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Épisode 1
Mes
premiers souvenirs du 4 rue Sassy au quartier Saint-Jean
 | La rue Sassy où habitait ma grand-mère
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La rue Sassy est celle de ma petite enfance, chez ma grand-mère Madeleine Pérello qui est née à Inca de Majorque. Déjà là, nous étions des immigrés ! Lorsque je suis né, elle était mariée à Francis Favre que j'ai toujours considéré comme mon grand-père. Il était le troisième mari de ma grand-mère qui n'a pas eu beaucoup de chance dans sa vie.  | Dans l'encadré en rouge : Staoueli
| En effet, elle a eu un premier enfant (mon père Antoine) avec son premier mari qui s'appelait Pascal Joseph. Ils étaient à Staoueli, une petite ville (à l'époque...), dans la banlieue Ouest d'Alger (à 20km). Ce mariage a été de courte durée : il a eu lieu 1er juillet 1924 et Joseph qui
était d'une santé très fragile est décédé le 4 décembre 1924, suite à
un accident du travail (électrocution) sur une ligne de train. Mon père
n'a pas eu grand temps pour connaître son papa, puisqu'il est né le 30
septembre 1924...  | Bou-Ismail (Castiglione avant 1962)
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 | Dans les 2 encadrés : Bou-Ismail et Douaouda Marine
| La famille Pérello, était sur le littoral algérois, pas très loin de Staoueli : Castiglione (aujourd'hui Bou Ismail) et Douaouda Marine (le nom de cette commune a été conservé).
Avec son second mari (mariage célébré le 20 avril 1926), Gajan ou Gagean, selon les sources, elle a un second garçon, Jean, qui sera mort pour la France en Cochinchine, le 28 septembre 1947 à l'âge de 21 ans. Elle sera à nouveau veuve et rencontrera Francis Favre, à Alger. Ils s'établiront à Constantine où Francis travaillera comme chef de chantier dans le bâtiment. Je n'ai malheureusement pas de dates précises sur cette troisième et dernière union, sinon que Magdalena est décédée en 1956 et que mon grand-père était toujours au 4, rue Sassy, lors de mon départ en Août 1962. Mes parents n'ont pas maintenu de liens avec lui, après leur arrivée en France et j'ai ainsi perdu sa trace, avec regret car je lui étais très lié. Lorsque je suis retourné sur la tombe de ma grand-mère, aussi bien en 1984 que lors d'autres séjours, je n'ai pas constaté l'ajout de la dépouille de Francis, dans le caveau, au cimetière de Constantine. On peut donc en déduire qu'il est décédé en France. Ces rappels historiques étant faits, j'en reviens à ma petite enfance proprement dite. J'ai donc dormi dans la chambre de mes parents, tout le temps où ils partageaient le logement de ma grand-mère, dans l'immeuble colonial du 4, rue Sassy. J'ai donc pu profiter de ma grand-mère jusque vers l'année 1955, à peu près, année où nous avons déménagé pour le quartier Saint-Jean au n° 23 de la rue des frères Durand, aujourd’hui rue Kamel Bendjelitt. Nous habitions au-dessus d'une usine à vinaigre qui fabriquait aussi de la javel, du grésil et des balais (Usine Caffarel) et 4 appartements étaient répartis autour d'une terrasse. Cet espace a été mon seul terrain de jeu, pendant toutes les années qui nous ont séparés du départ pour la métropole. Nous avons eu la chance d'avoir un voisinage qui fonctionnait bien et les relations étaient très amicales et chaleureuses. Nous étions 4 familles françaises. En face, il y avait une famille musulmane que j'ai retrouvée en 1984. C'est la demeure de mon ami Mourad que j'ai eu la joie d'accueillir à Cognac, dans les années 1990, avant de le conduire avec son épouse Nora en Normandie. Dessous le logement de Mourad, il y avait le gardien de l'usine qui lui était d'obédience israélite (nous utilisions ce terme plutôt que le mot juif). Ainsi les trois principales catégories de la population algérienne étaient réunies.
Notre quartier était très majoritairement français, mais selon mes souvenirs, la cohabitation avec les musulmans était satisfaisante. Il n'était pas rare que nous échangions des plats entre les familles.
Une
particularité est à signaler : une impasse parallèle à notre rue nous
séparait du cimetière musulman où avaient lieu des manifestations pour
la libération de l'Algérie. Au-dessus de notre rue, se trouvait la prison
de Constantine où étaient emprisonnés de nombreux combattants de l'ALN
(Armée de Libération Nationale).

Épisode
2
Mes
premiers souvenirs du 4 rue Sassy (aujourd'hui rue El Khod) et du
quartier Saint-Jean
 | | La rue Sassy, depuis le boulevard de l'Abîme | C'est
dans cette rue que commence ma vie à Constantine,
appelée aujourd'hui Qsentina ou Cirta.
C'était la maison de ma grand-mère paternelle, Madeleine, qui dès lors,
n'avait d'yeux que pour moi, seul héritier de la couronne, et cédait
à tous mes caprices ! Mes parents y vivaient en attendant de trouver
une location à portée de leur maigre bourse.
C'est
depuis le magasin du charbonnier, situé face à l'immeuble du 4 de
la même rue, que j'ai entendu mes premières notes du Malouf,
musique savante de Constantine,
sans en connaître le nom. Je reviendrai plus loin, dans un autre
chapitre sur comment j'ai pu mettre un nom sur cette musique bien
plus tard, lorsque j'étais adulte, sur le sol du territoire
français, que nous nommions la métropole.
Depuis
le balcon, je pouvais communiquer avec les enfants des voisins d'en
face en usant d'un téléphérique fait maison.
 | | Jean-Claude, à droite, mon voisin de la rue Sassy |
 | | Jean-Claude devant l'entrée de l'immeuble | Un
copain, Jean-Claude,
que j'ai retrouvé en France dans ma vie d'adulte et qui est
retourné avec moi en 2005, habitait le dernier immeuble de la rue
Sassy
(aujourd'hui El Khod),
au premier étage et nous étions ensemble à la crèche ! Son papa
était facteur de piano, pas loin de la préfecture, à 800 m de là.
 | | Le nom des propriétaires sur le seuil de l'entrée |
 | | L'entrée du café La Coupole | Tout
en haut de la rue Sassy,
se trouvait le café La Coupole dont le nom des propriétaires de l'époque était Meschi
et cet endroit est important
pour moi, du fait que ma marraine
Yvette était
leur fille. Elle travaillait à l'Inspection d'Académie qui se
trouvait au Coudiat,
dont je reparlerai plus tard.
Enrico
Macias était
du quartier, à quelques rues de chez ma grand-mère. Si on dépasse
le café Meschi,
on arrive sur la place du palais
du Bey,
qui est voisin de la cathédrale où a été enterré ma grand-mère
Madeleine,
suite à un cancer. Je reviendrai sur ce magnifique palais qui a été
restauré et que j'ai découvert, lors d'un de mes voyages à
Constantine.
 | | Mon quartier | Finalement,
mes parents ont trouvé une location dans leurs moyens et nous avons
migré pour le quartier Saint-Jean,
rue des frères Durand à l'époque (aujourd'hui rue Kamel
Bendjellit), et c'est là qu'ils ont
décidé d'avoir un second enfant, en l'occurrence ma sœur
Jacqueline qui est
venue au monde 7 ans et 7 mois, après moi. | | Mon ami Mourad avec sa fille |
La
rue Kamel
Bendjellit est
à proximité de la place
de la Pyramide,
aujourd'hui Place
Amirouche. C'est
avec une joie immense qu'en 1984 j'y ai retrouvé nos voisins
musulmans : Mourad, sa femme Nora et ses enfants.
Au numéro 23 de cette
rue, nous avions donc un logement qui se trouvait sur une terrasse
couverte d'un grand carrelage rougeâtre. Cette dernière se
trouvait au-dessus d'un des ateliers de l'usine de vinaigre, comme
on l'appelle encore, qui  fabriquait aussi du grésil, de la javel,
des balais et je ne sais plus trop quoi. À l'époque coloniale,
elle appartenait à la famille Caffarel qui reste un nom connu
à Cirta. Lorsque des attentats étaient perpétrés, nous
avions très peur qu'une bombe soit placée dans un des endroits
sensibles de l'usine, car nous en aurions beaucoup souffert. Sans
doute que nos logements (il y en avait 4 autour de la terrasse)
auraient été détruits et qu'il y aurait eu des dommages
corporels. D'ailleurs ça a failli se produire indirectement,
puisqu'un jour, alors que je m'étais incrusté à la rambarde en
briques, j'ai donné l'alerte du fait que le feu s'était déclaré,
dans la maison d'en face, mitoyenne de celle de la famille de
Mourad. Elle aussi était occupée par des musulmans. Sans nul
doute, il s'agissait d'un geste malveillant... Pour bien comprendre,
notre quartier était très européen (on disait français, du temps
de la guerre d'Algérie) et donc les musulmans qui y vivaient,
malgré, en général, leur bonne entente avec les pieds-noirs,
étaient en insécurité, du fait des agissements de l'OAS qui
voulait une Algérie Française...
De tout le temps que
j'ai passé dans cette rue, il m'était interdit, à de très rares
exceptions près, d'aller y jouer (seule exception, lorsque j'allais
faire des allers et retours à vélo...) avec les autres, qu'ils
soient français ou musulmans, pour des raisons de sécurité,
arguaient mes parents. C'est pour cela que malheureusement je ne
parle pas arabe, au contraire d'autres enfants de mon âge qui n'ont
pas subi la même loi. Je faisais de la gymnastique et je m'y
rendais à pied tout seul : rare moment avec mes trajets pour
l'école où je me sentais libre !
Une particularité : à
quelques mètres de notre domicile était bâti le Cours
Complémentaire (établissement qui concernait les classes de la
sixième à la troisième) qui avait été construit par
l'entrepreneur Alessandra et c'était mon grand-père, Francis
Favre, qui en avait été
le chef de chantier.
 | | La buanderie en 2004 | Mes parents avaient un
deux pièces cuisine et nous prenions notre bain, dans la buanderie
commune à tous les habitants du lieu. Lorsqu'il faisait trop froid,
nous étions bien obligés de nous contenter de la cuvette d'eau
chaude !
Une ruelle jouxtait
l'arrière de la maison et je dormais seul dans la salle à manger.
Cela a eu pour effet qu'une peur incontrôlable et viscérale a
transformé nombre de mes nuits en cauchemars, lorsque des
activistes OAS, préparaient leurs armes et manipulaient des charges
de plastique (explosif), à l'abri des regards. La prison étant à
2 rue au-dessus de la nôtre et les prisonniers FLN passaient aussi
par là lorsqu'ils s'évadaient. Et moi j'étais transi de peur,
d'autant plus qu'en  | | La ruelle qui a nourri mes peurs | été, en raison des très grosses chaleurs,
nous avions les persiennes fermées, mais les fenêtres ouvertes !
J'ai traîné ça très longtemps jusque sur le sol français, à
tel point que j'imaginais la nuit voir des poignées de portes qui
étaient forcées ou des ouvertures ne plus être verrouillées. De
même, à la nuit tombante, je ne pouvais pas marcher dans les rues,
sans que je ne me retourne pour m'assurer n'être pas suivi. Quant
aux explosions, je ne les supporte toujours pas, y compris en
engueulant les militants qui balancent des pétards dans les manifs
! Je suis toujours incapable d'assister à un feu d'artifice... La
guerre ça marque et ça laisse des traces indélébiles, d'autant
plus pour les enfants. Au passage, pensez à ceux de Gaza notamment
qui vivent un martyr épouvantable !
Mon
père avait un side-car et lorsqu'il n'allait pas à la chasse, nous
allions à Philippeville
(aujourd'hui Skikda)
pour nous baigner et plus tard pour visiter des amis qui étaient
logés dans une maison perchée sur une hauteur, juste au-dessus du
port. Nous allions à Stora
pour son poisson
aussi et c'est sur cette plage que j'ai appris à nager tout seul et
que j'ai mis un masque et des palmes généreusement donnés par
Félix,
le plus proche voisin qui pratiquait la chasse sous marine en mer,
loin du rivage.
 | | Au-dessus de l'usine, à gauche l'atelier de Félix | En parlant de lui, il ne
faut pas que j'oublie de vous signaler la fascination que j'avais
pour son atelier qui se trouvait sur la terrasse et je m'y
précipitais lorsqu'il allait y bricoler. Il était très doué de
ses mains et, notamment, faisait des crèches animées pour noël
qui étaient dignes de figurer dans des concours.
Pour
en revenir à cette terrasse qui s'avérait être un véritable
centre de vie, nous nous y retrouvions en plein été pour « prendre
le frais »,
comme on disait, après des journées, calfeutrés dans nos maisons,
car nous subissions 45 degrés à l'ombre et je ne vous parle pas du
sirocco (vent venant du Sahara)
qui brûlait la peau de par les minuscules grains de sable qu'il
transportait. Donc le soir, nous y restions jusqu'à très tard,
assis sur des couvertures qui nous protégeaient de la chaleur
emmagasinée par les carreaux. Lorsque nous allions nous coucher
vers les 1 h du matin, ils étaient encore chauds !!! Ces moments là
restent joyeux dans mes souvenirs. Tous ensemble, on arrivait à
mettre les attentats et tout le reste de la guerre de côté...
 | | École Victor Hugo | Au
niveau scolarité, j'ai fréquenté une classe maternelle, au Lycée
Laveran,
ajourd'hui
El Houria,
(Coudiat),
mes classes en école primaire à l'école Victor
Hugo
qui avait pour particularité d'avoir une annexe près du musée et
qui accueillait les CM1 et CM2 et le Cours Complémentaire que j'ai
évoqué plus haut qui était à quelques mètres de mon domicile
dans la même rue. Une remarque saugrenue et assez connue :
nous apprenions que nos ancêtres étaient le Gaulois, au grand
étonnement de nos camarades musulmans, mais aussi de nous-mêmes le
pieds-noirs, car nos lien avec l'Hexagone étaient très, très
superficiels. Pour nous aussi, notre pays était l'Algérie dans
lequel cohabitaient plusieurs ethnies : Berbères,
Kabyles,
Mozabites,
Chaouis,
Touaregs
et puis ceux que l'on appelait officiellement les Français
d'Algérie (pieds-noirs)... Cette anecdote est quand même assez
pittoresque et elle permet de voir jusqu'où allait se nicher le
colonialisme !
Le
dimanche, nous allions assez souvent chez des amis du côté de
Bellevue, de Sidi Mabrouk ou nous allions faire un tour à la
campagne, à Oued
Hamimine,
à proximité de l'aéroport,
où nous pique-niquions à la bonne saison.  Un de ces dimanches, le
1er novembre 1954, alors que nous rentrions de chez un fermier, nous
faisons halte chez des amis qui habitaient juste en dessous du dépôt
de la SNCFA où travaillait mon père, mes parents apprennent que
des massacres ont eu lieu dans la campagne et que la situation était
grave. J'avais 6 ans et je remarquais que les adultes parlaient à
voix basse et les visages étaient fermés. Je comprenais qu'il se
passait quelque chose de pas ordinaire et c'est ainsi que je vivais
la première journée de ce que l'on appellera hypocritement « les
événements d'Algérie ». Les jours qui suivirent
consacraient la révolte des Algériens, dont bon nombre
rejoignirent les rangs de l'ALN et du FLN pour mener la guerre de
libération. C'est ainsi que ma vie d'enfant s'est trouvée frappée
de plein fouet pendant 8 longues années où la France prétendait
mener des « opérations de maintien de l'ordre en Algérie »
et finalement disait mensongèrement œuvrer à une « pacification »
contre les « rebelles » comme elle appelait les
révolutionnaires algériens qui ne voulaient que se libérer du
colonialisme.
Pendant
8 ans, j'ai vécu une période historique dramatique qui marquera ma
vie pour toujours ! Elle pris fin le 18 mars 1962 (jour de
commémoration 19 mars) et je me suis retrouvé, à 14 ans, dans une
Caravelle, confié à une hôtesse de l'air qui me lâcha à
l’aéroport de Bordeaux
pour me remettre à mon oncle Norbert,
le frère de ma maman (Arlette),
venu me chercher avec sa 2 chevaux pour me conduire en
Charente-Maritime, chez ma grand-mère, Léontine,
qui m'a hébergé, à Gémozac,
pour toute l'année scolaire 1962-1963 et j'ai été scolarisé à
Pons
au lycée mixte pour les études et au lycée technique de garçons
pour l'internat.
C'est
sur cet arrachement à ma terre natale que se termine ce second
chapitre. |
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