Guy, tu es parti en douce...
Tu aurais pu prévenir les copains du bled ! Sans doute que c'était une blague et tu as voulu rester dans l'humour en décidant de nous interpeller de tout là-bas, quelque part dans l'univers, par rapport aux évènements de notre pauvre planète et des microcosmes politiques français que tu as tant dénigrés.
J'espère simplement que tu as déniché dans un coin François Mitterrand et que, fort des années que tu as vécues après lui, tu lu as dit le dépit des vrais gens de 'Gôche'. Pas la 'Gôôôche' caviar, la Gauche du peuple qui n'a pas apprécié la duperie, voire la mascarade de son règne. Non plus de celui de son ami de parti François qui, loin de se conduire comme un père de la Nation, s'est fourvoyé avec ses pairs de droite.
Mais, ces lignes, je les écris parce que, sans le savoir, tu as été celui qui a réveillé mes racines algériennes et a rétabli pour toujours la sérénité dans ma vie, du point de vue de mes origines. De cela je t'en serai toujours reconnaissant et j'irai jusqu'à te pardonner ta complaisance aimable, malgré tes critiques acerbes, avec le monde des Mitterrand et consort.
En cadeau d'adieu, je te livre ci-dessous un passage d'une nouvelle parue sur ce blog le 25108/2008 : « Il l'aimait »
Surtout ne broie pas du noir. Garde ton humour et tes combats sans concession contre le racisme et l'antisémitisme.
Salut ! Je t'aime et tu me manques déjà, salopard...
Un moment fondateur...
La ville de Constantine est bâtie sur un rocher (extrait de Constantine Vue du Ciel De yann Arthus Bertrand) |
C’est alors qu’il s’arrêta
sur une image qui le paralysa. En fond sonore une voix au fort accent
de « là-bas » retenait son attention et une musique inhabituelle le fit
s’échapper. Soudain, il était loin, très loin de chez lui, au milieu des
oliviers, la chaleur écrasante qui ralentit tout, fait se suspendre le
temps.
Brusquement la voix se dessina et un visage familier apparu. C’était un humoriste bien connu de tous ceux de là-bas, en particulier, qui parlait de sa ville natale, de ce pays laissé à jamais, un certain été de 1962, alors que sa jeunesse lui interdisait de prendre la moindre décision. On avait choisi pour lui. Il n’avait rien à dire. Il prenait sans le savoir vraiment un virage déterminant pour sa future existence.
«… Je n’ai pas pu
m’empêcher de me retourner pour vérifier que tout allait bien. C’est que
dans ce coin, c’est plein d’arabes ! ». Il sursauta et dans le rire un
peu forcé de l’humoriste, il réalisa qu’il venait de dire ce que lui
n’osait pas exprimer : cette peur rentrée, inavouable, presque honteuse,
née de la guerre, longtemps appelée « évènements ». Le comique, comme
pour se défendre, venait de faire un mot pour dissimuler ces restes de
la terrible période où tout le monde vivait dans la violence des
affrontements pour garder une terre qui était la sienne sans lui
appartenir. La scène se passait à Annaba, Bône, à l’époque coloniale. Ça
n’était pas bien loin de sa ville à lui, l’imprenable, la fière perchée
sur ce rocher qui faisait sa réputation. La ville des ponts qui l’avait
vu grandir et partir soudainement pour s’exiler dans un pays dont il
avait la nationalité, qu’il avait déjà vu, en vacances dans la famille
de sa mère, mais qui lui semblait si loin. Soudain Constantine
s’imposait à lui comme une amante délaissée sans raison qui se
languissait de lui. Les petites rues écrasées par le soleil le
conduisaient tout droit vers sa maison natale au bord du précipice, de
l’abîme qui rend cette ville si grandiose.
Elle le saisit par les
épaules et tendrement l’embrassa avec toute sa compassion et sa
surprise. Elle ne comprenait pas pourquoi il pleurait. Pourquoi il
sanglotait si irrésistiblement, la poitrine secouée par des vagues plus
fortes que tout. Peu à peu, alors que le reportage touchait à sa fin, il
reprit pied dans la réalité et se retrouva désemparé, presque hagard
sur ce fauteuil à se demander pourquoi depuis tout ce temps il n’avait
pas ressenti cet appel du plus profond de lui, des origines de sa vie.
Il avait « mis » sa vie de là-bas entre parenthèses, sans le vouloir,
sans s’en apercevoir, comme si rien ne s’était passé. Après tout, il
n’avait été arraché à ce pays qu’à l’âge de 14 ans.
Il en avait 33 et ne
s’était pas méfié, emporté par le tourbillon de la vie. Accaparé par les
soucis du quotidien, ceux qui mettent tout à l’arrière plan, qui
relègue les souvenirs au placard de l’oubli, de l’indifférence, des
affaires classées. Mais la vie n’a cure de ces affaires dites « classées
». Elle se charge de faire en sorte qu’un jour le passé rattrape chacun
d’entre nous. C’était son tour, ça ne le lâchera plus. Il n’aura, dès
lors, de cesse que de retourner au pays, à la recherche d’une identité
perdue, à la découverte d’une vérité qu’il n’approchait toujours pas
malgré ses lectures. Comment avait-il pu, toutes ces années, se laisser
noyer par le tourbillon de la vie, au point qu’il ne sente plus vibrer
en lui ce « je ne sais quoi » qui est plus fort que tout, qui détermine
un individu, qui le fait avancer et se distinguer des autres : ses
racines. C’était un peu comme si l’arbre s’était desséché, faute d’avoir
été irrigué depuis longtemps, longtemps…
Peu à peu, il ravala ses
sanglots et revint dans cette demeure bien française, si loin de la
terrasse de son enfance où pourtant, le temps était si long les jours de
congé, alors qu’il cherchait à s’occuper, faute de pouvoir rejoindre
ses copains qui eux étaient dans la rue à pousser ces carrioles faites
de trois planches et de quatre roulements à billes, récupérés chez le
mécanicien du coin, de façon à dévaler la pente naturelle des rues, au
risque de se renverser et de récolter quelques belles décorations
couvertes de mercurochrome aux genoux qui marquaient ceux qui étaient
les plus téméraires, les casse-cou qui entraînaient les autres plus
timorés. Il n’avait pas le droit non plus d’aller traîner avec ses amis «
indigènes », de parler leur langue. Il ne connaissait que quelques
expressions entendues à l’école ou prononcées par son père. Il ne
connaissait que ces courts instants volés, sur le trajet du retour de
l’école, où, à la saison, il jouait aux noyaux, aux billes ou aux
capsules avec les copains et où on se battait pour conquérir plus au
moins honnêtement ce trésor dérisoire que représentaient les agates, les
bouchons de limonade ou ces noyaux d’abricots qui se négociaient avec
passion, non sans affrontements, tricheries en tous genres.
Cette
nuit-là, il fut tout entier là-bas, comme si jamais il n’en était
parti. Ses rêves l’emplissaient et il se réveilla bien déterminé à ne
pas en rester là. Dès lors, il eut les tripes nouées, ses pensées
accaparées par là-bas. Il écrivit à son ami Mourad pour lui dire son
obsession, sa volonté de retourner au bled.
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