vendredi 15 février 2008

Maïssa Bey : Bleu, blanc, vert

Le ton juste : du quotidien au fonctionnement de la société algérienne

Couverture de Bleu, Blanc, vert de Maïssa BeyBleu, blanc, vert ou la manifestation du patriotisme algérien qui se défait du joug du colonialisme ! Je me suis posé la question de savoir si ce fait avait eu une réalité, mais je pense que c'est plus un procédé littéraire qu'autre chose. J'ai trouvé ce symbole très fort et comme tout le reste du récit, sa force réside dans son caractère anecdotique, quotidien.

En fait, en cette rentrée 1962, ce prof défendait des vraies valeurs, celles que nous avons abandonnées aujourd'hui, malheureusement. Et parce qu'il était attaché à ces valeurs, je suis de ceux qui regrettent que le socialisme ait été aussi mal abordé en Algérie. L'importation brute et massive du modèle soviétique n'a laissé aucune chance pour qu'un autre modèle économique que celui du capitalisme ne triomphe.

Plus loin, dans le récit, Maïssa Bey nous suggère la réflexion sur ce socialisme non ressenti en nous faisant toucher du doigt les conséquence d'une politique du plein emploi ou de la gratuité non partagée par le peuple parce que pas consulté. Elle complète la réflexion en attirant notre attention sur la corruption, les passe droits et tout ce qui va avec qui sont érigés en système. Elle met là le doigt sur de vraies questions qui ont pesé très lourd sur le sort des Algériens et qui continuent de faire des ravages.

A ce propos, je suggère de se pencher sur l'histoire du mouvement de libération algérien qui portait déjà en lui les éléments qui ont conduit à cette situation en Algérie. Par exemple, pendant la guerre de libération, des hauts gradés détournaient l'argent de la révolution, parallèlement à la lutte constante pour le pouvoir. Et je ne parle pas de la confusion entre guerre de libération et révolution. Mohammed Harbi en parle très bien et d'une façon très documentée dans "Le FLN Mirage et réalité des origines à la prise du pouvoir (1945-1962)" aux éditions Jeune Afrique.

Maïssa Bey a trouvé le ton juste et elle atteint son but : comprendre, grâce à toutes ces réflexions du quotidien, des problèmes bien plus complexes. J'ai été très intéressé par ce qu'elle rapporte du rapport des acteurs du roman avec les européens restés au pays. Sans tomber dans la mièvrerie et la complaisance ou au contraire la caricature haineuse, elle traduit avec beaucoup de justesse le fait que les uns et les autres sont de la même terre.

Je trouve aussi qu'elle met bien en lumière également le mélange des cultures et la part de la culture française, vrai particularisme de ce pays. Elle nous permet de mieux appréhender les graves évènements qui ont traversé l'Algérie. Elle a pris le parti de raconter la vie ordinaire, sans tomber dans la démonstration militante habituelle et parvient au but recherché. Le lecteur comprend mieux ce qui est arrivé au peuple algérien, au lendemain de l'indépendance si chèrement acquise. Elle met au premier plan l'héritage culturel alors que le monde change et qu'il y a nécessité pour l'Algérie à s'émanciper.

J'ai trouvé intéressante et efficace la structuration du récit autour d'Elle et Lui. Cette façon de croiser deux sortes de journaux intimes est un beau procédé littéraire, en même temps qu'il permet une vérité assez étonnante.

Ci dessous l'avis d'une amie avec qui j'ai échangé mes impressions :

Un petit bijou, tant par le récit que le style

-Le récit : la double histoire de l’écrivain ( je n’aime pas le mot écrivaine !),analysant sa vie et se mettant à la place d’Ali ! Pas de pleurnicheries, même dans les moments les plus durs, beaucoup de noblesse, d’acuité face à cette occupation pas forcément mal perçue ! Une vie régie par les tabous,la famille, l’amour, le désir ardent de la liberté, et du peuple algérien et de l’être humain tout court ! Bref ! on lit ce roman d’une traite !
-Le style : le registre du langage change à chaque évolution en âge de la narratrice :phrases courtes, vocabulaire simple lorsqu’elle est enfant !
Phrases élaborées, vocabulaire poétique quand elle se raconte, plus pragmatique lorsqu’elle se met dans la peau d’Ali !
Ce roman m’a emballée, d’autant plus que j’étais en Algérie de 1970 à 1973 et que j’ai ressenti son vécu ! Pendant les vacances scolaires, je ne rentrais pas en France.
J’allais à Alger avec une amie algérienne qui me racontait exactement ces choses de la vie après l’indépendance, ses flirts, tout en sachant qu’elle pouvait être mise au banc d’une certaine société conservatrice !
Voilà ! Je ne me suis peut-être pas bien fait comprendre mais je conseille ce livre !

Françoise

jeudi 14 février 2008

Najia Abeer : une auteure algérienne partie trop tôt

Najia Abeer en Bretagne (Janvier 2005 - photo Serge Gilard) Najia Abeer en Bretagne (Janvier 2005 - photo Serge Gilard)

Najia devant la porte de sa maison natale (la Souika, Mai 2004) Najia Abeer, de son vrai nom Benzeggouta, était rebelle, passionnée, parfois violente, mais toujours à l'écoute des autres et soucieuse de partager l'Histoire de son pays, de sa ville. Tous ses écrits le prouvent et c'est aussi en cela que nous sommes tous orphelins. Elle était libre et indépendante, rien ne pouvait la faire taire. Elle avait le courage de ses opinions. Elle avait l'intelligence et la dignité. Elle était "droite dans ses bottes" et c'est tout cela qui la rendait attachante. Elle avait le sens de l'amitié fidèle et donnait sans compter, malgré tous les aléas de la vie, de sa vie.

Najia était passionnée par sa ville. Elle la défendait bec et ongle, avec talent, comme lorsqu'elle s'est engagée corps et armes, jusqu'aux plateaux de télé, pour défendre La Souika de Constantine, alors qu'elle disparaissait sous les coups de boutoir des buldozers et des pelleteuses.

Dans "Constantine et les moineaux de la murette", son premier roman, elle écrivait : "La Souika reste pour moi ce labyrinthe digne des héros mythologiques. Les ruelles de la vieille cité sont sinueuses, capricieuses, extravagantes et rebelles. Ses raccourcis, petites voies de passages et impasses, sont si étroits que seuls leurs habitants savent que ce ne sont pas des couloirs privés. Une ébauche d'escalier pas plus large qu'un mouchoir de poche, grimpe vers la maison de voisins depuis longtemps émigrés en France. Quelquefois, une ruelle se perd dans l'ombre d'une voûte ou abouti à un cul-de-sac transformé en lieu privé où laine lavée et couscous fraîchement roulé sèchent en sécurité. Les femmes poussaient leur liberté jusqu'à s'y réunir pour causer." (Constantine et les moineaux de la murette - Éditions Barzakh, Alger, Janvier 2003)


Son écriture était fluide, belle. On s'y retrouvait et on l'y retrouvait, à condition de la connaître un peu. Elle n'a pas eu le temps de tout exprimer ce qu'elle avait en elle. Tout le temps, elle voulait entreprendre quelque chose de nouveau, au risque de s'éparpiller, de se saouler. Dernièrement, la peinture avait suivi le chemin de ses poèmes et elle travaillait sur des projets de documentaires et d'autres publications, encore et encore consacrés à Constantine.
Oui, Constantine l'obsédait.
Oui, Constantine lui échappait dans ton exil algérois.
Oui, Constantine l'inspirait.
Oui, Constantine l'appelait, dans sa détresse des maisons détruites.


Avant de décéder un jour d'octobre 2005, elle a eu le temps d'écrire trois livres. Deux d'entre eux faisait partie d'une trilogie qui restera inachevée. Entre les deux, elle a publié un ouvrage, comme un véritable cri qui est essentiel, si on veut bien la connaître.



Constantine et les moineaux sur la murette (Najia Abeer Ed Barsac)
Constantine au cœur !

Couverture Constantine et les moineaux sur la muretteC’est par l’intermédiaire des « Amis de Constantine » que j’ai fait la connaissance de Najia Abeer, née la même année que moi (1948), Professeur d’anglais et Auteure (elle tenait beaucoup au "e" final...), constantinoise militante, habitant actuellement Alger qui a écrit un superbe livre sur sa jeunesse à Constantine : « Constantine et les moineaux sur la murette ». Najia qui est devenue une amie, que j’ai rencontrée au mois de Mai 2004, à Constantine, avec qui j’ai passé des moments émouvants. Najia, la généreuse qui s’est mise au service de mon projet et qui s’enthousiasme autant que moi…
Najia, avec qui je pouvais parler de tout et avec qui j’ai eu beaucoup de complicité.
Najia, avec qui j'ai passé 2 jours, à travers la lecture de son très beau roman, avant d’effectuer mon retour au « Bled ».
Najia qui m’a offert Sa « Souika » en mai 2004, en me la faisant découvrir.

Comment dire ce que je ressens ? Comment traduire des sentiments enfouis et remis au jour ? Les mots n'ont pas toujours la force de la Vie et pourtant elle a si bien dit les choses !
Je me suis refais mon parcours en parallèle avec le sien, puisque nous sommes nés la même année, et tout ce que tu dis, Najia, est juste, fort et sans fard. Simplement, tu t'en doutes, en ce qui me concerne les influences étaient ailleurs et, tu le sais bien, nous n'avions pas le choix.
J'ai été très touché par la description de l'ambiance de la ville qui, au fil des années, s'est dégradée, a été empoisonnée, mais n'a jamais été tuée puisque s'il restait de bons roumis , il y avait aussi les « bons arabes ». C'est vrai qu'on en était réduit à ça et, pour nous, gamins de cette époque douloureuse, la recherche identitaire a pris des chemins dévoyés et les rigoles sur le bord de nos routes sont devenues, trop souvent, des fossés.
Dans un autre registre, j'ai beaucoup aimé les descriptions de ce que je n'ai pas vraiment connu, pour cause de guerre. J'ai, je crois enfin situé la Souika (affreusement dénommé « village arabe » sur les plans coloniaux !), si chère au cœur de Najia et le quartier Sidi El Djellis. Souika est située en contrebas de la place Lamoricière, sous Sidi Rached et Ben Djellis vers le quartier juif.
En tous cas, elle a su trouver les mots pour parler de la maison familiale qu’elle a quittée pour aller à Sidi El Djellis et, si j'ai bien compris, à Sidi Mabrouk.


Cette chronique d’une enfance vécue est très touchante. D’abord parce que de très nombreux souvenirs extraordinairement précis jalonnent le récit et puis parce que l’on comprend très vite tout l’amour de la narratrice pour sa ville. On y suit la jeunesse d’une petite fille arabe que la guerre, si hypocritement appelée « évènements », sépare de plus en plus de la communauté française. Elle devient bouleversante quand le lecteur réalise que Najia est à la recherche de ce qui a pu la séparer de son Rocher (Constantine est bâtie sur un rocher, ce qui en fait tout son charme), puisqu’elle est « expatriée » sur Alger depuis de nombreuses années. C’est dans la chronique familiale que se trouve la clef.
Dans ce roman, l’Auteure part à la reconquête de l’antique Cirta, comme si la ville des ponts l’avait répudiée. Au fil des pages, le lecteur occidental trouvera un excellent guide de Ksentina et celui qui a des souvenirs à partager communiera avec cette enfant élevée pour une bonne part dans la « Souika » et ayant fréquenté les européens grâce aux différentes écoles qu’elle a fréquentées avec son pédagogue de papa, successivement instituteur, directeur et conseiller pédagogique, féru d’Histoire.
Une grande vertu de son livre est de montrer la place que doit occuper l'Histoire dans nos existences. Cette place qui a manqué à ce Peuple algérien, je l'ai constaté lors d’un voyage en 84, pour s'approprier son pays et, au-delà de la libération du joug colonial, forger une vraie identité politique. Ben Bella a vraiment fait preuve d'une naïveté coupable qui a permis le phénomène Boumédiène, qui n’a pas arrangé les méfaits subits par notre Pays, après la France.
C’est un livre attachant, sensible, premier tome d’une trilogie dont le second volume est achevé et devrait donc être édité dans les mois à venir, en 2005. On le lit d’un trait, avec les odeurs de cette ville magique et ses bruits témoins du quotidien de cette cité imprenable, certes assez conservatrice, mais si hospitalière, aux habitants fiers et généreux. Cette générosité, on la retrouve à chaque page de ce livre merveilleux.



L’
Albatros (Najia Abeer – Éditions Marsac septembre 2004)


Couverture de l'AlbatrosCe deuxième roman de Najia Abeer ne ressemble pas au précédent. C’est une parenthèse dans la trilogie en cours d’écriture. Parenthèse importante puisque outre l’analyse politique et sociale, l’auteure, avec une précision chirurgicale, nous dévoile les combats personnels de Nedjma.
L’héroïne qui ne peut être que la copie conforme de celle qui l’a créée, se débat dans une société en crise, auprès (le plus souvent loin) d’un mari nombriliste qui ne se soucie que de sa carrière. Elle se bat contre un cancer implacable et repousse la mort avec succès, tout en élevant ses trois enfants. Belle revanche sur la vie et sur les hommes !
Mais le combat de Najia/Nedjma ne s’arrête pas là. Il lui faut surmonter une grave dépression consécutive à la terrible maladie qu’elle a provisoirement vaincue et à sa solitude. Elle puise ses forces dans sa foi en un Dieu qui n’a rien à voir avec celui des barbus et dans sa révolte face au glissement de son amie Haoua, vers les profondeurs de l’obscurantisme. Cette révolte, loin de la priver de ressources face à la déprime, lui donne une vigueur supplémentaire. De front, elle mènera la lutte contre le vide affectif et la gangrène de l’islamisme.


C’est finalement un livre optimiste, puisque ce ne sont pas les forces du mal qui tirent leur épingle du jeu. La seule héroïne de ce roman très bien écrit, Nedjma, arrive à vaincre le mal qui la ronge et celui qui envahit la société algérienne.
Ce livre est tellement vrai que, par instant, c’est carrément l’auteure qui parle, sans même se réfugier derrière Nedjma. C’est alors un véritable cri.
Il restait à Najia Abeer à achever ce qu’elle a fort bien commencé avec le parcourt de Haoua : un autre roman qui, centré sur cette femme happée par l’intégrisme, nous éclaire avec la sensibilité propre à l’auteure sur cette décennie noire et le rôle des femmes algériennes dans la lutte pour se débarrasser des fous de Dieu.




Bab El Kantara de Najia Abeer (Éditions APIC, septembre 2005, 222 pages ISBN : 9961-769-16-3)
La chronique d’un temps révolu à la recherche de l’espoir

Couverture de Bal El KantaraCe troisième roman de Najia Abeer, second de sa trilogie qui restera malheureusement inachevée, au-delà de la chronique d’une élève de l’École Normale de Constantine des années post libération nationale est encore un cri d’amour à la « Ville des Ponts » si chère à l’auteure. C’est aussi et toujours la quête d’un amour impalpable qui marquera à jamais la vie de la narratrice.
Dans le premier tome de la trilogie (Constantine et les moineaux de la murette 2003), nous avions quitté Joumana alors qu’elle abordait l’adolescence, dans un pays tout juste libéré du colonialisme. La recherche de Louise, la maman de Joumana, était déjà une démarche douloureuse et désespérée. Elle se poursuit dans ce second tome et Joumana se livre un peu plus encore. Chaque description, chaque situation illustre la personnalité de la jeune normalienne.
Très habilement, l’auteure nous emmène presque banalement sur la vie quotidienne d’une institution très respectable qu’est l’École Normale. Tout y passe, depuis la majorité des professeurs qui sont des coopérants français jusqu’à la coexistence de deux bacs, l’un algérien, l’autre français, en passant par les premières générations d’arabophones qui marquent clairement l’indépendance de l’Algérie.
Le lecteur, porté par les aventures de Joumana et de ses compagnes, fait des incursions de plus en plus intimes dans sa vie familiale et suit le cheminement psychologique d’une jeune fille blessée par la vie, à la recherche d’une affection non exprimée. Cette intimité permet de comprendre comment s’est forgé le caractère de l’héroïne et on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec celui de la romancière.
Joumana, dans cet opus, s’affirme bien comme une citadine, issue d’une grande famille constantinoise qui fait sa fierté, malgré sa difficulté à la vivre et son incapacité à intégrer sa belle-mère dans le cercle familial. Elle développe ses relations à la fois complices avec son papa et toutes les ambiguïtés résultant de la difficulté pour ce dernier à maintenir les plateaux de la « balance » en équilibre : d’une part ses filles et de l’autre Samra, sa seconde femme et cousine, et la petite dernière.
C’est au travers de tous ces méandres que Joumana/Najia se construit, s’affirme et se dirige tout droit vers la capitale algérienne pour devenir le professeur issu de l’École Normale Supérieure, haut du pavé de l’enseignement, libre de ses actes, loin du cocon familial où elle étouffait.


Ce récit est rendu très vivant par les nombreux dialogues qui rythment les pages. L’identification est telle que nombre d’expressions sont celles de la Najia Abeer des dernières années, comme des indices nous permettant de mieux la connaître, après sa disparition récente.
Ce deuxième tome de la trilogie, se lit à plusieurs niveaux. Les intimes, ceux qui ont côtoyé de près la narratrice, la comprendront mieux, après lecture. Les autres retiendront plus un témoignage unique des premiers pas des enseignants algériens formés dans la foulée de l’Indépendance. Reste aussi pour tous un nouveau cri d’amour pour le « Vieux-Rocher » qui veut se conjuguer avec l’espoir dans l’avenir d’une Joumana/Najia rebelle et moderne qui veut trouver la quiétude dans son univers familial.


Merci Najia, pour tes écrits qui nous manquent déjà, car tu avais tellement à dire encore…


Yahia

mardi 12 février 2008

Boualem Sansal : Le village de l'Allemand

Cet écrivain de talent, m'attire beaucoup. J'aime bien sa façon d'aborder les questions. Il est en général lucide et sans concession.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt et de plaisir "Harraga" et "Poste restante : Alger". Je reviendrai sur ces deux ouvrages ultérieurement.

Couverture Le village de l'Allemand (Boualem Sansal)Par contre, son dernier livre "Le village de l'Allemand" m'interroge, après la lecture de nombreux articles de la presse algérienne notamment et l'écho de Ahmed hanifi sur son blog : http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2008/01/sansal-et-le-village-de-lallemand.html

J'ai choisi l'aricle ci-dessous qui me semble être assez représentatif de la presse algérienne.

Nul doute que je vais lire cet ouvrage et que j'en parlerai sur ce blog.







Boualem Sansal (Écrivain) : Audacieux ou délirant ?


Après la parution de son roman Le village de l’Allemand, Boualem Sansal est crédité en Occident comme « un grand romancier arabe ». Pour les nombreux lecteurs algériens qui connaissent les œuvres de cet écrivain talentueux, Boualem Sansal recèle de grandes qualités de style et « colle » à la réalité.
Il est, indiscutablement, un écrivain de son temps et c’est ce qui fait son succès. Mais quand les médias occidentaux l’affublent de « grand écrivain arabe », c’est bien pour souligner une certaine désorganisation de personnalité qualifiée de façon insidieuse comme de l’audace. L’écrivain fait l’objet d’une opération de récupération à grande échelle pour avoir « osé dénoncer l’existence en Algérie des liens historiques entre le nazisme et l’islamisme ». Des journaux israéliens, notamment du Jérusalem Post, s’emparent du cas de Sansal. Avec du recul, on se demande si les accusations de ce romancier relèvent de l’audace ou, tout simplement, d’un délire paranoïaque mortifère qui se confirme au travers de toutes les déclarations aussi outrageantes qu’insensées du romancier. A l’apogée de sa maturité, Boualem Sansal semble perdre pied avec le réel. Dans le climat général qui prévaut, marqué par des confusions bien entretenues entre l’Islam, l’extrémisme et le terrorisme, notre romancier se relègue, volontairement ou non, dans un rôle peu glorieux de sous-traitant des théoriciens sur « le choc des civilisations » annonciateur d’une troisième guerre mondiale. Les interlocuteurs de Sansal, complaisants à souhait, ne relèvent pas le gigantesque écart chronologique qui sépare l’avènement du nazisme, né dans les années trente, et les violences islamistes apparues dans notre pays en 1990. M. Sansal répète inlassablement dans chaque interview que « des nazis ayant servi dans les camps d’extermination ont entraîné l’armée de Libération nationale ». Autrement dit, on n’aurait pas pu avoir notre indépendance sans le concours des résidus du 3e Reich… A l’appui de ses assertions, il s’en remet à des individus anonymes rencontrés dans un café vers 1980. Cette soi-disant présence de nazis, largement amplifiée, n’apparaît nulle part ailleurs que dans le génie de M. Sansal. Doué d’une qualité de conteur, Boualem Sansal captive l’attention de ses interlocuteurs. Il use de son pouvoir auprès de journalistes — crédules ou complices — qui pensent découvrir une Algérie pointée par un indigène du cru, comme une immense prison, un espace concentrationnaire. En observateur singulier, il divulgue un secret dont il est, apparemment, le seul dépositaire. Il fait état de « militarisation du pays, de lavage des cerveaux et même d’exaltation de la race » comme pour souligner de fantasmatiques similitudes entre l’Algérie contemporaine et l’Allemagne du national-socialisme. C’est fort. Se tournant vers la classe des révisionnistes qui glorifient l’occupation coloniale comme « un facteur de civilisation », M. Sansal apporte son argument ; il soutient que « l’histoire de la colonisation est instrumentalisée par les chefs d’Etat arabes pour désinformer le peuple. » Ajoutant une touche au tableau apocalyptique qu’il dépeint sur son pays, l’ancien haut fonctionnaire sort un autre scoop de son chapeau ; il déclare au Nouvel Observateur que l’Algérie est un pays où la « xénophobie, le racisme et l’antisémitisme sont érigés en dogme ». Et pour s’enliser un peu mieux sur le registre du sensationnel, l’écrivain aiguise l’appétit de ses nouveaux amis par une autre info hautement révélatrice d’une désorganisation psychique. Il aligne l’Algérie dans l’axe du mal, comme pour inviter un défilé de B 52 libérateurs sur nos têtes. Il lance au journaliste ébahi d’étonnement que « les Etats-unis, la France et Israël sont régulièrement sollicités comme des comploteurs par le pouvoir algérien quand il est aux abois ». Que vaut cette opinion accueillie sans critique ? Les chiffres du commerce extérieur de l’Algérie avec la France et les USA notamment, ne sont-ils pas, aussi significatifs d’amitié ? Les « révélations » de l’auteur du Village de l’Allemand ne méritent pas de démenti. L’analyse des propos démontre à l’évidence que l’homme est sous l’emprise d’une peur panique associée à des visions dans le cadre d’un complot à l’échelle mondiale. Il en est le témoin unique. Comme à travers la fresque de Guernica de Pablo Picasso, le roman de Sansal rassemble pêle-mêle tous les thèmes qui l’ont effrayé dans sa sensibilité et son émotivité d’homme de lettres. Faut-il lui en tenir rigueur ? Témoin et victime d’une époque de terreur qui semble ne pas finir, Boualem Sansal a vécu une tranche de vie dans la proximité avec la mort violente. Qui pourrait évaluer les dégâts d’une telle expérience dans toutes ses dimensions ? Les incohérences de Boualem Sansal sont un message à l’Algérie associée à l’image maternelle aimée et haïe en même temps. Romancier, à l’écoute de son temps, son système de perception a subi trop de sollicitations morbides. Dans ces conditions, l’envahissement de l’irrationnel dans le verbe est significatif d’un état traumatique.



Rachid Lourdjane
10 février 2008

dimanche 10 février 2008

Mes démarches pour obtenir la nationalité algérienne

La rue Sassy (actuellement El Kods) où je suis néCette aventure commence en le 23 novembre 2004, après mon séjour du mois de mai. Je m'adressais alors au ministre de la justice algérienne et à l'ambassadeur d'Algérie à Paris, en cestermes :
"« Je suis né le 25 juin 1948 à Constantine et j’ai quitté ma terre natale en Août 1962. Depuis, j’ai effectué 2 séjours en Algérie. Le premier en 1984, à Alger et Constantine et le second, très récemment, tout le mois de mai 2004 à Constantine.
Passé 57 ans, j’ai pris la décision de demander la nationalité algérienne, car je considère que ma terre natale est mon Pays et qu’à l’époque où j’ai été expatrié je n’avais pas le choix et, les années passant, il me semble temps de mettre fin à une situation que je n’ai jamais souhaitée et que je ne supporte plus.
À la retraite depuis septembre 2003, je peux à présent me rapprocher plus encore de mon pays et de ma ville, Constantine, je peux enfin venir plus souvent partager la vie de mes frères algériens.
Avant de terminer ma vie, je voudrais inscrire ce symbole, afin que mes enfants et petits enfants se souviennent que c’est la fraternité qui fait la richesse des hommes et des femmes qui vivent sur cette Terre.
Pouvez-vous me faire savoir les droits et les devoirs de quelqu’un qui obtient la nationalité algérienne et les démarches qu’il me faut entreprendre, ainsi que le délai d’obtention, dans le cas d’une réponse positive ?J’ajoute que, dans le cas où cette nationalité me serait accordée, je compte me rendre à Alger pour retirer les pièces officielles attestant de ma nouvelle nationalité.
Dans l’attente de votre réponse, que j’espère prochaine, soyez assuré, Monsieur le Ministre, de l’expression de mes sentiments respectueux et de mon attachement indéfectible en l’Algérie."

N'
ayant pas de réponse, le 18 février 2006, je m'adressais à nouveaux aux mêmes personnalités. Après avoir rappelé mon premier courrier, j'ajoutais :
"Permettez-moi d’insister pour vous dire combien mon questionnement n’a pas varié et surtout combien ma motivation de devenir citoyen algérien s’est renforcée, avec plus de force encore à l’occasion des derniers évènements.
Je vous précise enfin que je serai à nouveau sur le territoire algérien en septembre prochain, à l’occasion de mon retour annuel à Constantine. C’est dire que je serais tout à fait à même de me rendre à Alger pour satisfaire à toute démarche administrative.

Dans l’attente de votre réponse, que j’espère prochaine, soyez assuré, Monsieur le Ministre, de l’expression de mes sentiments respectueux et de mon attachement indéfectible en l’Algérie."

J
e reçu enfin une réponse lapidaire qui m'indiquait les articles du code de la nationalité auxquels je devais me référer pour prétendre à la nationalité algérienne. Le 8 juillet 2006, je reprenais ma plume et m'adressais encore à mes deux interlocuteurs :
"Par le présent courrier, j’accuse bonne réception de la réponse du Consul de France à Bordeaux (Réf : A/PLIC/06/2005/684//), à propos de ma demande de nationalité algérienne en date du 18 février 2006.
Je comprends tout à fait qu’en dehors de dispositions législatives spécifiques il ne soit pas possible de donner une suite favorable à ma demande. Dans le même temps, outre la très grande frustration que ce refus suscite, je regrette que le cas dans lequel je suis n’ait pas été envisagé par la législation algérienne.
Pour rappel, je vous précise à nouveau les termes de ma première demande, en date du 23 novembre 2004 :
« Passé 57 ans, j’ai pris la décision de demander la nationalité algérienne, car je considère que ma terre natale est mon Pays et qu’à l’époque où j’ai été expatrié, je n’avais pas le choix et, les années passant, il me semble temps de mettre fin à une situation que je n’ai jamais souhaitée et que je ne supporte plus… Avant de terminer ma vie, je voudrais inscrire ce symbole, afin que mes enfants et petits enfants se souviennent que c’est la fraternité qui fait la richesse des hommes et des femmes qui vivent sur cette Terre. » En fait, je demandais une sorte d’effet rétroactif.
Je me permets d’attirer votre attention sur ce type de demande, afin peut-être de favoriser l’émergence future d’un nouvel article au code de la Nationalité, dans le cas d’une révision future. Sans doute n’êtes-vous pas assailli de demandes de ce type et pourtant, dans le contexte actuel difficile des relations entre la France et l’Algérie. Dans la perspective d’une réconciliation des peuples des deux rives, dans le cadre d’une Histoire commune enfin reconstruite et assumée pleinement, ce type de décision pèserait vraiment en faveur d’une Algérie moderne, libre et reconnue comme une grande nation du Maghreb, partenaire incontournable de la France et de la communauté européenne. Je ne doute pas que ces éléments de réflexions entreront un jour en jeu et favoriseront un aménagement du code de la nationalité.

Pour l’heure, je continue d’espérer pouvoir acquérir la nationalité de mon pays de naissance. Selon l’article 10 du code de la nationalité, l’alinéa 1 précise « D’avoir sa résidence en Algérie depuis 7 ans au moins au jour de la demande. », l’alinéa 2 stipule « D’avoir sa résidence en Algérie au moment de la signature du décret accordant la naturalisation ».
Je vous demande donc comment, dans le cadre légal actuel, il m’est possible de satisfaire à ces deux conditions, étant donné que les visas touristiques sont accordés pour un mois et que le mieux que je puisse espérer est un visa culturel d’une durée maximale de trois mois. En effet, je suis près à résider en Algérie, dès lors que je n’aurai plus à veiller sur mes parents âgés et malades (mon papa a 82 ans et ma maman 78 ans). Mon âge actuel, 58 ans, me permet d’espérer avoir le temps de remplir les conditions.
La seule possibilité que je peux imaginer est la carte de résident renouvelable tous les deux ans. Pouvez-vous me renvoyer aux textes législatifs qui régissent ce cas et me préciser les formalités à accomplir pour l’obtenir ainsi que les conditions d’obtention ?
Dans l’attente de votre réponse, que j’espère prochaine, soyez assuré, Monsieur le Ministre, de l’expression de mes sentiments respectueux et de mon attachement indéfectible en l’Algérie."

L
e 14 décembre 2007, comme je n'avais aucune nouvelle, je décidais de relancer les choses :
"Par courrier du 8 juillet 2006, j’accusais bonne réception de la réponse du Consul de France à Bordeaux (Réf : A/PLIC/06/2005/684//), à propos de ma demande de nationalité algérienne en date du 18 février 2006. A ce jour, je n’ai aucune réponse. Aussi je me permets de revenir vers vous.

Je continue d’espérer pouvoir acquérir la nationalité de mon pays de naissance. Selon l’article 10 du code de la nationalité, l’alinéa 1 précise « D’avoir sa résidence en Algérie depuis 7 ans au moins au jour de la demande. », l’alinéa 2 stipule « D’avoir sa résidence en Algérie au moment de la signature du décret accordant la naturalisation ».

Je vous demande à nouveau, comment, dans le cadre légal actuel, il m’est possible de satisfaire à ces deux conditions, étant donné que les visas touristiques sont accordés pour un mois et que le mieux que je puisse espérer est un visa culturel d’une durée maximale de trois mois. En effet, je suis près à résider en Algérie, dès lors que je n’aurai plus à veiller sur mes parents âgés et malades (mon papa a 83 ans et ma maman 80 ans). Mon âge actuel, 58 ans, me permet d’espérer avoir le temps de remplir les conditions.
La seule possibilité que je peux imaginer est la carte de résident renouvelable tous les deux ans. Pouvez-vous me renvoyer aux textes législatifs qui régissent ce cas et me préciser les formalités à accomplir pour l’obtenir ainsi que les conditions d’obtention ?
Dans l’attente de votre réponse, que j’espère prochaine, soyez assuré, Monsieur le Ministre, de l’expression de mes sentiments respectueux et de mon attachement indéfectible en l’Algérie."

Cette fois, la réponse m'est parvenue assez vite du Consulat de Bordeaux (30 janvier 2008) :
"Suite à votre lettre du 14.12.2007 relative à la procédure d'obtention de carte de résidence en Algérie, j'ai l'honneur de vous informer que seuls les services des étrangers près des wilayas sont habilités à recevoir les dossier déposés par les étrangers se trouvant sur le territoire Algérien et désireux de s'y installer régulièrement.
Veuillez agréer...
Signé du Vice Consul."

Le seul progrès, c'est que l'on m'indique qui est compétent pour traiter des cartes de résident. Par contre, aucune réponse par rapport au fait qu'il est difficile de vivre sur le sol algérien avec un visa qui ne peut exéder trois mois !
Il ne me reste plus qu'à prendre à nouveau mon clavier et à correspondre avec la wilaya de Constantine. Qu'est-ce que cela va me réserver... Mektoub, comme on dit chez nous !

La suite dans un prochain post. C'est promis.

Yahia

samedi 9 février 2008

Français-algérien et déraciné

Balade Cirtéenne : depuis les gorges du rhumel sous le pont EL KANTARA, vue du pont de Sidi M'CidC'est l'histoire d'un petit gars du "Rocher" qui a bien grandi. Certains s'y reconnaîtront, d'autres comprendront peut-être mieux ce qui s'est réellement passé, ce qui se passe de l'autre côté de la méditerranée.

En 1962, personne ne m'a demandé mon avis, comme pour beaucoup d'autres adolescents il n'y avait rien à comprendre, rien à demander. C'était dans l'air du temps, tout le monde, ou presque, ne pensait qu'à une chose : partir ! Pourquoi ? Essentiellement, parce que la déception était énorme, la peur de l'après indépendance était la plus forte et, ce qu'on appelait les Pieds Noirs étaient persuadés qu'ils ne pourraient désormais plus vivre avec la communauté arabe. Et pourtant... Aujourd'hui, avec le recul, une meilleure connaissance des faits, à l'abri de l'intox, on réalise combien cet exode était infondé parce que provoqué par les extrémistes Algérie française. Et pourtant... je me souviens, lorsque mes frères arabes étaient dans la rue en liesse pour fêter leur indépendance, je me souviens que nous étions enfermés chez nous, stupidement inquiets, plus décidés que jamais à partir…Qu'aurais-je fait si j'avais été en âge de décider ? Ça je ne le saurai jamais ! Il me faut vivre avec cette interrogation et le sentiment d'avoir été privé de mon Pays, de ma terre natale, de ma ville, de cette belle Cirta, de Ksentina fièrement perchée sur son rocher, avec son Rhumel qui la transperce et ses multiples ponts qui sont un des charmes de cette ville dont on parle trop peu.

Balade Cirtéenne : depuis le haut des 'S', face au miusée, l'APC de ConstantineJ'entreprends ce blog, après avoir retrouvé un ami d'enfance perdu de vue depuis plus de 50 ans et après trois retour au bled (1984, 2004 et 2005). C'est si proche et si loin… En effet, comme nos chemins se ressemblent ! Comme nos racines nous manquent ! Comme nos goûts se ressemblent ! Quelle surprise pour nos épouses de constater combien nous partageons nos enthousiasmes, nos idéaux, comment nous magnifions nos souvenirs !


J'ai décidé de coucher sur le papier cette quête si précieuse, ce témoignage d'un déraciné, d'un immigré français-algérien parmi mes frères arabes-algériens, alors que 21 ans se sont écoulés depuis mon premier retour en Août 1984. Je me livre à ce travail de mémoire, alors que que je tente avec d'autres de renouer des liens culturels avec ma terre natale, notamment par le biais du travail associatif : http://www.adcha.free.fr/, un acte concret pour aider mon pays, pour faire partager une culture si riche et si généreuse, pour faciliter le dialogue et renouer les liens entre les deux rives..



Balade cirtéenne : le monument aux morts vu du bd de l'AbîmeIl n'y a pas de hasard. Sans doute fallait-il attendre la maturité pour passer à l'acte et profiter d'autres retours qui revêtent un vrai travail de quête pour faire le bilan, retrouver des émotions, des moments, des êtres !


Mais il y a plus que cela. Après trois retours en Algérie, j'ai dépassé le cadre des souvenirs retrouvés ou perdus. Aujourd'hui, si je retourne au bled, c'est que j'en ai besoin pour vivre mon pays et faire le plus de choses possibles pour lui et avec lui. Je me projette dans l'avenir de ce pays et, à travers mes retours que je voudrais être annuels, dans ma ville de Constantine, je tente de garder le lien, d'être en phase avec l'actualité algérienne et de contribuer, à mon niveau, au futur de ma terre natale.



Balade Cirtéenne : depuis le pont suspendu, le lycée Redha HoubouJ'ai en effet besoin de parler de ma terre natale, tellement l'éloignement m'est pénible. 2006 et 2007, ne m'ont malheureusement pas permis de retrouver ma ville, au rythme d'un mois tous les ans. Vraisemblablement, il en sera de même pour 2008...



Heureusement que les amis sur place, avec qui je maintiens le contact, m'aident à supporter cette douloureuse séparation.



je mène un projet d'écriture d'un ouvrage intitulé "Passeport pour mon Pays".



Je continue mes démarches pour obtenir la nationalité algérienne et je dois dire que c'est un long parcourt du combattant parsemé d'embûches, de difficultés, d'incompréhensions, de frustrations, de désillusions et de colère. Malgré tout, je tiens bon le cap et une prochaine contribution fera le point sur cette question.



Je vous signale le site Internet que j'avais fait à propos de mon retour à Constantine, en 2004 : http://yahia.jmp.free.fr/constantine 2004