lundi 26 octobre 2009

Nouveau site pour Souad Massi

Souad Massi méritait un site régulièrement tenu à jour.

Devant l'indigence d'Universal pour la maintenance du site officiel, j'ai proposé à Souad de créer un site qui pourrait servir de référence. Elle a accepté et c'est donc ainsi que j'en suis venu à construire le site :

http://s.massi.free.fr/

Merci de le consulter et surtout, si vous avez des infos, des compte-rendus de concerts envoyez-les moi à : yahia.jmp@free.fr

Yahia

dimanche 14 juin 2009

Valence - La Fabrique : Bleu Blanc Vert - 22 mai 2009 - Compagnie « El Ajouad »

Un superbe spectacle, beau comme le roman de Maïssa Bey

J'avais consacré un billet au très beau roman de Maïssa Bey et j'avais dit tout le bien que j'en pensais.

Cette fois, c'est du spectacle dont je vais vous parler. J'ai fait le voyage de Cognac à Valence pour ne pas rater cette création de la compagnie « El Ajouad » qui était en résidence à la « Comédie de Valence ».




Au travers du cheminement de Lilas et Ali, c'est 30 ans de l'histoire algérienne qui sont balayés (1962-1992). 30 ans d'espoirs, d'épreuves, de déceptions, de souffrances. Une saga magnifiquement écrite par Maïssa Bey et magistralement adaptée par Christophe Martin, superbement mise en scène par Kheireddine Lardjam, astucieusement scénographiée par Émily Cauwet et sompteusement interprétée par la splendide Malika Bel Bey, Larbi Bastam et Samir El Hakim.


Pour mémoire, rappel de l'argument du Roman et donc de la pièce : "1962. Lilas et Ali apprennent brusquement qu'il est interdit d'utiliser le crayon rouge : le papier reste blanc, l'encre reste bleue, mais les corrections se feront dorénavant en vert.Il n'est pas question de maintenir le bleu blanc rouge, couleurs haïes de la colonisation. Nos deux héros, au moment de l’indépendance, un garçon et une fille, rentrent ensemble de l'école ; ils habitent le même immeuble. Ils se précipitent chez eux pour raconter ce premier symbole de l'indépendance : ils sont fiers, et se sentent les pionniers d'un acte fondateur. À partir de cet acte fondateur, les deux héros de “Bleu blanc vert”, roman ironique et amer de Maïssa Bey, racontent trente ans d'Algérie indépendante, de 1962 à 1992 où tout bascule avec la victoire du Front Islamique du Salut aux élections. " (http://www.comediedevalence.com/)

Sans aucun doute, comme le dit Maïssa Bey, cette pièce est " une création à part entière ". Dans le même temps, la pièce est d'une fidélité absolue au roman. À tel point que l'on a l'impression d'avoir sous nos yeux et dans les oreilles la totalité du roman. Pourtant le spectacle est exlusivement constitué des monologues, des dialogues des deux protagonistes, avec un plus non négligeable : les chants de Larbi Bastam qu'il interprète de sa voix puissante et profonde. Ces illustrations musicales ponctuent le spectacle et lui donnent une couleur particulière. Nos deux amoureux sont toujours sur scène simultanément, ils sont inséparables comme ils le sont dans l'histoire, malgré tous les aléas de la vie qu'ils rencontrent dans une Algérie bouleversée.


La pièce souligne très efficacement le poids de la tradition, les dysfonctionnements de la société, sous l’angle du quotidien. Avec beaucoup d'humour, d'ironie et d'amertume, elle expose les rêves du peuple algérien, jusqu’au moment ou il est totalement broyé par une guerre civile dévastatrice qui va durablement et durement marquer les Algériens dans leur chair et dans leur tête.


La mise en scène sensible de Kheireddine Lardjam est au millimètre : il n'y a rien de trop ! La scénographie très sobre et si symbolique d'Émily Cauwet est efficace et permet de bien circuler dans l'histoire de Lilas et Ali, mais aussi dans l'Histoire de la toute jeune Algérie.


N
ous finirons par les acteurs, sans qui évidemment rien ne serait possible. Au risque de me répéter Malika Bel Bey est éblouissante, elle est vraie et sans doute que ses larmes ne sont pas loin, en dehors des besoins du jeu d'acteur. Larbi Bastam lui donne une réplique du même niveau et crédibilise parfaitement les intentions des auteurs (roman et pièce).Quant à Samir El Hakim, il se livre à un exercice extrêmement difficile en chantant à capella, souvent après de longue stations debout, immobile sur la scène. Sa voix traverse la salle et ajoute incontestablement à l'émotion.


Nous étions 4 amis à nous rendre ensemble à cette représentation. Je me sens autorisé à dire que nous étions tous les quatre bouleversés. 3 d'entre nous n'avaient pas encore lu le roman. Ils se sont promis de le faire le plus rapidement possible. Ne passez pas à côté de ce que je considère comme un authentique évènement. Consultez la vidéo ci-dessous qui vous donne les dates de la tournée en France. Cette pièce va également tourner en Algérie. Je sais qu'elle sera jouée à Constantine vers le mois de janvier 2010 (confidence du metteur en scène). Dès que je trouve les dates algériennes, je les mets en ligne sur le blog.



jeudi 28 mai 2009

Alger : Panaf 2009

Panaf 2009 consacré au festival panafricain de cet été se tiendra à Alger


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mardi 26 mai 2009

Festival Arabesques de Montpellier (23 mai 2009) : Souad Massi


Une soirée extraordinaire et bien imprévue !

Quelle belle surprise m'a réservé Montpellier ! Alors que je consultais la newsletter de Mondomix, je clique sur le lien Arabesc ouisque l'affiche est magnifique et voilà que je me rends compte que Souad Massi fait partie de la fête. Son spectacle étant prévu le 24, tout est ok puisque je serai effectivement sur la ville. Je rentre d'un autre magnifique spectacle qui avait lieu à Valence. Il s'agissait de la création de la pièce Bleu, Blanc, Vert, d'après le roman de Maïssa Bey. Je vous en parlerai dans un autre article. Ne déflorons pas le sujet...

Revenons au spectacle de Souad. Dès que j'ai eu pris connaissance de la nouvelle, je me précipite au téléphone pour m'assurer auprès de Maryline qui me reçoit que nous étions bien libre. Je tente ensuite de joindre le festival pour obtenir deux places. Finalement, le 24, alors que nous étions sur la route, j'ai Manu, le régisseur de Souad, au téléphone qui me dit mettre deux invitations à la billetterie et nous invite à la balance que nous ratons de très peu.

Finalement, Souad me donne deux pass, afin que nous soyons libres sur le site. Nous discutons comme si nous allions rattraper ces deux années sans que l'on puisse se voir. Le lien est toujours aussi fort ainsi qu'avec Abdel, son mari et manager et bien sûr Jeff, Rabah et David le batteur à la jolie casquette. Le bassiste est nouveau et très sympa. Malheureusement Hamid ne sera pas là pour cause de budget. On fera donc sans le oud.
Souad part coucher Inji, ce merveilleux petit trésor. Pendant ce temps j'assiste à la balance d'Amazigh Kateb qui vient de Gnawa diffusion dont la réputation n'est plus à faire.

Ils assurent grave et laissent présager d'un show à la hauteur du talent de Souad Massi.

Un petit tour sur le site nous révèle combien ce lieu est formidable pour ce festival, quatrième édition d'Arabesc qui en appelle bien d'autres. Là je rencontre l'équipe de Kaïna qui est la chaîne télé qui couvre le festival. Après avoir bavardé avec eux à propos de Souad, ils sont intéressé par mon témoignage d'ami. Nous convenons de nous voir après l'hommage à Mahmoud Darwich.

L'hommage à Mahmoud Darwich, grand poète palestinien a été un moment très fort. Souad Massi a accepté au pied levé de lire un de ses poèmes en arabe et là encore les larmes me sont venues aux yeux. L'accompagnement musical, aussi discret que beau a bien soutenu ctte lecture.

Puis ce fut le tour d'autres artistes et personnalités parmi lesquelles Kateb Amazigh et son groupe, un rapeur et un artiste local dont le nom m'échappe qui ont lu des poèmes de paix et d'espoir. La musique était omniprésente et l'ensemble était très réussi.

À la fin du spectacle je rejoignis Kaïna TV


J'ai raconté ma rencontre avec Souad, un matin au volant de ma voiture... C'était sur France Inter, en 1999, et je me suis dit instantanément : " Ce sera une grande dame de la chanson " C'est ce qui s'est passé puisque Souad a eu très vite le prix Charles Cros et récemment la Victoire de la musique du Monde (2008). Puis Souad est venu à l'Avant-Scène de Cognac, en première partie de Charlebois. C'est là que nous avons parlé la première fois. Elle était transie de trac, seule sur scène avec sa guitare et le désormais célèbre " Raoui ". Sa voix était et reste sublime. L'année d'après, elle est veue pour son spectacle. Je venais faire des photos pour le théâtre pendant la balance et, à peine rentré dans la salle, elle m'interpelle :" Jean-Michel ! " Elle arrête tout, descend de scène et vient m'embrasser... Voilà notre histoire d'amour artistique et humaine, sous le contrôle d'Abdel a Khouya ! Depuis chaque fois que je le peux, je vais la voir et chaque fois c'est un enchantement !

Galerie photos

Les affiches des 4 éditions


La scène
La déco
La déco : le gombri

La déco : la mandoline

La déco : le oud
Puis est venu le temps de la musique, de la fièvre du live.

Kateb rentre sur scène et déjà les drapeaux kabyles et amazigh font leur apparition. à peine assis sagement sur un gradin du magnifique amphithéâtre d'O que les jambes me démangent et je vais me frayer un passage parmi les danseurs et surtout les magnifiques danseuses au pied de la scène. C'est très vite du délire et Kateb assure grave : " Le pouvoir au femmes algériennes Inch'Allah. Y'en a marre des généraux avec les moustaches en plastique ! " Tonnerre d'applaudissements, youyous magnifiques, les poils se dressent sur tout mon corps, j'ai les larmes aux yeux.

Le terrain est prêt pour Souad et ses musiciens. Ça va barder, d'autant que j'apporte à Souad un délicieux coktail au gingembre par une superbe malienne, en échange d'une photo après le spectacle.

Mon pass me permet toute liberté et c'est bien agréable. Muni de mon appareil photo, je passe du backstage à la fosse et je ne me prive pas de mitrailler tout ce qui bouge.

Les techniciens ont quelques problèmes de son et sont plongés dans leurs faisceaux invraissemblables de fils.

Finalement, Manu le régisseur de Souad fait signe que tout est ok. Les guitares sont accordées. C'est le temps du concert ! Me voilà donc posté pile poil face au micro, au ras de la scène, comme d'hab'. Un clin d'œil lorsque Souad me repère, elle sourit et parle avec les fans au pied de la scène et le concert démarre comme un bolide, dans une ambiance de feu. Pas de round d'observation. Jeff fait toujours merveille à la guitare. Les gens sont déchaînés et dansent d'emblée.

Souad a un nouveau bas-siste. Je vou-lais qu'elle chante " Bla-di ", mais il ne la connaît pas. Elle m'a pro-mis de me faire ce plaisir à Jonzac le 19 juillet.


J'attends donc ce jour avec impatience.

Yawlidi déclenche un triomphe, toute le monde saute. Puis une succession de chansons douces et l'incontournable partie de manivelle entre Rabah aux percussions (en l'occurence la derbouka) et le batteur. Triomphe absolu, tout le monde en redemande.

" Ghir Enta " et " Ech Dani " relancent le public dans des danses endiablées. Tout le monde chante en arabe. Souad elle-même en est impressionnée puisqu'il y a beaucoup de Français qui se livrent à l'exercice. A un moment, j'avais la stéréo : ma voisine kabyle, de sa belle voix faisait les chœurs et je l'ai encouragée à continuer.

Comme à l'habitude Jeff assure com-me un malade et il est bien aidé par ses copains musi-ciens avec qui il a une gran-de compli-cité. Je re-marque au passage qu'il a une six cor-des et une guitare électrique. Il a laissé de côté la douze cordes avec son charme si particulier.

Souad filmée par Kaïna Tv
Nécessite Réal Player


Mais il faut bien, finir... Les quatre musiciens tapent très fort et mettent avec Souad une ambiance de feu.
 
En me retournant je vois Inji, 3 ans et demi qui danse avec papa Abdel qui, pour une fois, va voir le spectacle de sa femme depuis les gradins.

Comme d'habitude, la scène se vide et Souad reste seule avec sa guitare : c'est le moment sacré de " Raoui ". Les bruits se calment, l'exitation baisse d'un cran et aux premières notes de l'arpège, c'est le silence et le recueillement. La voix cristalline de Souad nous envoûte. C'est le grand frisson et les larmes qui montent aux yeux. Le public reprend " Hadjitek, Madjitek ", sans que la magnifique Souad fasse quoi que ce soit. Et ça peut durer longtemps, toute la nuit tellement c'est beau. Les musiciens trempés de sueur viennent saluer. Souad serre des mains à volonté. Tout le monde en veut encore. Ils reviendront sur scène trois fois sous les bis du public conquis et finalement je vais les rejoindre en compagnie de mon amie Maryline, qui n'en revient pas de m'avoir vu si actif pendant le concert, backstage. On tombe dans les bras l'un de l'autre avec Souad et elle discute un moment avec Kateb qui vient la féliciter. Puis c'est au tour de Monsieur le Consul de bavarder avec Souad.

Une fois détendue, Souad consent à penser à manger. Abdel et l'infatigable Inji nous rejoignent et nous partageons un succulent repas : salade variée, cury de poulet gargantuesque et dessert surprise fait acvec des concombres, du sucre et de la fleur d'oranger. C'est délicieux. Il est plus de 2 h du matin, il est grand temps d'aller dormir. Avant, je me mets d'accord avec Souad pour développer un site Internet digne de ce nom puisque celui fait par Universal est laissé à l'abandon, malgré ses protestations. Donc avis à
tous, d'ici un mois Un nouveau site sera en ligne. Les amis du Groupe Yahoo! en seront prévenu et les autres seront alertés sur ce blog.
 
Je ne terminerai pas sans dire combien la direction, les bénévoles de ce jeune festival sont sympathiaques et compétents. Ils ont la chance d'avoir un lieu magnifique et j'espère bien que l'on continuera de leur donner les moyens de faire du si bel ouvrage. Rendez-vous l'an prochain : je couvrirai le festival en tant que correspondant de la revue l'IvrEsQ, jeune revue littéraire algérienne, dirigée par Nassira Belloula.
 
Salam et vive la fraternisation des Peuples et des Cultures !
 
 
 

lundi 25 mai 2009

Les années algériennes : Le retour de Madame Stora à Constantine (1990)

Extrait du film de Benjamin Stora
" Les années Algériennes " 1990

Merci à Benjamin Stora de m'avoir indiqué
le lien sur mon courriel privé. Atek Saha !

dimanche 17 mai 2009

Je tipase

Difficile ! Difficile d’oublier son passé. De faire table rase d’une Chronique portée en soi depuis des millénaires.

Et puis pourquoi oublier, Oublier quoi ? Qui ?

Trier les souvenirs, choisir les bons moments, ne garder que le meilleur en rejetant le pire.

Oublier pour mieux vivre demain.

Est-ce là que réside l’espoir tant attendu ?

Une visite dans le temps m’a permis de remettre ma pendule à l’heure. Figé depuis des siècles, j’attends comme tant d’autres, le signal du départ.

J’étais, hier encore, encore une fois, à Tipasa. Dans ces ruines que visitent toujours des âmes en détresse à la recherche de leur ombre. Tout, oui tout, a été dit, raconté, écrit, commenté, chanté sur Tipasa louée comme une reine vénérée.

Tipasa dont la mer flatte sans cesse les flancs dans un mouvement langoureux, presque charnel. Tipasa et ses ruines qui enfoncent plus profondément des racines chaque jour. Des ruines qui racontent, des arbres qui bercent des illusions fragiles. Des pierres qui parlent une langue inconnue.

Je triomphe, je ris, j’exulte, je jouis et je hurle de plaisir dans une communion parfaite.
Tipasa solitaire se veut gardienne de la mémoire. Vigile aux aguets, elle épie les moindres mouvements des fantômes qui errent.

Le décor est planté. Le Théâtre peut enfin ouvrir ses portes sur une pièce en un acte. Un acte décisif, fondateur, sublime, sexuel, bestial, primaire, primitif. Acte de naissance d’une cité qui réclame ses droits comme un dû exigé.Tipasa c’est hier, c’est demain, c’est toujours, c’est jamais, c’est ici, c’est nulle part ; c’est aussi la vérité, le mensonge, l’espoir étouffé, le dernier désespoir, la crainte, la violence, la force, le pouvoir, la pudeur et l’excès, la démesure, la culture, la campagne, la ville, la cité, la famille, le peuple, la liberté, la prison, l’honneur, l’ignorance ; c’est la mort, c’est la vie.

Et puis il y a ces bras qui se tendent, ces mains qui se tournent vers Soi pour une prière rituelle, ce soleil qui rougit de plaisir, ce ciel qui aspire, ce souffle imperceptible, régulier, saccadé, ces rugissements lointains, ces appels qui résonnent dans le silence de la nuit.

Tipasa, la belle, la douce, se veut parfois violente, dure, terrible, agressive, méchante. Elle impose son rythme, ordonne, juge, condamne et accorde son pardon dans un geste lent, magique, imperturbable souveraine.J’ai découvert Tipasa il y a bien longtemps. Bien avant qu’elle n’existe ! Je l’ai enfantée après avoir consommé une nuit de Noces épiques. Je l’ai aimée comme on aime vraiment, libre d’être enchainé, fasciné par une aura dont je me suis nourri.

Je l’ai aimée comme on aime une idée aux contours parfaits, humaine, inaccessible déesse.

J’ai aimé le vent qui courtise les nuages dans les branches des arbres, les oiseaux qui frôlent la crête des vagues, l’écume éblouissante, les remous incertains, la terre qui repose.

Je vagabonde, je marche, je cherche, j’appelle et l’écho me donne les réponses que j’attends, patient tranquille.

J’aime ce mouvement régulier, rectiligne, ordonné, agencé, rassurant ; cette précision mathématique, ce dosage précis, voulu, cette perspective improbable.Je maitrise, mais oui, cet espace-temps dans lequel se nichent les mots discrets de ma destinée.

Oui ! Je fais tout cela, consciemment, sciemment, appliqué comme un enfant studieux qui a compris depuis toujours, instinctivement, que là, se logeait, peut-être, l’objet de ses désirs.

Alors les souvenirs se mettent en marche, se dressent vaillamment, heureux de pouvoir dire enfin une Vérité pure. Et la ville s’anime, les marché se remplissent, les étals sont chargés de porter des péchés inavoués ; les roues font gronder les routes encombrées ; les enfants pleurent, rient, jouent, se chamaillent et les regards des mères se font plus doux. Les amants de la nuit se séparent tendrement et je m’endors fourbu pour retrouver mes rêves.

Tipasa m’a donné ce que je donne à mon tour, héritage sans prix, qui se transmet sans un mot, de père en fils, de mère en fille, de génération en génération.

Je Tipase.

© Aziz Fares - mai 2009

samedi 2 mai 2009

Reggane : la population sous la menace de la radioactivité

Arab Chih, Liberté, 14 février 2009


13 février 1960-13 février 2009. Il y a 49 ans, jour pour jour, la France avait réalisé ses premiers essais nucléaires dans le Sud algérien, à Reggane plus exactement. Ces premiers tirs effectués à Hamoudia avaient pour nom de code la Gerboise bleue. Leur puissance avait été trois fois supérieure à la bombe atomique larguée en 1945 par les Américains sur la ville japonaise Hiroshima. Ce jour-là donc, la France a fait son entrée triomphale dans la cour des grandes puissances nucléaires. En l’espace d’une année seulement, trois autres tirs auraient été effectués : la Gerboise blanche (1er avril 1960), la Gerboise rouge (27 décembre 1960) et la Gerboise verte (27 avril 1961). Tous des essais atmosphériques. Donc plus dangereux. Parce qu’elle n’avait pas explosé, la dernière bombe avait été la plus polluante. Et jusqu’à 1966, date à laquelle la France avait clos son programme nucléaire dans le Sahara algérien, pas moins de 13 autres essais, souterrains cette fois, avaient été opérés.
Si aucune étude sérieuse n’a été à ce jour effectuée pour déterminer, avec exactitude, les retombées de ces essais sur la santé des populations de la région, ces dernières vivent dans la hantise des irradiations. La propagation vertigineuse de toutes sortes de pathologies (cancer, diabète…) et de l’asphyxie de l’agriculture locale sont d’ailleurs imputées aux déchets nucléaires enfouis à Hamoudia, à 60 kilomètres de Reggane.

Pourtant, l’équipe de l’AIEA, qui avait inspecté en 1999 les champs de tirs, avait conclu à la faiblesse des risques de contamination, sauf dans quatre zones, qui doivent être interdites d’accès. Chose qui a été faite par la partie algérienne en 2006 en procédant au bornage du point zéro. Curieusement, les autorités algériennes, qui, depuis 2005, demandaient à cor et à cri la repentance de la part de l’ancienne puissance coloniale pour les crimes commis en Algérie, se sont imposé un silence assourdissant sur ce dossier. La raison ? Une bonne partie des essais nucléaires français s’étaient déroulés après l’indépendance du pays. Bien plus, il semble que les accords d’Évian, qui ont mis fin à une colonisation de plus de 132 ans, contenaient des clauses secrètes accordant à la France le droit d’utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires.

C’est vrai qu’en février 2007, le ministère des Moudjahidine a organisé un colloque pour demander à la France une réparation pour toutes les séquelles causées par ses essais nucléaires au Sahara algérien.
En décidant une réparation matérielle des victimes françaises, peut-être même algériennes, des essais nucléaires de Reggane, le gouvernement français aurait-il pour autant réparé définitivement le tort commis ?
Non. Car les habitants de Reggane mettent en avant deux revendications essentielles : d’abord la reconnaissance par la France de ses tirs nucléaires comme étant un crime contre l’humanité et contre l’environnement. Ensuite, la décontamination totale de Hamoudia pour en finir définitivement avec le danger des irradiations.

Malheureux destin que celui de Reggane
P
erdue au fin fond du Sahara algérien, cette localité n’en avait été pas moins embarquée dans un épisode de la longue et douloureuse histoire de la colonisation française en Algérie, qui n’a pas fini de livrer ses secrets : les essais nucléaires de triste mémoire. Son nom restera à jamais accolé à la bombe atomique française.
Et pour cause, c’était sur son territoire, à Hamoudia plus exactement, qu’avaient eu lieu les premiers tirs nucléaires, du nom de code la Gerboise bleue, avant d’être suivis de trois autres. L’explosion de la première bombe a été pour la France synonyme de visa d’entrée dans le club très fermé des puissances nucléaires.
Elle avait été aussi un motif de jubilation pour le général Charles de Gaulle au faite de sa popularité et qui, en apprenant la nouvelle, avait, dit-on, poussé de retentissants hourras de victoire.

Quelques détails sur les jours d’avant l’explosion de la bombe
C’était le 13 février 1960. Il y a quarante-neuf ans. Mais les préparatifs avaient commencé bien avant. Les autorités coloniales avaient installé, en novembre 1957, à Reggane une base militaire où étaient affectés 6 500 militaires français, au grand dam de certaines sociétés pétrolières qui faisaient alors de la prospection, avant d’être invités à quitter les lieux. Car, avec la décision des militaires français, Reggane était considéré alors comme une zone fermée.
Quelque 3 500 ouvriers algériens avaient travaillé dans cette base. Pour les besoins de pacification de la région ou, peut-être, par précaution, le personnel algérien subissait un renouvellement tous les deux à trois mois.
En l’espace de trois à quatre mois, l’heure de l’explosion avait été reportée à deux reprises pour raison de conditions climatiques défavorables.
La journée d’avant l’explosion, les militaires français avaient donné quelques consignes à suivre aux habitants de Reggane et des localités environnantes quitter leurs maisons, fermer portes et fenêtres, et surtout ne pas ouvrir les yeux au moment de l’explosion… Les femmes des militaires et les Français habitant à Reggane avaient été déplacés en dehors de la région.
Les officiers, eux, s’étaient retranchés à Reggane. Seuls les appelés et les ouvriers algériens étaient restés dans la base de Hamoudia, à 20 km du point zéro. Valet de chambre auprès de plusieurs colonels français depuis 1957, Ali Ben Didi Ben Salem était à Hamoudia la veille de l’explosion. « Ils nous avaient mis au courant plusieurs jours à l’avance. Certains appelés étaient fous furieux. Ils pleuraient et vociféraient des jurons contre leurs supérieurs », se rappelle-t-il, amer.
Des dosimètres avaient été distribués aux populations algériennes pour être récupérés le lendemain de l’explosion.
Du matériel militaire (chars, hélicoptères…) étaient disséminés çà et là aux alentours du champ de tir. Différentes sortes d’animaux avaient été exposés à différentes distances du point zéro et, selon les dires de certains, quelques-unes de ces bêtes auraient été récupérées par les habitants de la région, égorgées puis consommées.

Un vieux raconte le jour de l’apocalypse
L
e 13 février donc, à 7h04 du matin, ce qui devait arriver arriva : la bombe explosa. Quelques instants avant, un hélicoptère tournoyait dans le ciel en survolant toute la région et en émettant des signaux sonores. Un sinistre avertissement de l’approche de l’instant fatidique. « Tout le monde s’était mis à plat ventre en fermant les yeux des deux mains. Cette précaution ne m’avait pas empêché de percevoir la lumière. Ensuite, j’avais senti la terre trembler sous mon corps. Puis j’avais entendu un son que je n’oublierai jamais. Des portes et des fenêtres de certaines maisons que les propriétaires, dans leur fuite, avaient oublié de fermer, avaient été emportées par le souffle de la bombe », se souvient le vieux Ali Ben Didi. Et de poursuivre son récit : « Un militaire français et d’autres gens saignaient du nez. Beaucoup de fouggarras avaient été détruites. Quelque temps après, le ciel était recouvert d’un nuage de poussière qui restera au-dessus de la région jusqu’aux environs de midi. Les appelés français étaient montés sur la terrasse pour suivre du regard le nuage aller vers Tanezrouft, du côté de Bordj Badji Mokhtar. » L’éclat de la bombe avait été observé de Béchar, de Bordj Badji Mokhtar et même des frontières maliennes, poursuit notre interlocuteur.
Ce n’est que deux à trois jours après que la vie a repris son cours normal. Les Français avaient commencé à nettoyer le matériel de guerre. L’ingrate et dangereuse tâche avait été confiée à des Algériens protégés, il est vrai, par des combinaisons spéciales. En quittant la région au printemps 1964, les militaires français avaient rasé la base de Hamoudia et enfouis sous le sable tous leurs déchets. Le matériel militaire était acheminé vers In Ekker à In Salah. « Pendant plus d’un mois, des bulls procédaient aux remblayages. Ils avaient tout enterré sauf une bâtisse. À ce jour, je n’en ai pas encore percé le mystère. La route bitumée qui mène à Hamoudia avait été complètement détruite », raconte encore Ali Ben Didi. Au printemps 1964, les Français avaient quitté Reggane pour s’établir à In Ekker, du côté de Aïn Salah.

Site non sécurisé, pillage et business du cuivre
Laissé à l’abandon, le site avait fait l’objet, quelques années plus tard, entre 1968 et 1970, d’un véritable pillage. Tout ce qui pouvait être vendu ou utilisé avait été saccagé. Ignorant tout du phénomène de la radioactivité, des citoyens de Reggane avaient récupéré des tôles de zinc pour être utilisées comme toitures pour leurs maisons. Des tuyaux de la conduite d’eau de la base militaire de Hamoudia avaient été subtilisés pour être utilisés dans les seggias. Le site, une véritable mine d’or pour certains adeptes du gain facile qui y venaient de partout, y compris de la lointaine Béchar, à bord de leurs semi-remorques. Ils y restaient plusieurs jours en dressant des tentes sur les lieux mêmes de l’explosion. Le moindre objet ferreux ou ayant une quelconque valeur était ramassé pour être ensuite écoulé dans un quelconque marché. Objet de prédilection, c’étaient certains tubes enrobés dans du caoutchouc, qu’ils faisaient fondre pour récupérer leur cuivre. Une fois les camions bien remplis, ils regagnèrent alors Béchar pour écouler leur marchandise au Maroc, voire même en Europe !
Des années durant, le point zéro est resté non sécurisé. Même s’il n’y avait pas âme qui vive, il reste qu’il était accessible aux animaux et aux habitants de la région qui, d’ailleurs, s’y aventuraient sans vraiment mesurer le grand risque qui les guettait. Enfants, M. A. Ksasi, président de l’association 13 février 1960, et Lehbab Abderrahmane, membre de la même association, se rendaient dans le champ de tirs pour jouer. « Il faut dire la vérité. Quand les Français étaient là, les lieux étaient sécurisés et inaccessibles. C’est à partir de 1968 que les choses se sont dégradées. Et au bout de deux ans, c'est-à-dire jusqu’à 1970, le site était tout bonnement rasés », déplore M. Lehbal. En 2006, le Commissariat aux énergies atomiques a dépêché une équipe de spécialistes pour faire des prélèvements. Et depuis, le point zéro où avaient eu lieu les trois premiers tirs a fait l’objet d’un bornage sur un rayon de 12 kilomètres. Selon des indiscrétions, l’opération a coûté quelque deux milliards et demi de centimes. Mais le danger est-il pour autant définitivement écarté ? Non. « Le bornage ne limite pas les risques car il s’agit de radioactivité », prévient M. Omar Tabek, directeur de l’environnement de la wilaya d’Adrar.
Pourquoi un si grand retard dans la prise de conscience quant à la nécessité absolue de protéger les habitants de la région des dangers des irradiations ?
Le tabou qui a entouré le dossier ? Peut-être. Surtout que depuis l’Indépendance, cette séquence de l’histoire contemporaine de l’Algérie a fait l’objet d’une véritable omerta. Personne n’osait aborder le sujet. Ce n’est qu’en 1995 qu’une poignée d’étudiants de la région a enfin cassé le tabou en décidant de commémorer l’événement, non sans quelques difficultés. Mais le premier officiel à briser le silence est l’actuel secrétaire général de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) Saïd Abadou qui, en 1998, du temps où il était ministre des Moudjahidine, s’était rendu jusqu’aux abords du point zéro pour inaugurer une stèle. Les habitants de la région en sont d’ailleurs gré. « Avant 1998, ce dossier était frappé du sceau du secret. C’est Saïd Abadou qui l’a mis au cœur du débat public », affirme le président de l’APC de Reggane, Abdoullah Mebarek. « Sans une quelconque protection mais seulement escorté, Saïd Abadou s’est déplacé jusqu’au point zéro », renchérit M. Lehbab.

Impact des irradiations : entre réalité et affabulation
En plus du black-out de plus de 35 ans qui l’entoure, ce dossier a une autre face cachée : les émanations radioactives des déchets nucléaires enterrés à Hamoudia. Les habitants vivent, ces dernières années notamment, dans la hantise des irradiations. Ils savent que la menace radioactive, diffuse mais réelle, est suspendue comme un épée de Damoclès au-dessus de leur tête. On raconte que des enfants seraient nés avec de vilaines malformations et des animaux auraient donné naissance à de véritables petits monstres ! Des affabulations ? Peut-être. Mais les habitants de Reggane, eux, croient dur comme fer que les déchets radioactifs enfouis ont commencé déjà à produire leurs effets néfastes sur leur santé, celle de leur bétail, sur la production agricole et sur l’environnement. Pour le maire de Reggane comme pour beaucoup d’autres, il n’y a pas l’ombre d’un doute : les émanations radioactives dégagées par les déchets nucléaires y sont pour beaucoup dans le développement vertigineux de certaines pathologies, comme le cancer, le diabète, la tension artérielle, etc.
D’ailleurs, expliquent-ils, le taux de cancéreux à Reggane dépasse la moyenne enregistrée dans la wilaya d’Adrar. Le bornage du périmètre du point zéro par les autorités est, à leurs yeux, une preuve supplémentaire quant à l’existence du danger des irradiations. « À Ksar Taarabt, à l’entrée de la ville de Reggane, le nombre de sourds-muets a pris des proportions alarmantes », assure Kaazaoui Ahmed, chef du ksar Zerafil. « Avant l’explosion de la bombe, il n’y avait que deux à trois aveugles dans les trois ksars Taarabth, tinoulef Djdida et Tinoulef qdima. Mais aujourd’hui ils sont très nombreux », croit savoir le vieil Ali Ben Didi Ben Salem. Et d’ajouter : « J’ai remarqué une terrible chose chez nous. Quand nos bêtes de somme marchent, il leur arrive de rentrer directement dans les murs sans se rendre compte. »
Les humains, eux aussi, seraient confrontés à ce problème d’équilibre. « C’est une particularité des gens d’ici. À peine la quarantaine passée, ils commencent à avoir une démarche titubante », témoigne Lehbab Abderrahmane, membre de l’association 13 Février 1960.
C’est, non sans un pincement au cœur, que les gens de Reggane déplorent la baisse de la production agricole dans la région. Un brin de nostalgie émaille d’ailleurs leurs propos quand ils évoquent l’âge d’or de leur agriculture. Ces temps pas très lointains pourtant où la tomate de Reggane envahissait les marchés européens. « Chaque jour, on embarque des tonnes de tomates sur des camions qui sont ensuite acheminés à l’aérodrome de Reggane pour être emmenées, à bord d’avions militaires, au nord du pays ou exporté vers l’Europe », se souvient un citoyen. Selon les dires de certains, même la localité de Zaouïa El-Kounta, à 80 km de Hamoudia, est confrontée, quoiqu’à un degré moindre, au problème de la baisse de la production de la tomate. « Mais ces dernières décennies la production a baissé et la seule usine que nous avions ici a mis la clé sous le paillasson en 1991. » Comme la production de la tomate, celle des dattes ne serait pas en reste. Elle aurait baissée et la qualité se serait détériorée. « Autrefois, la récolte des dattes était très bonne. Bien plus, on exportait au Mali et au Niger. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Même la qualité s’est détériorée. La cause ce sont les irradiations », souligne M. Kaazaoui.
Les responsables locaux déplorent l’absence d’études
Quel crédit accordent les responsables locaux des secteurs concernés (santé, agriculture et environnement) à ces scénarios-catastrophes ?
Ils refusent de succomber à l’alarmisme ambiant et préfèrent aborder la question des effets des irradiations avec une grande circonspection. Ils mettent tous en avant l’absence d’une quelconque étude pour justifier leur prudence. « Il n’y a aucune étude sérieuse et approfondie quant aux effets des irradiations sur l’environnement, la santé ou l’agriculture. Seuls les Français en ont fait », explique M. Tabek.
« Les pathologies médicales existent. Mais les lier aux irradiations, ce n’est pas une chose évidente. Il faut avoir des données fiables sur la période d’avant et d’après l’explosion de la bombe. En l’absence d’études, la question reste toujours posée. Il se peut que les irradiations aient eu un impact sur la flambée des pathologies mais d’autres facteurs peuvent aussi en être à l’origine », assure Dr Abdelli Mohamed, président du conseil médical. « On sait qu’il y a des irradiations mais personne ne peut circonscrire les limites du danger. Rien de sérieux n’a été fait alors qu’on parle de la question depuis six ans. Avant c’était tabou », insiste, pour sa part, Dr Mustapha Oussidhoum.
Avant d’ajouter : « Pour faire ce genre d’étude, il faut avoir des laboratoires spécialisés et un personnel qualifié. Il faut disposer d’un centre pour le diagnostic et d’un autre pour le traitement. Ce qui n’est pas le cas chez nous. »
À l’instar de ses collègues, M. Benkaaoukaou, sous-directeur de l’EPH de Reggane, refuse d’établir une quelconque causalité entre les irradiations et l’augmentation des pathologies.
« Certes, il y a augmentation du nombre de cancéreux mais techniquement on ne peut pas dire que cela est dû aux irradiations. Il n’y a aucune étude sur le nucléaire ni dépistage. Il se peut qu’il soit dû à l’élargissement de la couverture médicale », dit-il.
Quant à M. Boudifa Abdelwahed, subdivisionnaire de l’agriculture à la daïra de Reggane, il ne sera pas plus disert que les responsables des autres secteurs. « Cela fait quinze ans qu’on vient ici pour me poser la même question : l’impact des irradiations sur la production agricole. Je suis un agronome et non un spécialiste du nucléaire.
Ce que je sais c’est que les essais atmosphériques dégagent toujours des irradiations. La durée de vie des éléments radioactifs peut être de quelques secondes ou de plusieurs siècles.
Ce qu’il faut savoir aussi c’est que chaque plante a un seuil de radioactivité naturelle. En l’absence d’une étude sérieuse, on ne peut pas être catégorique. La baisse de la production est peut-être due au morcellement des terres, à la sécheresse… »
, affirme-t-il.

L’association du 13 Février 1960 interpelle la France
C’est donc le flou le plus total. Personne n’est en mesure, aujourd’hui, de dire la vérité à une population légitimement inquiète. Le salut lui viendrait-il peut-être de l’association du 13 février 1960 qui, avec son action revendicative, pourrait un jour faire bouger les choses.

Créée en 1997 et agréée en 2000, elle s’est toujours employée à la sensibilisation des écoliers et des citoyens quant aux dangers des irradiations. Depuis 2002, elle commémore l’événement en organisant, la nuit de chaque 13 février, une marche de scouts qui, les bougies à la main, sillonnent la ville de l’entrée jusqu’à la place des Martyrs jouxtant le siège de l’APC où un sit-in est observé. Des activités sportives et des conférences sont aussi organisées.
Les animateurs de cette association militent pour que la France reconnaisse les tirs nucléaires comme étant un crime contre l’humanité et contre l’environnement. Ils veulent aussi que l’ancienne puissance coloniale procède à la décontamination de la région. Le lancement d’une étude scientifique pour déterminer le degré du danger est vivement souhaitée.
L’autre vœu des membres de cette association est que le ministère de l’Éducation nationale procède un jour à l’intégration de cet événement dans les programmes scolaires. « De la France, nous attendons qu’elle nous donne les plans pour déterminer les lieux où sont enfouis les déchets comme nous escomptons une réparation. Mais notre État doit aussi envoyer des équipes de spécialistes dans tous les domaines pour faire des études et prendre les mesures qui s’imposent », affirme le P/APC. « Contrairement aux militaires français contaminés, nous ne voulons pas d’une réparation matérielle et individuelle », lance Lehbab. Les attentes de l’association alors ? Son président, M. Ksaci, explique : « Nous voulons une solution durable et non pas de replâtrage comme c’est le cas avec le bornage du point zéro. On aurait aimé que notre région soit décontaminée, dotée d’un hôpital équipé et spécialisé et d’une station de filtrage d’eau, etc. »
Mais le plus grand souhait des membres de l’association est que État algérien hausse un peu plus le ton vis-à-vis des autorités françaises.

Un téléfilm sur la même question vient d'être diffusé sur le service public

Le 28 Avril, à 20 h 30, sur France 2 « Vive la bombe » de Jean-Pierre Sinapi nous a relaté un essai nucléaire français enfoui du 1er mai 1962, au cœur du Sahara, base française d'In Ecker. Ce sera l'accident de Béryl puisque la montagne s'est fissurée. Cet accident a été dissimulé par l'état farnçais pendant plus de vingt ans.
Malheureusement le sujet n'est traité que du point de vue français, ce qui est bien dommage et tristement prévisible. Beaucoup de sentiments d'une mère inquiète pour son fils ... C'est même loin des préoccupations de tous les français soucieux de ce genre de problèmes.
« Pratiquement rien sur les populations de la région, la flore et la faune, les retombées sur toute la région et les pays voisins et les compteurs qui grésillent même aujourd'hui ... Mais des réflexions inutiles et gratuites sur l'Algérie française, le FLN, etc... » m'écrira Djamel, un de mes amis Algériens.
En effet, Le film est très franco-français et est bienveillant par rapport à l'Algérie Française et ne parle de l'Algérie qu'à travers le FLN qui est critiqué. Effectivement les Français n'ont rien de bien consistant pour comprendre des faits qui à l'époque lui ont été cachés. D'ailleurs, est-ce qu'aujourd'hui la volonté existe de dire les choses telles qu'elles sont sur cette époque ? Pourquoi n'est-il fait mention nulle part des accords d'Evian ? Les jeunes Français n'ont aucune chance d'y comprendre quoi que ce soit. Quant aux Algériens, une fois de plus, c'est la chappe de plomb qui s'abat sur eux
Ce qui est positif est que la projection est tombée juste au moment du procès sur le sujet qui s'ouvre à Paris concernant le problème rencontré en Polynésie.
Yahia

mardi 28 avril 2009

Leïla Sebbar : Mon cher fils - Elyzad - 2009

Un roman sur l'exil, l'émigration et
la difficile communication entre les générations

Un chibani des trente glorieuses revient au pays, au bord de la mer. Il a eu 7 filles et un seul garçon. Sa femme est restée en France. Il n’a plus de nouvelles de ce « cher fils ».

Alma est écrivain public à la grande poste d’Alger. Sa maman qui est en Bretagne promet toujours de revenir et tarde à le faire. Son papa est musicien, il joue du luth.

L’histoire se déroule pendant la décennie noire, au moment où les attentats sont nombreux et où ils confisquent la vie. L’époque des intégristes qui détruisent un peu plus encore une jeunesse qui n’a rien demandé : « Nous, on ne pense pas, on pense rien, on veut vivre et on vit pas… chez nous presque tous les hommes ont pris le maquis pour la guerre de libération, ils sont pas tous morts, les vieux sont pensionnés, des petites pensions pas comme les autres, les colonels, les généraux, tout ça… Quelle guerre pour tous ces galons ? Le maquis ? Alors combien d’officiers supérieurs, s’ils sont encore vivants ? La guerre contre les islamistes ? La guerre civile ça donne des galons ? S’engager dans l’armée, dans la police, on aura du travail, on sera les plus forts contre les frères… On veut pas. On fait de la musique… »

Tous les jours, Alma retrouve le vieil homme qui a rempli sa vie dans les usines Renault de Billancourt et invariablement commence une lettre, toujours la même qui ne s’achève pas, par « Mon cher fils… ». C’est l’occasion pour le vieil homme de confier sa vie à cette jeune fille et de lui dire combien son fils lui manque. L’oreille de l’écrivain public est sans doute d’autant plus attentive et bienveillante qu’elle-même souffre da sa séparation avec sa mère. Ils partagent aussi tous les deux la difficile communication avec deux êtres chers. Petit à petit, Alma partagera ses confidences avec le vieil homme et ce sera aussi l’occasion pour elle de parler de la servante Minna, véritable seconde mère qui est une magnifique conteuse.

Au fil des pages, on apprend que le vieil homme n’a jamais pu ou n’a jamais su parler de sa vie à son fils lorsqu’il était avec lui en France. C’est pas faute d’avoir tenté pourtant. Une fois, lors d’une tentative, le vieil homme a entendu son fils pour la dernière fois : « … c’est tes histoires et l’Algérie je n’ai pas envie d’en entendre parler, ni la guerre, ni avant la guerre, ni rien. La vie c’est le présent et vous, toi, quelle vie, quel présent ? Ce qu’on nous raconte, tu crois que je n’entends pas, dans les livres aussi, avec Hanna, on a lu tous les livres, peut-être pas tous, mais beaucoup, c’est des histoires, qui les écrit ces histoires, qui écrit cette histoire-là ? Une histoire où on est soumis, Romains, Turcs, Français, colonisés. On est persécutés et chassés d’Espagne, on dit « le Siècle d’Or », il est loin le siècle d’or et peut-être qu’il n’était pas si glorieux que ça, ce siècle d’or, en Espagne, en Orient, on parle des cours royales, princières, et le peuple, il est où ? Et l’histoire coloniale, on est toujours des pauvres types, pauvres, ignorants, exploités, résignés… Sur plusieurs siècles, combien d’années de résistance, quelques tribus rebelles, l’Émir a été vaincu, des tribus l’ont trahi, l’Émir noble prisonnier, mais il a été battu et après lui quelques insurgés déportés… Et les soldats de l’Armée d’Afrique, j’ai vu le film Indigènes, des héros ? Les tirailleurs, nos ancêtres, dans les guerres coloniales, du côté de la répression militaire contre des révoltés à mains nues, c’est vrai ou non ? Madagascar, l’Indochine, la Tunisie, le Maroc, la Syrie… et j’en oublie Alors toutes ces histoires, cette Histoire où on est toujours du mauvais côté, j’en veux pas, tu m’entends, j’en veux pas. La guerre de libération nationale, sept ans et après. Les pays indépendants, dis-moi comment ils gouvernent pour leurs peuples, dis-moi. Et toi, ton pays, qu’est-ce qu’il te donne ?Pourquoi tu restes ici, pourquoi ? Et l’immigration, comment on nous présente ? u le sais toi, même quand on veut nous défendre ou plutôt vous défendre, vous, les immigrés, comment ? Dis-moi, toi, des victimes sourdes et muettes, c’est vrai ou c’est pas vrai ?… non, je dis moi, ça suffit, barakat, ça suffit, tu comprends ? » C’est tout le drame de sa vie, ce fils inaccessible dont il pressent un destin tragique.

Tout au long de ce magnifique roman, nous assistons à cette déchirure, à cette impossibilité d’atteindre le fils tant chéri. Et Leïla Sebbar écrit une véritable ode aux immigrés qui rend ce roman encore plus émouvant, plus touchant.

L’écriture est très fine, ciselée même Leïla Sebbar s’affranchit des règles classiques de la ponctuation, notamment au niveau des dialogues, ce qui rend le récit beaucoup plus réaliste et donne le rythme du langage oral au récit.

Dans ce roman, le lecteur retrouvera les thèmes qui sont chers à Leïla Sabbar et sur lesquels elle a déjà tant dit, où il lui reste, on le sent bien, tant à dire encore. Dans ce roman, elle a réussi à toucher nos âmes.

dimanche 26 avril 2009

Nourredine Saâdi : La nuit des origines – L’Aube - 2005



Une « réfugiée mentale », un manuscrit comme
lien avec les racines et un lit retrouvé aux Puces

Abla est architecte et vient se réfugier en France avec dans ses bagages un vieux manuscrit du XVII ème siècle (11 ème siècle musulman) de son aïeul Si Kebir Belhamlaoui. Ce manuscrit va devenir un vrai personnage de ce roman profond, plein de sensibilité et qui va au plus près des sentiments des déracinés. Un autre personnage sera le lit Ottoman dans lequel elle dormait, au-dessus du Rhummel à Constantine qu’elle « retrouve » aux puces de Saint Ouen comme si elle l’avait déménagé dans La Souika, la médina de Constantine, sa ville natale.

C’est par hasard, alors qu’elle voulait s’abriter de la pluie, qu’Abla entre dans cette boutique d’antiquaire où elle va faire la connaissance d’Ali-Alain, autre natif de Constantine et ami de Jacques, le patron des lieux. De cette rencontre naîtra une étrange histoire d’amour, torturée qui va réveiller les origines d’Ali alors lancé dans l’aventure des élections municipales.

Abla vit dans un foyer de l’Armée du Salut, le Palais deb la Femme, non loin de la station de métro tristement célèbre, Charonne et psalmodie souvent des versets appris par cœur, dans sa jeunesse : « Allahouma Ô mon Dieu, bénis la parenté… Allahouma Ô mon Dieu, noie-moi… ». Ces prières reviennent tout au long du récit et soulignent le caractère tourmentée de la belle Abla. De quoi vit-elle ? Le lecteur ne le sait pas. Abla, en attendant ses papiers officiels, pense à vendre son précieux manuscrit légué par son grand-père, titulaire de la Légion d’Honneur. Elle va être mise en relation avec une experte de la BN et un commissaire priseur réputé intéressés par ce superbe objet décorés d’enluminures en couleur.

Abla n’a pas fuit l’Algérie sous la menace (c’est à l’époque de la décennie noire), elle a « fui la maladie de la mort, l’épidémie de meurtre, peut-être ai-je voulu me fuir moi-même… » « Considérez-moi comme une réfugiée mentale » dira-t-elle au fonctionnaire qui instruit son dossier à la préfecture pour sa carte de résidence et qui lui répondra que les textes n’ont pas prévu ce cas. C’est ainsi qu’existe Abla, en France. Elle est sans cesse reliée au passé, d’autant plus qu’elle retrouve ce lit et Alain et, en même temps le fui avec acharnement, dans des crises spectaculaires et totalement traumatisantes pour Ali qui l’aime profondément et à qui elle échappe sans cesse.

En fait, Abla n’échappe pas à ses racines, à son histoire, d’autant que ce manuscrit remonte à la nuit des origines. Manuscrit qu’elle n’arrive pas à quitter, comme si elle avait besoin de ce cordon ombilical « Ce manuscrit est une relique, des généalogies compliquées ont usé leurs yeux dessus, ont appris et répété des versets comme les anachorètes s’échinent sur les noms de Dieu jusqu’à l’évanouissement ; comme l’enfant répète son nom pour ne jamais l’oublier. » Finalement elle ne se séparera pas vraiment de ses origines : « Constantine est pour tous ses enfants la Ville des Villes, une cité métaphorique, une fiction de ponts et de mythes qui ne doit exister que dans le regard de ceux qui y sont nés, l’ont vue un jour et aimée »

Nourredine Saâdi nous offre là une très belle histoire, formidablement documentée avec des dialogues fondus dans le texte qui rendent cette œuvre vivante et très touchante, surtout pour une fils de… Constantine.

lundi 20 avril 2009

Benjamin Stora : Les guerres sans fin - 2008 - Stock

Comment être historien, vu de l’intérieur

Benjamin Stora est LE spécialiste de l’histoire algérienne. On ne compte plus ses ouvrages sur la guerre d’Algérie et sur l’histoire du Maghreb. Il est aussi l’auteur de documentaires très réussis sur la guerre qui a longtemps refusé son nom.

Dans ce livre, Stora nous ouvre les portes de sa façon d’appréhender l’Histoire et son histoire. Ce livre est en effet entre l’Histoire et le témoignage de l’historien qui a effectivement vécu la guerre d’Algérie. C’est cette position originale qui est le fil rouge de cet ouvrage qui nous fait pénétrer dans les dédales de la réflexion historique de Benjamin Stora. Il y parle de son engagement politique, au même titre qu’il évoque son identité algérienne ainsi que sa démarche d’historien souvent contestée.

On comprend mieux en lisant ce livre pourquoi il travaille tant avec Mohammed Harbi, acteur de la révolution algérienne et historien. Tous les deux font de leur subjectivité un atout important de leurs approches d’historien qui les aident à parler différemment de l’Algérie, sans jamais tomber dans la mémoire partisane.

Tout au long de cet ouvrage, on passera de la guerre d’Algérie, aux conflits de mémoire et aux règlements post coloniaux, à la décennie noire, aux luttes intestines au sein du mouvement révolutionnaire algérien. En 1995, Benjamin Store recevra des menaces de morts qui vont une fois de plus dans sa vie le conduire à s’expatrier pour un temps au Vietnam. Il y peaufinera sa pensée et apaisera ses douleurs.

C’est renforcé par les épreuves de la vie (perte de sa fille, crise cardiaque et menaces de mort) que Benjamin Stora poursuit son parcourt d’historien atypique et passionnant. Lire son livre permet de comprendre à la fois les évènements et la démarche de l’auteur.