dimanche 31 juillet 2011

Il l'aimait (2)

Le choc…


Cette nuit-là, il fut tout entier là-bas, comme si jamais il n’en était parti. Ses rêves l’emplissaient et il se réveilla bien déterminé à ne pas en rester là. Dès lors, il eut les tripes nouées, ses pensées accaparées par là-bas. Il écrivit à son ami Mourad pour lui dire son obsession, sa volonté de retourner au bled.

Il se trouva que dans sa classe - il était instituteur -, il y avait Nora, la fille d’un Algérois. Comme par hasard, les enfants travaillaient sur l’Algérie et c’est tout naturellement qu’il suggéra à son élève de mettre le papa à contribution. C’est ainsi qu’ils firent connaissance et qu’une amitié, petit à petit, se dessina. Les occasions pour parler du pays ne manquèrent pas. C’est tout naturellement qu’un jour, Ahmed, lui proposa de l’emmener avec toute sa famille. C’était l’occasion à ne pas rater. Il ne voulait pas y retourner comme un simple touriste et de plus, il n’osait pas y aller seul. Là, il se trouvait qu’Ahmed qui avait son âge, avait vécu les mêmes évènements que lui, de l’autre côté de la barrière, dans une autre ville. Faire ce voyage avec lui était chargé de sens. Après bien des discussions avec son épouse, ce fut décidé, les vacances d’été de l’année 1984 se passeront en Algérie. Dès lors, il ne se passa pas un jour sans qu’il fasse quelque chose en vue de ce voyage.

Son arrivée au port d’Alger ne lui laissera pas une marque indélébile. Il n’est pas encore dans SA ville, il a simplement conscience qu’il vient de poser les pieds sur sa terre natale et qu’il lui reste un long chemin à parcourir. Tout au long du séjour, même sur le Rocher, il aura cette sensation qui devint douloureuse. Certes il a été très bien reçu, avec chaleur et compréhension. On s’est mis en quatre pour qu’il réalise ses rêves. Mais il lui manquait cette intimité avec sa terre, cette communion qui ne se partage pas. Il avait déjà hâte d’y revenir tout seul, sans le regard de l’autre, dans une sorte de huis clos intime qui le délivrerait du passé.

Malgré tout, le passage de la pancarte « Constantine » restera un moment très fort, bouleversant et magique. Brusquement, tout bascule, plus rien autour de lui ne peut avoir de prise, même pas son épouse qui lui dit de demander sa route à un agent de police, ne s’apercevant pas que les yeux de son mari étaient noyés, baignés de larmes qui ne laissaient pas de place au quotidien. Il était enfin chez lui, comme s’il n’avait jamais quitté la belle Cirta. Il prit les petites rues de cette cité, sans douter un seul instant qu’elles le mèneraient directement dans SA rue.

Enfin arrivé, il se trouva face à Mourad, dans la petite rue de son enfance. Face à cet enfant, devenu adulte qui le reconnaissait sans coup férir, malgré les 22 années écoulées. « Toi, t’es Jean-Michel, khouya ! » Il tombe dans ses bras et tout s’enchaîne, comme dans un rêve. il se retrouve assis dans le salon à siroter un kawa et à déguster les pâtisseries de Nora, la maîtresse de maison. Mais Mourad voit bien que son regard est dirigé de l’autre côté de la rue, vers la maison qui fait face : celle de son enfance. Il le rassure, l’emmène vers cette terrasse où tant de choses se sont passées. Il est devant SA maison, face au cousin qui l’habite. Soudain, il rentre chez LUI. On lui dit qu’il est chez lui et que rien n’a beaucoup changé. Les tuyaux en plomb sont toujours là, les carreaux de la terrasse sont aussi bouillants qu’autrefois, les murs sont repeints, mais ont gardé leur couleur. Il y a juste une pièce de plus pour accueillir une famille plus nombreuse. On lui fait fête et il en oublie sa famille qui est là, les yeux grands ouverts, qui réalise combien c’est important pour lui. Les embrassades n’en finissent pas de le combler de bonheur et dès lors, il a le sentiment d’être rentré au pays. Il est enfin apaisé, bien qu’il lui reste une foule de sensations, de lieux à retrouver.
- Khouya, vas chercher tes bagages et installe-toi ici !

- C’est pas possible, mon frère, j’ai réservé à l’hôtel Cirta. Je ne peux pas ne pas me présenter, ce serait impoli…

- Pas question que tu dormes ailleurs. C’est un honneur et une grande joie de te recevoir chez moi !

- Et, ya khouya, comprends-moi, je suis l’invité de notre ville, je ne peux pas me comporter ainsi. Je vais voir avec eux, si on peut annuler les autres jours, mais ce soir, il faut qu’on dorme là-bas.

- Dans ce cas, tu laisses tes filles dormir ici et tu reviens dès demain matin. Je vais t’emmener en ville, tu vas retrouver tes souvenirs.

C’est sur ce deale que l’affaire fut conclue. Il alla s’accouder à la balustrade en brique de la terrasse et, machinalement, posa son regard sur cet homme qui balayait la rue, après la journée de travail de l’usine à vinaigre, comme on l’appelle aujourd’hui. « Javel » était écrit sur ce mur gris avec, dessous l’inscription en lettres arabes. Et ses yeux, tels celui de la caméra opèrent un travelling à 360 degrés, avec une série de zoom qui le transportent dans un autre espace temps. Il arrête soudain le va et vient de la caméra sur le garage de l’usine ; tout au fond il distingue un vieux Berlier couvert de tôle ondulée, la marque de l’époque, rafistolé de fil de fer : c’est celui qui y était déjà quand il vivait là. Son regard se porte alors, à nouveau, sur le vieil homme au balai et il reste bouche bée, tellement la scène qu’il vit lui semble celle d’hier, lorsqu’il était à cette balustrade, en face et qu’il observait les ouvriers s’affairer, en fin de journée. Il y est, là, tout de suite, sans transition ! C’est le même homme avec le même balai qui travaille de la même façon et fait les mêmes gestes qu’il y a 22 ans ! Il appelle Mourad et lui demande de lui confirmer la scène. L’émotion l’étreint encore et il est à nouveau petit garçon, dans cette Algérie tourmentée par une guerre qui mettra longtemps à dire son nom. Il lui faut de longues minutes pour se remettre de ce choc pas si anodin que cela. Il décide alors que plus rien ne l’empêchera de revenir et qu’il lui était vital de régler les comptes avec le passé, de retrouver l’Algérie d’aujourd’hui pour pouvoir appréhender celle de demain. Le repas fut magique, traditionnel et accueillant, riche en sensations.
Puis, le temps fila tel une météorite : sa maison natale, le cimetière, la visite des ponts, fierté de Constantine, le Rocher mythique, la rue Rol’, le Coudiat Aty, son école, son cours complémentaire à 100 m de chez lui, les esses, etc… Il a entrevu tout ces lieux, il a eu à peine le temps de les faire admirer par ses enfants et sa compagne qu’il faut songer à partir, à se séparer de la magie de cette cité pas comme les autres, à laisser ses amis. La déchirure est douloureuse, mais l’espoir est grand. Certes il a le tarab, mais il sait qu’il reviendra. Mektoub, comme on dit ici, Mektoub !

A suivre...

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