Ma correspondance Internet me prend de plus en plus de temps. Elle
est essentiellement nourrie par mes échanges avec mes frères
algériens et plus particulièrement constantinois. À l'occasion de ces échanges, je vérifie qu'il
reste très difficile de parler du passé, même
lorsque l'on y met du tact. Cette sale guerre, celle-là aussi,
a marqué bien plus que l'on croit et les plaies, malgré
les apparences, ne se referment pas. La contradiction de fond est
toujours là : même si on défend l'Algérie
indépendante, même si on se réjouit de la Révolution
algérienne, du moment qu'on remue l'Histoire et que l'on
met à jour des choses qui dérangent, a fortiori
si on est français, certains se saisissent de l'occasion
pour brouiller les pistes et enterrer le débat démocratique,
seul capable pourtant de « tirer » les nouvelles générations
vers un combat pour la démocratie en Algérie, d'enlever
l'idée de la tête des générations plus
anciennes que le passé était loin derrière
et qu'il ne méritait pas qu'on se retourne. Je suis persuadé qu'aujourd'hui mon pays, l'Algérie,
paie très cher l'erreur qui a consisté à :
Faut-il se lamenter des impasses qui ont été opérées ? Faut-il ensevelir les mauvais choix, les utopies ? Je ne le pense pas. La force d'un Peuple est de tirer les leçons du passé. Ça paraît banal, convenu, mais il est bon de le rappeler.
En Août 1984, lors de mon premier retour au Pays, j'avais
déjà pu me rendre compte combien ces questions pesaient
sur l'avenir de l'Algérie. J'ai multiplié les contacts,
durant un mois, avec des milieux très différents.
Il en ressortait toujours la même chose : les algériens,
dans leur ensemble, n'avaient plus d'Histoire : soit parce qu'ils
ne voulaient pas en parler pour les plus anciens, soit parce qu'ils
l'ignoraient pour les plus jeunes ou, pire encore, parce qu'ils
la balayaient d'un revers de la main pour toute une bande de privilégiés,
gravitant autour de l'armée et des affaires, pour qui la
seule Patrie était, de leur propre aveux, l'argent, surtout
celui qui résultait du trafic et qui enterrait un peu plus
chaque jour l'Algérie. Cette dernière catégorie
est sans doute celle qui m'a le plus inquiété. J'ai
aussi réalisé à son contact, combien la France
avait de responsabilité dans l'état pour le moins
précaire de l'Algérie. Toujours à cette époque, j'ai fait des rencontres
édifiantes, au grès de mes déambulations constantinoises.
C'est ainsi qu'alors que je descendais la rue Rouhault des Fleury,
celle aux arcades que l'on nomme maintenant rue Abdane Ramdane,
porté par une force invisible, je me suis arrêté
devant l'étal bien garni de ce qui fut un de mes rendez-vous
secrets préféré : mon ex marchand de beignets.
La boutique était la même, au carreau de faïence
blanc et bleu près ! Les Zlabias étaient toujours présentes,
en bonne place et mon envie était intacte. Sans doute que
mes yeux brillaient, pas seulement par les larmes de bonheur, mais
aussi par le souvenir sirupeux de ces friandises irrésistibles.
L'odeur des beignets me rappelait mon enfance et mon attirance systématique
vers cette tentation à chaque sortie de l'école, lorsque
je descendais les escaliers venant du Coudiat-Aty et que je reniflais
ces effluves bien familières. Il m'arrivait assez souvent
de m'arrêter soit parce qu'une pièce de 5 F traînait
dans mes poches, soit parce que je m'étais appliqué
à chaparder cette somme dans le porte monnaie de maman en
vue de cet usage ou, plus tard, de l'achat d'une cigarette « Mélia », sous les arcades, un peu plus haut, ou encore lors du crochet fait par le chantier que dirigeait mon grand
père, derrière le sacré cœur et qui se trouve
être aujourd'hui l'Hôtel des finances, crochet quelque
peu intéressé puisque je savais qu'en principe je
récoltais quelques fonds au passage et même que les
jours de paie, le grand patron Alessandra, en rajoutait, histoire
que je ne sois pas de reste puisque chacun touchait sagement son
enveloppe dans l'ordre d'une file d'attente impeccable et joyeuse,
me taquinant au passage. Alors, donc que ce jeune garçon préparait ma commande,
porté par l'ambiance et les souvenirs, je lui parlais de
cette époque où nous étions en guerre et où
je fréquentais ce lieu. Ses yeux s'ouvraient de plus en plus
grands, au fur et à mesure de mes divagations. Je compris
assez vite que tout cela était surréaliste pour lui
et que mon discours devait lui paraître aussi hermétique
que la théorie de la relativité d'Einstein ! Je ne
résistais pas à l'envie de lui resituer tout ça,
mais à l'évidence en vain car manifestement c'était
à des kilomètres de son univers. J'espère qu'il
ne m'en a pas voulu, mais toujours est-il qu'il parut soulagé
de mon départ de sa boutique… Ce sont des rencontres comme celles-ci qui, peu à peu, m'ont conforté dans l'idée que je ne pouvais pas rester spectateur de ce qui se passait dans ma ville, dans mon Pays et les évènements ultérieurs n'ont fait que confirmer ce sentiment. C'est sans doute de ces méandres qu'est née
l'idée de faire quelque chose à mon niveau pour mon
Pays. C'est de là qu'est venue l'envie irrépressible
de revenir à Constantine pour aller à la quête
de ma véritable identité. C'est aussi une des raisons
qui m'ont petit à petit dirigé vers cette idée
de festival de musiques du Maghreb que je suis en train d'organiser,
persuadé que la Culture était un vecteur puissant
d'identification, de tolérance, de connaissances, de débats
démocratiques et de connaissance des peuples. À l'approche de ma retraite, le contact avec les milieux
artistiques aidant, je n'ai plus eu qu'une seule idée : concilier
retour au pays, dès ma première année de retraite
et organisation de ce festival. Depuis, ma vie s'organise autour de ces deux pôles qui n'en
font qu'un et je ne cesse de découvrir des nouvelles personnes,
de nouveaux horizons, de nouveaux espoirs, des perspectives toutes
neuves et enthousiasmantes. Mes rencontres, essentiellement par l'intermédiaire du Web, me font découvrir
ou redécouvrir des amis. C'est ainsi que par le biais du
site de Serge Gilard qui fait référence sur Constantine, j'ai retrouvé Jean-Claude
Pons, un ami d'enfance que j'avais perdu de vue depuis cinquante
ans, alors que nous étions nés dans la même
rue, l'un habitant en face de l'autre ! C'est ainsi que par un beau
jour de février on s'est retrouvé autour d'une table
pour nous apprendre à nouveau et avoir le plaisir d'évoquer
notre voyage commun vers la cité du Rhumel. C'est ainsi encore que j'ai partagé des émotions avec Nadira, exilée aux États Unis, si loin de sa terre natale, avec Riad qui habite à Vannes et pour qui Constantine est incontournable, avec Bader qui nous attendra à l'aéroport, fort de la connaissance de sa ville et de sa générosité.
C'est aussi comme cela que j'ai fait la connaissance de Najia Abeer,
née la même année que moi, Professeur d'anglais
et Auteure, constantinoise militante, habitant actuellement Alger
qui a écrit un superbe livre sur sa jeunesse à Constantine
: « Constantine ou les moineaux sur la murette ». Najia
qui devient une amie que je vais rencontrer au mois de Mai, à
Constantine, avec qui je m'apprête à passer des moments
émouvants. Najia, la généreuse qui se met au
service de mon projet et qui s'enthousiasme autant que moi… Najia, avec qui je peux parler de tout et avec qui j'ai à
présent de plus en plus de complicité. La liste s'allonge chaque jour et continuera ainsi, tant que « Les Amis de Constantine " existeront. « Les Amis » qui rêvent de se rencontrer et plus tard d'aller tous
ensemble dans leur cité. Encore un chantier pour l'avenir
! Comment dire ce que je ressens ? Comment traduire des sentiments
enfouis et remis au jour ? Les mots n'ont pas toujours la force
de la Vie et pourtant elle a si bien dit les choses ! Dans un autre registre, j'ai beaucoup aimé les descriptions
de ce que je n'ai pas vraiment connu, pour cause de guerre. J'ai,
je crois enfin situé la Souika, si chère au cœur de
Najia et le quartier Sidi El Djellis. Je ne dois plus me tromper
en situant la Souika en contrebas de la place Lamoricière (aujourd'hui Place des Martyrs),
sous Sidi Rached et Ben Djellis vers le quartier juif.
En tous cas, elle a su trouver les mots pour parler de la maison
familiale qu'elle a quittée pour aller à Sidi El Djellis
et, si j'ai bien compris, à Bellevue, pas loin de mon quartier
St-Jean (rue des Frères Durand, actuellement Kamel Ben Djellit). Une grande vertu de son livre est de montrer la place que doit occuper l'Histoire dans nos existences. Cette place qui a manqué à ce Peuple algérien, je l'ai constaté en 84, pour s'approprier son pays et, au-delà de la libération du joug colonial, forger une vraie identité politique. Ben Bella a vraiment fait preuve d'une naïveté coupable qui a permis le phénomène Boumédiène, qui n'a pas arrangé les méfaits subits par notre Pays, après la France. J'ai déjà refait un bout de la route qui me conduira
chez nous le premier mai et je suis encore plus pressé de
te rencontrer, Najia. J'espère que tu auras le temps de me
guider dans ton quartier de naissance, où je n'ai jamais
mis les pieds et où j'aurais l'impression de violer une identité,
si j'y allais tout seul. Une belle revanche sur la guerre, l'intolérance,
la violence et les conséquences des enjeux politiciens ! Tu m'as donné de la force et de l'espoir et je me dis que si le destin l'avait voulu, je serais de ceux qui peuplait cette murette... Châteaubernard, le 8 Mars 2004 Préambule l Préparation du voyage l Quelques réflexions l Le voyage l Accueil |
Préparation du voyage Mon retour à Constantine - Mai 2004
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