dimanche 23 mars 2008

Assia Djebar : Femmes d'Alger dans leur appartement - Albin Michel - 2002

Assia Djebar : Femmes d'Alger dans leur appartement Pour parler des femmes algériennes, Assia Djebar a choisi le tableau que Delacroix a peint en 1832 après être entré dans un harem de la Casbah d'Alger. 15 ans plus tard, il retravaille sa toile et la présente au salon de 1849.

L'enfermement de la femme est un thème central de cette œuvre et il n'est pas étonnant que l'auteure ait saisi cette occasion artistique pour en faire le fil conducteur des 8 nouvelles de l'ouvrage.

La première nouvelle est un ajout récent. C'est la plus longue avec "Femmes d'Alger dans leur appartement" et elle s'intitule "La nuit du récit de Fatima". En 1918, Arbia est demandée en mariage par Toumi, un de ces nombreux algériens venus au secours de la France, lors de la grande guerre, aux deux frères de celle-ci. Devant le refus de ces derniers, il l'enlève avec la bénédiction de Magdouda, la mère de la jeune fille de 14 ans. La seule fille qu'ils eurent fut Fatima. Elle va très vite avoir un demi frère puisque ses parents acceptent d'élever leur neveu Ali, fils de Hassan devenu veuf. Fatima ira fièrement à l'école française d'Aumale et un an après son départ du système scolaire sera donné au même âge que sa mère à Kacem, un homme de 35 ans, sous-officier comme son père. Elle aura un garçon, Mohammed, qu'elle va confier à Arbia qui ne se console pas du départ d'Ali pour s'engager dans la marine. Elle aura un second fils Nadir qui prendra Anissa pour femme. Il y aura aussi une naissance et là je vous laisse le plaisir de la découverte de la suite de cette très belle nouvelle.

Suivent les sept autres nouvelles :
- Femmes d'Alger dans leur appartement,
- La femme qui pleure,
- Il n'y a pas d'exil,
- Jour de Ramadham,
- Nostalgie de la horde,
- Regard interdit, son coupé.

Toutes sont attachantes, émouvantes et ne cessent de narrer le quotidien des femmes, leurs difficultés à exister, leur enfermement, dans tous les sens du terme. Au passage, Assia djebar, par petites touches nous aide à comprendre l'Histoire de ce pays.

Ce recueil est si riche qu'il n'est pas possible d'en faire un résumé exhaustif. D'ailleurs, après avoir tenté de vous le faire aimer, je vais le relire dès que je serai parvenu au bout du "Serment des barbares" de Boualem Sansal dont je vous entretiendrai bientôt. Alors, Convaincus ?

Yahia

Boualem Sansal : Harraga (Roman) - Éditions Gallimard, 2005

Deux femmes algériennes face aux traditions

Ce roman m'a dérouté, un bout de temps. Le temps de m'aclimater au style de Sansal. Le temps de bien comprendre ce que sont ces fameux "brûleurs de route" - traduction littérale du titre du roman - et l'extrapolation qui en est faite par l'auteur.

Cet ouvrage est bien plus qu'un roman. C'est au-delà de cette Algérie des années islamistes. Il s'agit bien du destin de deux femmes différentes et par l'âge et par le caractère. Mais il s'agit aussi de deux femmes seules dans une société marquée par la prééminence de l'homme.

Chérifa, jeune Oranaise de 16 ans, est libre et vit dans son époque. Elle est paumée parce qu'abandonnée. Les circonstances de la vie l'amène à Alger pour chercher refuge chez Lamia, pédiatre et vieille fille, sur les conseils de Sofiane, son frère. Ce dernier a de son côté disparu pour rejoindre la France, comme tant de jeunes harraga.
Dès lors une histoire passionnante va se nouer entre ces deux femmes, magnifiques chacune à leur façon. Lamia folle d'inquiétude pour ce frère qui a déserté et Chérifa, enceinte, qui croque la vie à pleines dents et vient bouleverser l'univers quelque peu fataliste de la pédiatre.
La relation qui s'installe entre les deuix femmes est pour le moins assez épique : à la fois tendre et violente, compliquée, dérangeante pour Lamia jusqu'à présent résignée à sa solitude hantée par le passé, tout juste troublée par l'inquiétude par rapport à Sofiane et la mélancolie de sa soeur Louiza perdue au profit d'un mari fanatique et de la disparation de son frère Yacine dans un accident de voiture. Cette joyeuse pagaille semée par Chérifa va réveiller la vie de la pédiatre et sa douce folie.
Boualem Sansal reste fidèle à une écriture magnifique, riche et efficace. Dans ce livre, il raconte une histoire vraie et en profite comme toujours pour éclairer le lecteur sur la réalité de l'Algérie : islamisme, condition féminine, traditions, corruption à grande échelle, incapacité des algériens à vaincre l'ignorance et le "mektoub". Autant de raisons pour Lamia d'entrer dans des colères folles qui donnent lieu à des morceaux de littérature pittoresques où le langage fleuri rejoint le besoin de se révolter contre un système qui confine l'individu à la résignation, à la recherche des solutions immédiates du quotidien.
On comprend alors que la narratrice, Lamia, malgré une maison enracinée dans l'Histoire de ce pays, malgré qu'elle soit entourée, dans le quartier de Rampe Valée par des demeures hantées par des personnages hors d'âge, finisse par vouloir de toute son âme sauver Chérifa de ses errements, de ses excés qu'elle sait être dangereux dans cette ville d'Alger. Cette fille irritante, attachante s'impose comme étant incontournable dans la vie de Lamia et elle reste pertubatrice, fuyante, insaisissable...
La fin de ce roman est essentielle, sublime et lourde de symboles. Nous comprendrons qu'à Jamais ces deux femmes restent liées indissolublement.
Sansal, nous livre un magnifique roman où la vie est omniprésen te et où finalement et paradoxalement elle triomphe.
Yahia

mercredi 19 mars 2008

Salon du livre de Paris : la polémique

© Audrey WNENT Où la communication sert la manipulation et met de côté les convictions...

J'ai mis du temps, avant de publier ce message. Non pas parce que je ne savais pas où était ma conviction, mais parce que les dés sont pipés et que le terrain est miné. Sur des sujets comme celui-là, on ne peut plus, aujourd'hui se contenter de son intime conviction; il faut se garder des interprétations, des procès d'intention, des faux-semblants, des prétextes, des lobbies, de l'air du temps, bref pour une grande part de la désormais sacro-sainte communication !

C'est aussi pourquoi, je commencerai par des préalables, afin d'espérer être compris. Je le constate, il est bien fini le temps où la sincérité du propos suffisait. Il y a quelques années, je n'hésitais pas, sur un tel sujet, à livrer un avis tranché. Aujourd'hui, ça n'est plus possible et je le regrette.

Je prends tout de même la précaution de dire avec force combien je suis étranger aux propos intellectualistes, somme toute faciles et surtout soucieux de donner une certaine image de celui qui les exprime, lorsque ça n'est pas pour brouiller les pistes. Pour autant, je ne conteste pas, loin de là, aux intellectuels le droit, voire le devoir, d'alerter l'opinion.

Il m'apparaît comme très important de distinguer la réaction d'un occidentaml de celle d'un ressortissant arabe. Lorsque l'on vit le conflit, quelle que soit la façon dont on se place, on n'est pas du tout dans les mêmes conditions de réflexion que lorsqu'on y est extérieur. Ma qualité d'"Algérien-Français" me permet de le dire et c'est comme cela que je réagis moi-même, au premier abord. Combien les débats de salon sont relativisés par une telle remarque !

Je dois également à l'honnêteté d'exprimer ma très grande gêne par rapport à la position exprimée par les pays arabes, en général. Sentiment de malaise parce que le boycott prôné est en totale contradiction avec la façon dont ils règlent leurs problèmes intérieurs, notamment au niveau des libertés, et de la faiblesse de leur soutient à la Palestine.

Enfin, puisque ce sujet est très sensible, au regard du contexte historique et international et de l'exploitation qui en est faite, j'affirme que je ne mélange pas peuple israélien que je respecte et pouvoir israélien et je me garde bien de faire l'amalgame avec le sionisme ou le problème juif qui sont d'autres domaines de débat. De la même façon, je ne confonds pas islam et islamisme, peuple des pays arabes et gouvernement.

J'ai beaucoup lu sur le fait de savoir s'il fallait ou non boycotter le salon du livre de Paris. Plus pour mieux y réfléchir et ne pas risquer de me fourvoyer que pour déterminer ma conviction sur le sujet qui est que OUI le boycott organisé et accompagné par des actions fortes, concertées est la plus honnête des positions, si l'on veut bien considérer la question uniquement sous l'angle de la conviction profonde, indépendamment du reste, de tout ce qui touche aux calculs et aux apparences. En d'autres temps cette démarche de conviction m'aurait été plus spontanée et non susceptible d'aménagements, comme c'est la cas aujourd'hui puisqu'il me faut bien admettre que pour être efficace, il faut désormais prendre en compte les approches communicantes, les méthodes modernes qui régissent le débat public qui est souvent loin de l'échange d'idées et au plus près des intérêts étroits des individus, des groupes ou des institutions.

La polémique qui a accompagné la tenue de ce salon est là pour soutenir ce que je viens d'exposer. C'est pourquoi, je pense que, malheureusement, le boycott ne pouvait pas être une réponse capable d'éclairer les choses et que la manipulation politique, politicienne, l'étroitesse des motifs ne pouvaient que conduire à le vider de son véritable sens et de son authentique pouvoir : influer sur l'opinion internationale, interpeller les peuples pour que cesse enfin le martyre du peuple palestinien.

Dans ces conditions, il fallait organiser la riposte à ce qui m'apparaît comme une provocation, au vu du contexte israélo-palestinien. Cette nécessité s'imposait aux états arabes comme aux intellectuels de ces pays, à commencer par les écrivains, afin de délivrer un message clair et de faire de cet évènement une tribune pour la cause la plus noble qui soit : la PAIX et l'affirmation que le peuple palestinien a le droit d'avoir un pays qui se développe dans le respect de ses voisins et dans l'affirmation de son identité. Quant à nos intellectuels, il aurait été bienvenu que leur position soit concertée et sans rapport avec les intérêts personnels de tel ou tel !

Force est de constater que malheureusement cette démarche n'a pas prévalu. Le résultat sera donc que le débat a été dévié et que la cause du peuple palestinien comme celle de la paix n'aura pas avancé.

Nous avons donc assisté à l'exposé d'arguments qui n'avaient pour but que de légitimer des choses peu avouables. Fallait-il inaugurer ce salon avec le chef de l'État israélien ? Non, au regard du symbole qu'il supposerait. Était-il normal de privilégier les écrivains de langue hébraïque, alors qu'initialement le projet était autre ? Encore NON et résolument NON, si l'on veut bien admettre qu'aucun choix n'est innocent. En l'occurrence celui-ci était lourd de sens et la France n'avait pas du tout l'obligation de suivre Israël sur ce terrain ! L'ayant fait, elle ne s'honore pas comme ne s'honorent pas ceux qui se réfuigent derrière la césure entre homme de plume et citoyen...

Personne ne me persuadera que la légitimité du boycott est à géométrie variable : vrai, par exemple pour l'Afrique du Sud en son temps et injuste, voire hérétique pour la désapprobation de la politique israélienne aujourd'hui. J'ai vraiment le sentiment qu'aujourd'hui "le marché", les contrats tiennent lieu d'éthique et c'est tout bonnement insupportable.

Enfin, je ne peux terminer ce billet sans dire deux mots par rapport aux positions défendues par deux écrivains que je respecte et que je lis avec admiration. Maïssa Bey qui distingue sa qualité d'auteure et de citoyenne et Boualem Sansal qui Pense que la littérature ne doit pas être concernée par cette histoire. Je suis en désaccord avec eux et je ne doute pas que leur jugement n'a rien à voir avec de quelconques intérêts personnels. Mais je suis aussi surpris si je me réfère à ce qu'il défende si bien dans leurs livres.

Cette affaire aura au moins eu pour moi l'avantage de m'inciter à me documenter plus, à commencer par la fréquentation du blog de Ahmed Hanifi qui publie deux articles de la presse algérienne sur le sujet (L'Expression et El Watan) : http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/. Je ne serais pas complet si je ne signalais pas l'excellent site de Lounès Ramdani, référence pour tout ce qui concerne la littératrure algérienne : http://dzlit.free.fr/ ainsi que le forum qu'il anime : http://groups.yahoo.com/group/dzlit/ où la discussion a été très enrichissante.

Yahia

En clin d'œil, voici un article parlant lui du salon du livre... Algérien !

Le Soir d'AlgérieCulture : 7e EDITION DU SALON NATIONAL DU LIVRE Nous sommes tributaires de notre histoire !

Paradoxe. Comment envisager une quelconque ouverture de l’esprit culturel en Algérie lorsque l’accès au Salon national du livre se fait par un passage obligé et halte au stand dédié au président Bouteflika ? Quelle image offre cette manifestation dont les éditeurs ont choisi de boycotter le Salon international du livre de Paris parce que Israël en est l’invité principal ?

Difficile de croire que la thématique choisie pour ce salon «Ecriture et crise : esthétique ou engagement ?!» reflète la réalité.

Impossible de croire aussi que Mohamed Tahar Guerfi, président du Syndicat national des éditeurs et organisateur du salon, n’était pas au courant de cette initiative. Au-delà, il aurait pu estamper ce miroir qui nous renvoie vers l’amère vérité d’un pays soumis au diktat. Rattraper le coup et placer ce stand de la vénération parmi les autres, au mieux au dernier niveau de la Bibliothèque nationale du Hamma aurait été possible.

Le Salon national du livre à son 7e rendez-vous n’a finalement rien changé au cours de notre histoire. Nous sommes tributaires de cette identité qui à chacune de ces manifestations se retrouve dans la tourmente de la soumission politique. Parvenir à dissocier son appétit politique de celui de la lecture est apparemment impossible. Sinon comment justifier une adoration en grand format du président de la République !

Aller plus loin, avancer dans les allées du Salon du livre ne servirait presque à rien du tout puisqu’au final, la sortie se fera encore par le stand du président Bouteflika. Un stand où deux livres pour une seule écriture flashe le visiteur. Une écriture qui s’apparente à celle d’un vizir pour son roi. Il est donc plus facile d’afficher une position ferme lorsque ça concerne un autre pays.

Au premier niveau, le débat fait rage

Et là, il ne s’agit pas de cautionner ou pas le Salon international du livre de Paris, mais d’une rencontre entre journalistes spécialisés en culturelle et éditeurs. D’ailleurs, la question n’a même pas été envisagée lors de ce rendez-vous précieux.

Cependant, deux camps se sont affrontés dimanche dernier au premier étage de la bibliothèque du Hamma. Des antagonistes qui se rejoignent malgré tout dans un seul objectif : la culture de la lecture. Pour Fodil Boumala, l’animateur de cette manifestation, il est d’abord question d’envisager une solution au manque de communication promotionnelle entre les éditeurs et les journalistes.

Beaucoup de choses ont été dites. Beaucoup de problèmes ont été posés. Chacun y est allé de sa version. De ses convictions et de sa parfaite maîtrise de la chaîne de l’édition freinée par le manque de promotionnel. Le lecteur était cet après-midi-là au centre de toutes les préoccupations. Editeurs et journalistes ont livré franco leurs contraintes et notamment leurs craintes. Ils ont partagé leur désir commun de voir le champs culturel s’épanouir. Certains des présents ont rappelé le confinement intellectuel à celui de l’engagement économique. Le livre a un prix. La promotion aussi. L’un ne pouvant se passer de l’autre, des efforts ont été fournis et des promesses de concessions ont été faites.

De la bande de Gaza à la bibliothèque du Hamma

Ce sont des échos d’une sale guerre qui frissonnent dans un coin de la bibliothèque du Hamma. Des images de Gaza, des victimes mordues par des chiens, massacrées dans un coin de Jérusalem. Des enfants périssent sous nos yeux écarquillés. Mais le choc a déjà lieu. Il y a plus d’un demi-siècle que ça dure. Nous avons déjà vu ces séquences et nous les avons déjà condamnées.

La Palestine, un peuple frère est opprimé au quotidien. Et l’Algérie ne peut pas envisager de marcher sur la mémoire piétinée dans le déroulement du 28e Salon international de Paris. Même si son comité d’organisation réfute la célébration de la 60e année de la création d’Israël. Il s’est justifié simplement par l’élection d’Israël en invité d’honneur après six années d’attente. Pour les éditeurs algériens, les Français ont manqué de tact. Ils ont choisi de célébrer la littérature israélite au détriment du malheur palestinien. Ils ont préféré l’oppresseur. Sa littérature, sa culture et son pouvoir. La France par ses auteurs a choisi librement Israël. L’Algérie par ses éditeurs et ses auteurs continue à soutenir la Palestine.

L’histoire retiendra le discours inaugural d’Ariel Sharon. Un discours empreint de mépris à l’adresse des pays arabes. Comme elle retiendra les propos méprisants de Yasmina Khadra, directeur du Centre culturel algérien à Paris. Un vis-à-vis, trompe-l’œil, l’auteur de L’Attentat se fourvoie dans son rôle. Il en oublierait même son passé d’écrivain à controverse.

Sam H. lesoirculture@lesoirdalgerie.com

Source de cet article : http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/18/article.php?sid=65853&cid=16

dimanche 2 mars 2008

Maïssa Bey : Surtout ne te retourne pas (Roman) - Éditions de l'Aube, La Tour d'Aigues, 2004

Maïssa Bey : Surtout ne te retourne pasUn séisme à double sens

Ce roman m'a dérouté, un bout de temps. Il m'a fallu m'y adapter et laisser de côté les idées préconçues. Dès lors, la magie a opéré et j'ai rencontré l'univers de Maïssa Bey.

C'est l'histoire fascinante d'Amina qui décide, à l'occasion du séisme du 21 mai 2003, de disparaître de son foyer et ainsi devient totalement amnésique et se reconstruit une identité et une vie parmi les sinistrés.

Amina, devenue Wahida va se lier avec des femmes qui ont toutes une très forte personnalité, à commencer par Dadda Aïcha qui lui sert très rapidement de grand-mère. C'est autour de cette dernière et de Wahida/Amina que Maïssa Bey dresse le portrait de ces femmes courageuses qui ne s'en laissent pas conter et qui sont les premières à prendre possession du camp de réfugiés et à l'organiser. On reconnaît bien là la patte de l'auteure qui plutôt que d'avoir un discours misérabiliste sur les femmes algériennes, préfère les montrer comme elles sont en réalité : des femmes déterminées et combatives.

Je ne dévoile pas la fin de ce merveilleux roman pour ne pas en enlever la force. Il suffit juste de savoir qu'elle ne nous délivrera pas totalement du mystère. Le dénouement est bouleversant...

L'écriture est comme d'habitude précise, au service des personnages. Malgré le sujet, la lecture est plaisante et on se surprend à sourire à plusieurs reprises. C'est dire que l'humour n'est pas absent.

J'ai beaucoup apprécié la façon dont Maïssa Bey nous fait prendre conscience du poids de la tradition concernant ces femmes. En même temps, l'auteure parvient formidablement à nous convaincre qu'il faut rester optimiste quant à leur sort. C'est donc aussi un roman d'espoir pour l'Algérie. De ce point de vue, le rôle de la vieille Dadda Aïcha, femme sans âge, est fondamental puisqu'elle représente à la fois la tradition et aide au combat des femmes plus jeunes pour exister dans un monde machiste. Le symbole le plus fort étant sans doute sa détermination à faire que Nadia, une jeune fille sinistrée, puisse continuer ses études.

Ce véritable séisme, naturel et personnel pour Amina/Wahida, décrit d'une façon très réaliste, est l'occasion pour Maïssa Bey de passer en revue des problèmes de première importance pour la société algérienne : l'islamisme, la mauvaise gestion de la catastrophe, les hommes et le poids des traditions, la place des femmes au quotidien, la famille, etc...

Et si l'avenir de l'Algérie passait par les femmes !...

Yahia

samedi 1 mars 2008

Poste restante : Alger (Ed Gallimard mars 2006)

Poste restante : Alger (Ed Gallimard mars 2006) " Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes "

Voilà bien longtemps que je cherchais dans la littérature un écho à ce que je pensais au plus profond de moi, concernant la situation dans laquelle se trouve l'Algérie. Cette fois, pas de doute, j'ai trouvé !

Pour ne rien gâcher, Boualem Sansal dédicace cette lettre, datée du 1er janvier 2006, à Mohamed Boudiaf, Président de l'Algérie de janvier à jn 1992.

Sur 48 pages, il aligne dix chapitres pour faire le tour de sa pensée sur cette terre d'Algérie. Dans un style sobre, mais passionné, il balaie toute la période écoulée depuis la guerre d'indépendance, sans complaisance, sans exagération, avec la lucidité de quelqu'un qui aime son pays et qui se bat pour que ça change. Ses armes sont des mots, mots qu'il sait manier et qu'il met au service de la cause nationale.

Le lecteur de ce blog l'aura compris, l'écho que je donne de cet ouvrage ne sera pas objectif. A lui de se faire sa propre opinion en le lisant.

Dans ce qu'il appelle le prix du silence, Sansal constate que depuis l'indépendance, les Algériens n'ont pas pris le temps d'échanger, de se parler. "Personne n'écoutait l'autre" et la vie marquée par les pénuries, l'insécurité, l'instabilité, les multiples tracas du quotidien, la promiscuité ne permettait pas de faire autre chose. "Quand on est sans voix, on est lent à la détente", clamme Boualem Sansal, sans doute pour expliquer le manque d'implication de ses compatriotes dans les grandes questions algériennes. L'auteur ne manque pas dans ce premier chapitre, et à juste titre, de rappeler la riche histoire de ce pays, trop longtemps délaissée au risque d'oblitérer l'avenir.

Pourtant, il y en a eu des moments de grâce, constate Boualem. Ils permettait l'espoir, la prise en main de son destin par le peuple algérien. Ça ne s'est pas fait parce qu'on a réprimé dans le sang, on a verrouillé, on a interdit cet espoir, y compris par l'assassinat de Boudiaf, le 28 juin 1992 par un officier de la gade présidentielle. L'espoir était ailleurs disaient les jeunes algériens qui ne pensaient plus qu'à quitter leur pays. Dans ce contexte, la multiplication inouïe des partis en a rajouté à la confusion et à la désaffection politique des masses.

C'est alors le recourt au "système D" qui prévaut, selon Sansal. Pour survivre, pour espérer, tout est bon, de la parabole piratée, à la chasse aux visas en passant par la recherche des denrées rares. Le dilettantisme des uns, le papillonnge des autres, la jalousie du voisin, ont meublé le temps au détriment de la réflexion collective et de la prise en main des affaires pour le plus grand bénéfice du parti unique, omniprésent.

Quoi de pire dans tout cela que "le temps des censeurs" ? On comprend de suite que les "gardiens autoproclamés du temple" qui sont aussi bien des institutionnels que des gens ordinaires, ne sont pas les plus appréciés. Ces personnages sont d'autant plus redoutables qu'ils sont à l'extérieur et jouent sur l'idée nationaliste pour justifier le black out. Pour Sansal, l'ennemi, c'est "le blocus de la pensée". Quoi de plus juste !

Pour Boualem Sansal, "le temps de la colère et des mises au point" est venu. On ne confisque pas comme ça la libération d'un peuple du joug colonial pour "une dictature à la Bokassa".

C'est alors que l'auteur se livre à un véritable inventaire de ce qu'il appelle "des constantes nationales et des vérités naturelles". Tout y passe, les certitudes officielles, véritables tabous, les fausses évidences les vérités qui ne le sont pas... Il est temps, dit-il, de sortir des slogans maintes fois assénés, qui n'ont pour but que de maintenir le peuple dans l'ignorance. Il est temps de sortir des approximations arrangeantes, de l'histoire officielle. En quatre temps, Sansal bouscule tout ça et invite à la réflexion :
- Le peuple algérien est arabe
- Le peuple algérien est musulman
- L'arabe est notre langue
- La guerre de libération et son histoire
Quatre sous chapitres que je ne dévoilerai pas, tellement leur lecture est jubilatoire... Précipitez-vous et lisez, vous ne le regretterez pas.

C'est au tour de la décennie noire d'être évoquée. La période 1992-1999 et l'incroyable référendum de 2005 sur la réconciliation nationale. Cette "paix des cimetières et le retour des tueurs" fait dire à Sansal "la vigilance est le premier devoir de la vie et nous en avons abondamment manqué".

Concernant la "place (de l'Algérie) dans le monde et le regard (porté sur) lui (par les Algériens)", "c'est à nous qu'i revient de donner à notre pays une place gratifiante", conclue Boualem Sansal.

Enfin, en parlant de l'article 4, Boualem déclare "la loi ne fait pas l'Histoire, elle l'assujettit" et plaide pour une "Histoire repensée". Nous autres, Français, ça nous rappelle des débats nationaux d'actualité. Comme quoi, les mêmes causes produisent les mêmes effets...

Dans le dernier chapitre, "le temps qu'il fera demain", le lecteur est convié à l'action : libération des journalistes emprisonnés, abrogation du code de la famille, vérité et justice, nouveau jugement de l'assassin de Boudiaf, vérité sur l'assassinat d'Abane Ramdan et de bien d'autres encore, vérité sur la corruption et la confiscation des bien nationaux par une caste, justice sociale, élections libres garanties par l'ONU, réécriture de l'Histoire, etc...

Encore une fois : il faut lire ce livre salvateur. C'est la parole d'un Algérien pour des Algériens. C'est un plaidoyer pour une Algérie moderne dans laquelle "nous avons à oeuvrer, il n'y a rien de plus urgent pour le moment." Vous qui avez lu ce pamphlet, faites écho à ce billet pour poursuivre le débat. Merci.

Yahia