Une fable philosophique très forte
Un terrain vague à la périphérie d’une ville avec pour seul décor que la mer et une décharge publique. Tel est le décor du dernier roman de Yasmina Khadra.
Ach le Borgne et son protégé Junior le Simplet sont les héros d’une fresque haute en couleur. Avec eux vivent une ribambelle de paumés en tous genres : Mama la Fantomatique flanquée de son Mimosa, Haroun le Sourd, le Pacha et sa bande de poivrots qui ne dessaoulent pas, Pipo, Négus, Clovis, Bliss, les frères Djouz, Aït Cétéra, Dib etc… Cette une communauté forme un microcosme à l’écart de la ville, on a envie de dire à l’exclusion de la ville, et vit sur elle-même. Ils s’appellent les « Horr », les « clodos qui se respectent », c’est à dire des hommes libres. Libres de ne pas aller faire les poubelles des riches, dans la ville qui représente la pire des choses pour ces clochards. Libres de ne pas dépendre de la société. Libres de se passer du confort matériel. Libres de se saouler autant qu’ils le veulent.
Le récit gravite principalement autour de Ach le Borgne qui joue du Banjo et qui s’occupe de de Junior, comme un père le ferait. Il lui inculque ses valeurs et lui explique la vie à sa façon. C’est là que Khadra philosophe au travers de dialogues comme il sait les faire : haut en couleurs, pittoresques et terriblement efficaces.
On retrouve dans cette mini société tous les types d’individus qui peuplent les rues des villes. Leurs points communs qui les différencie des citadins étant l’indépendance dont ils font preuve en permanence, leur solidarité et la revendication têtue d’une liberté inaliénable. Ces êtres paumés, délaissés par la vie, abandonnés là au milieu des immondices ont des vraies valeurs. Elles seront remises en cause par la venue de Ben Adam (on remarque la malice de l’auteur dans le choix du nom…), une créature mystérieuse qui connaît le Monde et qui a bourlingué. Il va ébranler des certitudes acquises comme des vérités sacrées et va notamment remettre en cause le « couple » Ach-Junior.
A travers cette fable, Khadra porte un regard aigu sur notre société. Il est sans complaisance à l’égard d’une société mondialisée et touche du doigt l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. A la solidarité des « Horr », il oppose crûment l’indifférence de la ville. C’est si vrai que le roman se déroule dans un huis clos étonnant. Aucune relation avec les gens de la ville, même pas lorsqu’ils viennent abandonner leurs déchets. Et pour mieux montrer le fossé qui sépare les deux communautés, la seule fois où l’un des leurs va faire un retour dans le monde civilisé, il en sort meurtri dans tous les sens du terme. Comme si ce manquement à la règle méritait une dure sanction. Exclus vous êtes, exclus vous devez rester !
Khadra nous montre ce que nous ne voulons pas voir. Il nous force avec talent à regarder la vérité en face : notre égoïsme et notre individualisme. Dans cette cour des miracles, les biens matériels sont bien peu de choses et ils viennent tous de la décharge, alors que les nôtres sont le produit de cet argent pour lequel on travaille, cet argent qui constitue la seule valeur tangible de la société. Yasmin aKhadra nous met aussi face à notre aveuglement : comment peut-on ne pas voir ces SDF que nous croisons chaque jour dans la rue ?
Une nouvelle fois Khadra nous comble de par son écriture ciselée, précise et efficace. Cette fois il donne dans la philosophie, mais pas dans celle ampoulée des salons où l’on cause. Il nous donne une leçon de vie et nous invite à réfléchir sur notre société.
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