" Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes "
Voilà bien longtemps que je cherchais dans la littérature un écho à ce que je pensais au plus profond de moi, concernant la situation dans laquelle se trouve l'Algérie. Cette fois, pas de doute, j'ai trouvé !
Pour ne rien gâcher, Boualem Sansal dédicace cette lettre, datée du 1er janvier 2006, à Mohamed Boudiaf, Président de l'Algérie de janvier à jn 1992.
Sur 48 pages, il aligne dix chapitres pour faire le tour de sa pensée sur cette terre d'Algérie. Dans un style sobre, mais passionné, il balaie toute la période écoulée depuis la guerre d'indépendance, sans complaisance, sans exagération, avec la lucidité de quelqu'un qui aime son pays et qui se bat pour que ça change. Ses armes sont des mots, mots qu'il sait manier et qu'il met au service de la cause nationale.
Le lecteur de ce blog l'aura compris, l'écho que je donne de cet ouvrage ne sera pas objectif. A lui de se faire sa propre opinion en le lisant.
Dans ce qu'il appelle le prix du silence, Sansal constate que depuis l'indépendance, les Algériens n'ont pas pris le temps d'échanger, de se parler. "Personne n'écoutait l'autre" et la vie marquée par les pénuries, l'insécurité, l'instabilité, les multiples tracas du quotidien, la promiscuité ne permettait pas de faire autre chose. "Quand on est sans voix, on est lent à la détente", clamme Boualem Sansal, sans doute pour expliquer le manque d'implication de ses compatriotes dans les grandes questions algériennes. L'auteur ne manque pas dans ce premier chapitre, et à juste titre, de rappeler la riche histoire de ce pays, trop longtemps délaissée au risque d'oblitérer l'avenir.
Pourtant, il y en a eu des moments de grâce, constate Boualem. Ils permettait l'espoir, la prise en main de son destin par le peuple algérien. Ça ne s'est pas fait parce qu'on a réprimé dans le sang, on a verrouillé, on a interdit cet espoir, y compris par l'assassinat de Boudiaf, le 28 juin 1992 par un officier de la gade présidentielle. L'espoir était ailleurs disaient les jeunes algériens qui ne pensaient plus qu'à quitter leur pays. Dans ce contexte, la multiplication inouïe des partis en a rajouté à la confusion et à la désaffection politique des masses.
C'est alors le recourt au "système D" qui prévaut, selon Sansal. Pour survivre, pour espérer, tout est bon, de la parabole piratée, à la chasse aux visas en passant par la recherche des denrées rares. Le dilettantisme des uns, le papillonnge des autres, la jalousie du voisin, ont meublé le temps au détriment de la réflexion collective et de la prise en main des affaires pour le plus grand bénéfice du parti unique, omniprésent.
Quoi de pire dans tout cela que "le temps des censeurs" ? On comprend de suite que les "gardiens autoproclamés du temple" qui sont aussi bien des institutionnels que des gens ordinaires, ne sont pas les plus appréciés. Ces personnages sont d'autant plus redoutables qu'ils sont à l'extérieur et jouent sur l'idée nationaliste pour justifier le black out. Pour Sansal, l'ennemi, c'est "le blocus de la pensée". Quoi de plus juste !
Pour Boualem Sansal, "le temps de la colère et des mises au point" est venu. On ne confisque pas comme ça la libération d'un peuple du joug colonial pour "une dictature à la Bokassa".
C'est alors que l'auteur se livre à un véritable inventaire de ce qu'il appelle "des constantes nationales et des vérités naturelles". Tout y passe, les certitudes officielles, véritables tabous, les fausses évidences les vérités qui ne le sont pas... Il est temps, dit-il, de sortir des slogans maintes fois assénés, qui n'ont pour but que de maintenir le peuple dans l'ignorance. Il est temps de sortir des approximations arrangeantes, de l'histoire officielle. En quatre temps, Sansal bouscule tout ça et invite à la réflexion :
- Le peuple algérien est arabe
- Le peuple algérien est musulman
- L'arabe est notre langue
- La guerre de libération et son histoire
Quatre sous chapitres que je ne dévoilerai pas, tellement leur lecture est jubilatoire... Précipitez-vous et lisez, vous ne le regretterez pas.
C'est au tour de la décennie noire d'être évoquée. La période 1992-1999 et l'incroyable référendum de 2005 sur la réconciliation nationale. Cette "paix des cimetières et le retour des tueurs" fait dire à Sansal "la vigilance est le premier devoir de la vie et nous en avons abondamment manqué".
Concernant la "place (de l'Algérie) dans le monde et le regard (porté sur) lui (par les Algériens)", "c'est à nous qu'i revient de donner à notre pays une place gratifiante", conclue Boualem Sansal.
Enfin, en parlant de l'article 4, Boualem déclare "la loi ne fait pas l'Histoire, elle l'assujettit" et plaide pour une "Histoire repensée". Nous autres, Français, ça nous rappelle des débats nationaux d'actualité. Comme quoi, les mêmes causes produisent les mêmes effets...
Dans le dernier chapitre, "le temps qu'il fera demain", le lecteur est convié à l'action : libération des journalistes emprisonnés, abrogation du code de la famille, vérité et justice, nouveau jugement de l'assassin de Boudiaf, vérité sur l'assassinat d'Abane Ramdan et de bien d'autres encore, vérité sur la corruption et la confiscation des bien nationaux par une caste, justice sociale, élections libres garanties par l'ONU, réécriture de l'Histoire, etc...
Encore une fois : il faut lire ce livre salvateur. C'est la parole d'un Algérien pour des Algériens. C'est un plaidoyer pour une Algérie moderne dans laquelle "nous avons à oeuvrer, il n'y a rien de plus urgent pour le moment." Vous qui avez lu ce pamphlet, faites écho à ce billet pour poursuivre le débat. Merci.
Yahia
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