Une « réfugiée mentale », un manuscrit comme
lien avec les racines et un lit retrouvé aux Puces
Abla est architecte et vient se réfugier en France avec dans ses bagages un vieux manuscrit du XVII ème siècle (11 ème siècle musulman) de son aïeul Si Kebir Belhamlaoui. Ce manuscrit va devenir un vrai personnage de ce roman profond, plein de sensibilité et qui va au plus près des sentiments des déracinés. Un autre personnage sera le lit Ottoman dans lequel elle dormait, au-dessus du Rhummel à Constantine qu’elle « retrouve » aux puces de Saint Ouen comme si elle l’avait déménagé dans La Souika, la médina de Constantine, sa ville natale.
C’est par hasard, alors qu’elle voulait s’abriter de la pluie, qu’Abla entre dans cette boutique d’antiquaire où elle va faire la connaissance d’Ali-Alain, autre natif de Constantine et ami de Jacques, le patron des lieux. De cette rencontre naîtra une étrange histoire d’amour, torturée qui va réveiller les origines d’Ali alors lancé dans l’aventure des élections municipales.
Abla vit dans un foyer de l’Armée du Salut, le Palais deb la Femme, non loin de la station de métro tristement célèbre, Charonne et psalmodie souvent des versets appris par cœur, dans sa jeunesse : « Allahouma Ô mon Dieu, bénis la parenté… Allahouma Ô mon Dieu, noie-moi… ». Ces prières reviennent tout au long du récit et soulignent le caractère tourmentée de la belle Abla. De quoi vit-elle ? Le lecteur ne le sait pas. Abla, en attendant ses papiers officiels, pense à vendre son précieux manuscrit légué par son grand-père, titulaire de la Légion d’Honneur. Elle va être mise en relation avec une experte de la BN et un commissaire priseur réputé intéressés par ce superbe objet décorés d’enluminures en couleur.
Abla n’a pas fuit l’Algérie sous la menace (c’est à l’époque de la décennie noire), elle a « fui la maladie de la mort, l’épidémie de meurtre, peut-être ai-je voulu me fuir moi-même… » « Considérez-moi comme une réfugiée mentale » dira-t-elle au fonctionnaire qui instruit son dossier à la préfecture pour sa carte de résidence et qui lui répondra que les textes n’ont pas prévu ce cas. C’est ainsi qu’existe Abla, en France. Elle est sans cesse reliée au passé, d’autant plus qu’elle retrouve ce lit et Alain et, en même temps le fui avec acharnement, dans des crises spectaculaires et totalement traumatisantes pour Ali qui l’aime profondément et à qui elle échappe sans cesse.
En fait, Abla n’échappe pas à ses racines, à son histoire, d’autant que ce manuscrit remonte à la nuit des origines. Manuscrit qu’elle n’arrive pas à quitter, comme si elle avait besoin de ce cordon ombilical « Ce manuscrit est une relique, des généalogies compliquées ont usé leurs yeux dessus, ont appris et répété des versets comme les anachorètes s’échinent sur les noms de Dieu jusqu’à l’évanouissement ; comme l’enfant répète son nom pour ne jamais l’oublier. » Finalement elle ne se séparera pas vraiment de ses origines : « Constantine est pour tous ses enfants la Ville des Villes, une cité métaphorique, une fiction de ponts et de mythes qui ne doit exister que dans le regard de ceux qui y sont nés, l’ont vue un jour et aimée »
Nourredine Saâdi nous offre là une très belle histoire, formidablement documentée avec des dialogues fondus dans le texte qui rendent cette œuvre vivante et très touchante, surtout pour une fils de… Constantine.
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