiqué du Conseil Constitutionnel

Le siège du Conseil Constitutionnel à Alger
« Le Conseil constitutionnel, réuni les 21, 24 et 27 Ramadhan 1440 correspondant aux 26 et 29 mai et 1er juin 2019, à l’effet de délibérer sur les dossiers de candidatures pour l’élection du Président de la République prévu le 4 juillet 2019, s’est prononcé par le rejet des deux dossiers de candidature déposés auprès de lui, en vertu de deux décisions individuelles n 18/D.CC/19 et n 19/D.CC/19 datées du 1er juin 2019.
En vertu de la décision du Conseil constitutionnel n 20/D.CC/19 du 1er juin 2019, par laquelle il déclare l’impossibilité de tenir l’élection du Président de la République, le 4 juillet 2019, et la réorganisation de celle-ci de nouveau.
Vu le préambule de la Constitution qui prévoit en son 12ème paragraphe : la Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple, confère la légitimité à l’exercice des pouvoirs, et consacre l’alternance démocratique par la voie d’élections libres et régulières.
Vu les articles 7,8, 102 alinéa 6, 182 et 193 de la Constitution, Considérant que le Constituant confère au Conseil constitutionnel la mission de veiller au respect de la Constitution, Considérant que le peuple est la source de tout pouvoir et qu’il exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne.
Considérant que dès lors que la Constitution prévoit que la mission essentielle dévolue à celui investi de la charge de Chef de l’État est d’organiser l’élection du Président de la République, il y a lieu de réunir les conditions adéquates pour l’organisation de cette élection dans la transparence et la neutralité en vue de préserver les institutions constitutionnelles qui concourent à la réalisation des aspirations du peuple souverain.
Il revient au Chef de l’État de convoquer de nouveau le corps électoral et de parachever le processus électoral jusqu’à l’élection du Président de la République et la prestation du serment constitutionnel ».
Retour à l'article https://yahia-ksentina.blogspot.com/2019/06/la-france-et-lalgerie-lheure-des.html#presidentielle


Forum des Journalistes Libres : Déclaration

L’Algérie vit, depuis le 22 février 2019, un soulèvement populaire massif. Inédite, cette révolution pacifique a redonné espoir aux Algériennes  et  Algériens et suscité l’admiration du monde entier.
La mobilisation héroïque du peuple algérien pour le démantèlement intégral  du système politique obsolète, qui a gouverné par l’arbitraire, la confiscation des libertés et la généralisation de la corruption, a besoin d’être accompagnée en amont d’initiatives à même d’enrayer les travers que ce même système a enraciné dans beaucoup de professions pour les pervertir et les asservir.
Il en est ainsi des médias qui ont terriblement subi les effets néfastes de l’action du régime et du pouvoir qui l’a incarné, notamment durant ces vingt dernières années.
Aujourd’hui, plus que jamais, les professionnels des médias sont appelés à s’affranchir des pesanteurs qui empêchent l’accomplissement de leur mission et des perversions qui corrompent leur métier. Ils sont également appelés à se mobiliser activement pour en finir avec l’ordre établi qui entrave le développement structurel du secteur.
Le rôle des médias, particulièrement dans cette phase d’affirmation de la mobilisation pour le changement démocratique est essentiel, voire déterminant, tant est qu’ils agissent sur l’opinion et la structurent.
Les dérives éthiques et déontologiques qui se sont amplifiées ces derniers mois interpellent et soulignent l’urgence d’une réaction de la corporation. La diffamation, les atteintes à la vie privée des personnes, les procès en sorcellerie exécutés sur commande…ont gravement terni l’image de la de la profession aux yeux de l’opinion.
Les journalistes, aujourd’hui plus qu’avant, sont appelés à réhabiliter au quotidien les principes éthiques et déontologiques, universellement admis, qui fondent leur métier et à lutter contre toutes les formes de censure et d’embrigadement. Tout un engagement dont l’accomplissement requiert la solidarité professionnelle et un effort de veille et de réflexion dans un cadre rassembleur et organisé.
C’est ce à quoi s’est attelé un collectif de journalistes ayant en partage le respect des valeurs et normes de la profession et un engagement démocratique et républicain.
Le collectif, ouvert à tous les professionnels imprégnés des mêmes valeurs, se propose d’activer dans le cadre du Forum des Journalistes Libres (FJL), un espace d’échange et de concertation autour des problématiques liées à la profession mais aussi un vecteur de mobilisation dynamique pour le changement démocratique.
Le FJL, qui compte apporter une contribution, la plus active possible, aux débats qui agitent la société, prendra position publiquement sur toutes les questions qui interpellent les médias et le devenir de la profession.
Si la création du FJL procède d’un besoin impérieux, son ambition n’est cependant pas limitée aux impératifs de la conjoncture. La pérennité du Forum est nécessaire au vu des incertitudes qui pèsent sur le métier et des nombreux chantiers et défis qui s’imposent au secteur.
LES SIGNATAIRES
Mourad SLIMANI -Mohand REDAOUI -Rabah ABDELAH -Mohammed IOUANOUGHENE -Madjid MAKEDHI -Mohamed KEBSI -Farid ABDELADIM -Ali TITOUCHE -Akli REZOUALI -Karim AIMEUR -Aniss EL HAICHAR -Chaouki MECHAKERA -Djaffar BEN SALAH -Fatiha MAAZOUZ -Daya ZIARI -Allam AMINE -Mohamed SIDOUMMOU -Hamza AGOUNE  -Hamid GOUMRASSA -Said BOUFATAH -Imene KHEMISSI-Mourad HACHID -Nouredine NESROUCHE
Alger, le 02 juin 2019

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