Il y a quelques jours, je recevais ce courriel d'Hubert Rouault, militant de 4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre). Les deux documentaires du réalisateur Mehdi Lallaoui sont fondamentaux et un grand merci à lui de permettre leur diffusion libre. Notre sincère gratitude également à Hubert pour avoir partagé ces informations.
«La commémoration du 8 mai 1945 n’est pas seulement celle de la victoire contre le nazisme mais aussi celle des massacres perpétués en Algérie en particulier à Sétif, Guelma et Kherrata.
À l’occasion du 70ème anniversaire de cette sanglante répression, le réalisateur Mehdi Lallaoui a repris son film de 1995 consacré aux massacres de Sétif pour le compléter avec des séquences que l’ECPA ( Établissement cinématographique et photographique des armées) lui avait dissimulées à l’époque en lui transmettant les films demandés.
En outre, il a rassemblé d’autres séquences, pour réaliser un court métrage consacré spécialement à la répression de Guelma.
Ces deux films seront en ligne le 7 mai sur le site Mediapart.
Mais il m’a permis également de les installer sur mon espace Dailymotion ce qui permet à ceux qui ne sont pas abonnés à Mediapart d’y avoir également accès et de les utiliser éventuellement lors de réunions.
Cordiales salutations.»
Ce film a été réalisé en 1995 et la plupart des témoins sont désormais disparus ce qui donne d'autant plus de valeur à cette collecte de mémoires.
Le réalisateur, Mehdi Lallaoui, vient d'ajouter à son film de nouvelles séquences documentaires, qui lui avaient été dissimulées en 1995 lors de la fourniture des documents par l'ECPA (Établissement Cinématographique et Photographique des Armées).
Des séquences montrant les brutalités et les crimes de la répression. Des "crimes contre l'humanité" car c'est la qualification qui devrait être retenue pour qualifier cette intervention qui, selon certains historiens, est la cause principale du déclenchement de la guerre d'Algérie.
«La commémoration du 8 mai 1945 n’est pas seulement celle de la victoire contre le nazisme mais aussi celle des massacres perpétués en Algérie en particulier à Sétif, Guelma et Kherrata.
À l’occasion du 70ème anniversaire de cette sanglante répression, le réalisateur Mehdi Lallaoui a repris son film de 1995 consacré aux massacres de Sétif pour le compléter avec des séquences que l’ECPA ( Établissement cinématographique et photographique des armées) lui avait dissimulées à l’époque en lui transmettant les films demandés.
En outre, il a rassemblé d’autres séquences, pour réaliser un court métrage consacré spécialement à la répression de Guelma.
Ces deux films seront en ligne le 7 mai sur le site Mediapart.
Mais il m’a permis également de les installer sur mon espace Dailymotion ce qui permet à ceux qui ne sont pas abonnés à Mediapart d’y avoir également accès et de les utiliser éventuellement lors de réunions.
Cordiales salutations.»
Hubert Rouaud
Ce film a été réalisé en 1995 et la plupart des témoins sont désormais disparus ce qui donne d'autant plus de valeur à cette collecte de mémoires.
Le réalisateur, Mehdi Lallaoui, vient d'ajouter à son film de nouvelles séquences documentaires, qui lui avaient été dissimulées en 1995 lors de la fourniture des documents par l'ECPA (Établissement Cinématographique et Photographique des Armées).
Des séquences montrant les brutalités et les crimes de la répression. Des "crimes contre l'humanité" car c'est la qualification qui devrait être retenue pour qualifier cette intervention qui, selon certains historiens, est la cause principale du déclenchement de la guerre d'Algérie.
En
complément de son premier film "Les massacres de Sétif-Un certain 8 mai
1945", tourné il y a 20 ans, et qu'il vient de compléter avec de
nouvelles archives, Mehdi Lallaoui a réuni dans un court métrage des
témoignages concernant Guelma où la répression fut aussi sanglante qu'à
Sétif.
Quelques interviews d'algériens et pieds-noirs suffisent pour
décrire la sauvagerie de cette répression dont la barbarie est
comparable à celle des nazis dont la France venait de se libérer...
Sétif,
1945. Un crime contre l’humanité
Vous mes frères, les loups d’un bois de servitude,
Faites frémir le ciel de vos sanglots damnés
Après la nuit glaciale où meurt votre harmonie…
Vous mordez votre flanc orgueilleux d’être vide
Pourtant j’aime vos cris importuns quand la neige
Couvre de pureté vos spectres maladifs…
(Kateb Yacine. Soliloques, 1946)
Les
massacres de Sétif qui se déroulèrent entre le 8 mai et la fin
juin 1945 est un terme générique qui couvre en réalité des
tueries sommaires qui eurent lieu dans une grande partie du
Constantinois. L’interruption brutale des cortèges populaires (à
Sétif et Guelma la police tira sur la foule) initiés par les
nationalistes algériens voulant fêter la victoire et rappeler les
promesses d’émancipation fut le déclencheur des émeutes. Elles
firent 103 morts chez les européens. La répression aveugle contre
la population algérienne fut terrible.
Il
y a 20 ans je réalisais pour la chaîne Arte et avec la complicité
de mon ami Bernard Langlois “Les massacres de Sétif, un certain 8
mai 1945”. Parallèlement “Au Nom de la Mémoire” Publiait un
livre1
de référence sur ces évènements. Pour ce travail et malgré les
routes incertaines dues aux Années de plomb en Algérie (les faux
barrages des groupes armés du FIS), je parcourais durant plusieurs
semaines le pays à la recherche des témoins et des survivants de
cette tragédie. Il nous fallait mettre des noms et des visages sur
les rescapés de cette ratonnade à grande échelle qui débuta le
jour de la victoire sur le nazisme contre lequel les hommes de la
région n’avaient pas été avares de leur sang. Parmi eux Amri
Bourras et son frère Saad (torturés dans les locaux de la
gendarmerie de Sétif) et bien d’autres témoins qui ne sont plus
parmi nous aujourd’hui. Ils nous ont quitté en laissant leur
témoignages de ces semaines terribles avec un seul message: que l’on
n’oublie jamais. Il en est de même pour tous ces hommes de retour
de guerre, les libérateurs du pays de France, couverts de blessures
et de médailles. Ils découvrirent leurs famille massacrées, leur
villages et leur cheptels détruits par les bombes et ...le déni
comme seule parole officielle.
Leurs descendants ont gardé leurs
médailles comme des preuves dérisoires de leur combats durant la
seconde guerre mondiale et de l’injustice qu’il leur a été
offerte en récompense de leur sacrifice. En France aussi, il a fallu
chercher trace de cette barbarie. Pour ce documentaire, je n’avais
mis en avant qu’un seul de ces soldats : l’aspirant Lounès
Hanouz dont le père et les fils furent assassinés en mai 1945. Un
jeune homme, Bachir Boumerza, qui deviendra cinquante ans plus tard
le Président de la Fondation du 8 mai 1945 témoignait du meurtre
des Hanouz en 1959 dans le livre “La Gangrène”2.
«
C’était le 10 mai 1945, à Kherrata, mon village natal. Hanouz
Arab, auxiliaire médical, à qui il était reproché d’être le
secrétaire de l’Association locale de culture et de bienfaisance,
était conduit avec ses trois enfants, dont le plus jeune avait mon
âge, devant la maison du seigneur-colon de mon village. Là, sur la
place, au milieu des encouragements de toute la population
européenne, femmes et enfants compris, les Hanouz furent torturés
pendant plusieurs heures par les légionnaires.
Le
soir, comme ils ne bougeaient plus, mais ils respiraient encore, les
soldats obligèrent les Musulmans à défiler devant ces quatre
corps, allongés le visage contre le sol. Les soldats transportèrent
ensuite les Hanouz sur un pont, à trois kilomètres de là, et les
précipitèrent d’une hauteur de cinquante mètres, dans
l’oued...».
La
plupart des anciens soldats qui étaient sur place et que nous avons
interrogés (ils avaient 20 ans en 1945) se souvenaient précisément
des faits et des exactions contre les populations algériennes.
Convocation de la conscience ? Quelques uns avaient comme qui dirait
“perdu la mémoire” en ne se souvenant que d’événements
anecdotiques et imputants aux autres les exécutions sommaires.
Sentiment de honte?
Aux
archives d’Aix-en-Provence et malgré nos demandes officielles
auprès des services de l’État, on nous refusa l’utilisation de
certains documents tel le rapport J.Bergé, du nom du commissaire de
la P.J d’Alger missionné pour enquêter sur les “rumeurs de
massacres” des milices coloniales dans le Constantinois. Ces
documents incommunicables, nous les avons empruntés quelques heures,
le temps de les photographier pour les rendre public. Nous les avons
remis à leur place, une fois notre forfait accompli. Ils figurent
dans notre documentaire “Les massacres de Sétif”. Enfin il y a
quelques années je découvris que les archives filmiques3
que j’avais commandées en 1995 à l’ECPA (Etablissement
Cinématographique et Photographique des Armée, aujourd’hui
ECPA-D) avaient été “nettoyées” de plusieurs séquences gênantes. Une de ces séquences soustraites lors de ma demande
initiale montre des soldats sur un Half-track exécutant à bout
portant deux ouvriers agricoles les bras levés. Ces images
interdites je les réintègre aujourd’hui, 20 ans plus tard, dans
ce documentaire.
Les
massacres de Sétif, Guelma, Kherrata commencèrent à être évoqués
publiquement par les représentants de l’Etat Français il y a une
dizaine d’années seulement. En effet il a fallu attendre soixante
ans pour que l’Ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de
Verdière, parle à propos des massacres perpétrés par la France en
mai juin 1945 de « tragédie
inexcusable »4.
Quant à Michel Barnier, Ministre des Affaires Etrangères, il
déclarait trois mois plus tard5
: «
Il
est essentiel pour construire un avenir commun que nous arrivions à
examiner ensemble le passé afin d’en surmonter les pages les plus
douloureuses pour nos deux peuples. Cela suppose d’encourager la
recherche des historiens, de part et d’autre, qui doivent
travailler ensemble, sereinement, sur ce passé mutuel ».
Le
Président de la République, François Hollande alla beaucoup plus
loin. Devant les deux chambres du Parlement algérien, il déclara en
2012, lors de son premier déplacement en Algérie «
Pendant 132 ans, l'Algérie a été soumise à un système
profondément injuste et brutal
(…) et
je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au
peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a eu les massacres de
Sétif, de Guelma, de Kherrata, qui, je sais, demeurent ancrés
dans la mémoire et dans la conscience des Algériens, mais aussi des
Français. Parce qu’à Sétif, le 8 mai 1945,
le
jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait
à ses valeurs universelles»6.
Le
déplacement à Sétif et l’hommage aux victimes du Secrétaire
d’Etat Jean-Marc Todeschini le 19 avril est certes à saluer, mais
n’apportera rien de nouveau. Nommer le crime sans le caractériser,
sans l’identifier comme crime contre l’humanité, c’est ne
faire que la moitié du chemin.
Car
au-delà des phrases et des tournures «les pages
douloureuses», «les drames inexcusables», «le système injuste et
brutal» de quoi parle-t-on ?
Nous
évoquons des massacres de populations civiles par les autorités
militaires et les milices coloniales dont les estimations vont de 9
000 à 35 000 morts. Nous évoquons l’utilisation de l’avion et
la marine de guerre pour réduire à néant des dizaines de villages
soi-disant insurgés. Nous évoquons les jugements sommaires et les
exécutions du même ordre de centaines de civils désarmés. Nous
évoquons, des tortures, des disparitions forcées de personnes, et
des emprisonnements dont certain prendront fin au jour de
l’indépendance en juillet 1962. Sétif 1945 est indéniablement un
crime contre l’humanité selon les définitions de la Cour Pénale
Internationale.
«Les crimes contre l’humanité incluent des actes commis dans le
cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre
toute population civile et en connaissance de cette attaque. La liste
de ces actes recouvre, entre autres, les pratiques suivantes :
meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation ou
transfert forcés de population, emprisonnement, torture (…)
Persécution d’un groupe identifiable pour des motifs d’ordre
politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste
(…)».
Depuis
des années les demandes de reconnaissance solennelle et officielle
en France des crimes de 1945 sont restées vaines malgré le rappel
chaque année par les associations de cette exigence de justice.
Cette exigence morale qui impose de mettre des mots sur les exactions
commises au nom de la République en Algérie, il y a 70 ans. Ces
reconnaissances qui permettent l’apaisement, la justice et la
transmission de notre histoire commune ont été possibles par la
voix du Président Jacques Chirac7
pour ce qui concerne la responsabilité de la France dans la rafle du
« Vel d’hiv » de juillet 1942. Elles ont été
possibles par la voix de l’actuel Président de la République dans
la reconnaissance des crimes du 17 octobre 1961.
Il
est temps de parler, il est de temps de ne pas oublier, il est temps
de bâtir.
«Rien
ne se construit dans la dissimulation, dans l'oubli, encore moins
dans le déni»,
disait lors de son voyage en Algérie (décembre 2012) le Président
de la République.
Aujourd’hui
les citoyens des deux rives attendent des actes !
Mehdi
Lallaoui
Réalisateur
et Président de Au Nom de la Mémoire
1.Chronique
d’un massacre. 8 mai 1945, Sétif, Guelma, Kherrata
de
Boucif Mekhaled. Edition Au Nom de la Mémoire. 1995.
2.
La Gangrène . P 33. Edition de Minuit.1959. Livre interdit en
France.
3.
Film nitrate ACT 415.
4.
Déclaration
faite le 25 février 2005 à Sétif.
5.
Entretien au quotidien El Watan, le 8 mai 2005.
6.
Déclaration du 20 décembre 2012.
7.
Déclaration du 16 juillet 1995
8.
Déclaration du 17 octobre 2012.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire