L'enfermement de la femme est un thème central de cette œuvre et il n'est pas étonnant que l'auteure ait saisi cette occasion artistique pour en faire le fil conducteur des 8 nouvelles de l'ouvrage.
dimanche 23 mars 2008
Assia Djebar : Femmes d'Alger dans leur appartement - Albin Michel - 2002
L'enfermement de la femme est un thème central de cette œuvre et il n'est pas étonnant que l'auteure ait saisi cette occasion artistique pour en faire le fil conducteur des 8 nouvelles de l'ouvrage.
Boualem Sansal : Harraga (Roman) - Éditions Gallimard, 2005
Ce roman m'a dérouté, un bout de temps. Le temps de m'aclimater au style de Sansal. Le temps de bien comprendre ce que sont ces fameux "brûleurs de route" - traduction littérale du titre du roman - et l'extrapolation qui en est faite par l'auteur.
Cet ouvrage est bien plus qu'un roman. C'est au-delà de cette Algérie des années islamistes. Il s'agit bien du destin de deux femmes différentes et par l'âge et par le caractère. Mais il s'agit aussi de deux femmes seules dans une société marquée par la prééminence de l'homme.
Chérifa, jeune Oranaise de 16 ans, est libre et vit dans son époque. Elle est paumée parce qu'abandonnée. Les circonstances de la vie l'amène à Alger pour chercher refuge chez Lamia, pédiatre et vieille fille, sur les conseils de Sofiane, son frère. Ce dernier a de son côté disparu pour rejoindre la France, comme tant de jeunes harraga.
mercredi 19 mars 2008
Salon du livre de Paris : la polémique
J'ai mis du temps, avant de publier ce message. Non pas parce que je ne savais pas où était ma conviction, mais parce que les dés sont pipés et que le terrain est miné. Sur des sujets comme celui-là, on ne peut plus, aujourd'hui se contenter de son intime conviction; il faut se garder des interprétations, des procès d'intention, des faux-semblants, des prétextes, des lobbies, de l'air du temps, bref pour une grande part de la désormais sacro-sainte communication !
C'est aussi pourquoi, je commencerai par des préalables, afin d'espérer être compris. Je le constate, il est bien fini le temps où la sincérité du propos suffisait. Il y a quelques années, je n'hésitais pas, sur un tel sujet, à livrer un avis tranché. Aujourd'hui, ça n'est plus possible et je le regrette.
Je prends tout de même la précaution de dire avec force combien je suis étranger aux propos intellectualistes, somme toute faciles et surtout soucieux de donner une certaine image de celui qui les exprime, lorsque ça n'est pas pour brouiller les pistes. Pour autant, je ne conteste pas, loin de là, aux intellectuels le droit, voire le devoir, d'alerter l'opinion.
Il m'apparaît comme très important de distinguer la réaction d'un occidentaml de celle d'un ressortissant arabe. Lorsque l'on vit le conflit, quelle que soit la façon dont on se place, on n'est pas du tout dans les mêmes conditions de réflexion que lorsqu'on y est extérieur. Ma qualité d'"Algérien-Français" me permet de le dire et c'est comme cela que je réagis moi-même, au premier abord. Combien les débats de salon sont relativisés par une telle remarque !
Je dois également à l'honnêteté d'exprimer ma très grande gêne par rapport à la position exprimée par les pays arabes, en général. Sentiment de malaise parce que le boycott prôné est en totale contradiction avec la façon dont ils règlent leurs problèmes intérieurs, notamment au niveau des libertés, et de la faiblesse de leur soutient à la Palestine.
Enfin, puisque ce sujet est très sensible, au regard du contexte historique et international et de l'exploitation qui en est faite, j'affirme que je ne mélange pas peuple israélien que je respecte et pouvoir israélien et je me garde bien de faire l'amalgame avec le sionisme ou le problème juif qui sont d'autres domaines de débat. De la même façon, je ne confonds pas islam et islamisme, peuple des pays arabes et gouvernement.
J'ai beaucoup lu sur le fait de savoir s'il fallait ou non boycotter le salon du livre de Paris. Plus pour mieux y réfléchir et ne pas risquer de me fourvoyer que pour déterminer ma conviction sur le sujet qui est que OUI le boycott organisé et accompagné par des actions fortes, concertées est la plus honnête des positions, si l'on veut bien considérer la question uniquement sous l'angle de la conviction profonde, indépendamment du reste, de tout ce qui touche aux calculs et aux apparences. En d'autres temps cette démarche de conviction m'aurait été plus spontanée et non susceptible d'aménagements, comme c'est la cas aujourd'hui puisqu'il me faut bien admettre que pour être efficace, il faut désormais prendre en compte les approches communicantes, les méthodes modernes qui régissent le débat public qui est souvent loin de l'échange d'idées et au plus près des intérêts étroits des individus, des groupes ou des institutions.
La polémique qui a accompagné la tenue de ce salon est là pour soutenir ce que je viens d'exposer. C'est pourquoi, je pense que, malheureusement, le boycott ne pouvait pas être une réponse capable d'éclairer les choses et que la manipulation politique, politicienne, l'étroitesse des motifs ne pouvaient que conduire à le vider de son véritable sens et de son authentique pouvoir : influer sur l'opinion internationale, interpeller les peuples pour que cesse enfin le martyre du peuple palestinien.
Dans ces conditions, il fallait organiser la riposte à ce qui m'apparaît comme une provocation, au vu du contexte israélo-palestinien. Cette nécessité s'imposait aux états arabes comme aux intellectuels de ces pays, à commencer par les écrivains, afin de délivrer un message clair et de faire de cet évènement une tribune pour la cause la plus noble qui soit : la PAIX et l'affirmation que le peuple palestinien a le droit d'avoir un pays qui se développe dans le respect de ses voisins et dans l'affirmation de son identité. Quant à nos intellectuels, il aurait été bienvenu que leur position soit concertée et sans rapport avec les intérêts personnels de tel ou tel !
Force est de constater que malheureusement cette démarche n'a pas prévalu. Le résultat sera donc que le débat a été dévié et que la cause du peuple palestinien comme celle de la paix n'aura pas avancé.
Nous avons donc assisté à l'exposé d'arguments qui n'avaient pour but que de légitimer des choses peu avouables. Fallait-il inaugurer ce salon avec le chef de l'État israélien ? Non, au regard du symbole qu'il supposerait. Était-il normal de privilégier les écrivains de langue hébraïque, alors qu'initialement le projet était autre ? Encore NON et résolument NON, si l'on veut bien admettre qu'aucun choix n'est innocent. En l'occurrence celui-ci était lourd de sens et la France n'avait pas du tout l'obligation de suivre Israël sur ce terrain ! L'ayant fait, elle ne s'honore pas comme ne s'honorent pas ceux qui se réfuigent derrière la césure entre homme de plume et citoyen...
Personne ne me persuadera que la légitimité du boycott est à géométrie variable : vrai, par exemple pour l'Afrique du Sud en son temps et injuste, voire hérétique pour la désapprobation de la politique israélienne aujourd'hui. J'ai vraiment le sentiment qu'aujourd'hui "le marché", les contrats tiennent lieu d'éthique et c'est tout bonnement insupportable.
Enfin, je ne peux terminer ce billet sans dire deux mots par rapport aux positions défendues par deux écrivains que je respecte et que je lis avec admiration. Maïssa Bey qui distingue sa qualité d'auteure et de citoyenne et Boualem Sansal qui Pense que la littérature ne doit pas être concernée par cette histoire. Je suis en désaccord avec eux et je ne doute pas que leur jugement n'a rien à voir avec de quelconques intérêts personnels. Mais je suis aussi surpris si je me réfère à ce qu'il défende si bien dans leurs livres.
Cette affaire aura au moins eu pour moi l'avantage de m'inciter à me documenter plus, à commencer par la fréquentation du blog de Ahmed Hanifi qui publie deux articles de la presse algérienne sur le sujet (L'Expression et El Watan) : http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/. Je ne serais pas complet si je ne signalais pas l'excellent site de Lounès Ramdani, référence pour tout ce qui concerne la littératrure algérienne : http://dzlit.free.fr/ ainsi que le forum qu'il anime : http://groups.yahoo.com/group/dzlit/ où la discussion a été très enrichissante.
Yahia
En clin d'œil, voici un article parlant lui du salon du livre... Algérien !
Culture : 7e EDITION DU SALON NATIONAL DU LIVRE Nous sommes tributaires de notre histoire !
Paradoxe. Comment envisager une quelconque ouverture de l’esprit culturel en Algérie lorsque l’accès au Salon national du livre se fait par un passage obligé et halte au stand dédié au président Bouteflika ? Quelle image offre cette manifestation dont les éditeurs ont choisi de boycotter le Salon international du livre de Paris parce que Israël en est l’invité principal ?
Difficile de croire que la thématique choisie pour ce salon «Ecriture et crise : esthétique ou engagement ?!» reflète la réalité.
Impossible de croire aussi que Mohamed Tahar Guerfi, président du Syndicat national des éditeurs et organisateur du salon, n’était pas au courant de cette initiative. Au-delà, il aurait pu estamper ce miroir qui nous renvoie vers l’amère vérité d’un pays soumis au diktat. Rattraper le coup et placer ce stand de la vénération parmi les autres, au mieux au dernier niveau de la Bibliothèque nationale du Hamma aurait été possible.
Le Salon national du livre à son 7e rendez-vous n’a finalement rien changé au cours de notre histoire. Nous sommes tributaires de cette identité qui à chacune de ces manifestations se retrouve dans la tourmente de la soumission politique. Parvenir à dissocier son appétit politique de celui de la lecture est apparemment impossible. Sinon comment justifier une adoration en grand format du président de la République !
Aller plus loin, avancer dans les allées du Salon du livre ne servirait presque à rien du tout puisqu’au final, la sortie se fera encore par le stand du président Bouteflika. Un stand où deux livres pour une seule écriture flashe le visiteur. Une écriture qui s’apparente à celle d’un vizir pour son roi. Il est donc plus facile d’afficher une position ferme lorsque ça concerne un autre pays.
Au premier niveau, le débat fait rage
Et là, il ne s’agit pas de cautionner ou pas le Salon international du livre de Paris, mais d’une rencontre entre journalistes spécialisés en culturelle et éditeurs. D’ailleurs, la question n’a même pas été envisagée lors de ce rendez-vous précieux.
Cependant, deux camps se sont affrontés dimanche dernier au premier étage de la bibliothèque du Hamma. Des antagonistes qui se rejoignent malgré tout dans un seul objectif : la culture de la lecture. Pour Fodil Boumala, l’animateur de cette manifestation, il est d’abord question d’envisager une solution au manque de communication promotionnelle entre les éditeurs et les journalistes.
Beaucoup de choses ont été dites. Beaucoup de problèmes ont été posés. Chacun y est allé de sa version. De ses convictions et de sa parfaite maîtrise de la chaîne de l’édition freinée par le manque de promotionnel. Le lecteur était cet après-midi-là au centre de toutes les préoccupations. Editeurs et journalistes ont livré franco leurs contraintes et notamment leurs craintes. Ils ont partagé leur désir commun de voir le champs culturel s’épanouir. Certains des présents ont rappelé le confinement intellectuel à celui de l’engagement économique. Le livre a un prix. La promotion aussi. L’un ne pouvant se passer de l’autre, des efforts ont été fournis et des promesses de concessions ont été faites.
De la bande de Gaza à la bibliothèque du Hamma
Ce sont des échos d’une sale guerre qui frissonnent dans un coin de la bibliothèque du Hamma. Des images de Gaza, des victimes mordues par des chiens, massacrées dans un coin de Jérusalem. Des enfants périssent sous nos yeux écarquillés. Mais le choc a déjà lieu. Il y a plus d’un demi-siècle que ça dure. Nous avons déjà vu ces séquences et nous les avons déjà condamnées.
La Palestine, un peuple frère est opprimé au quotidien. Et l’Algérie ne peut pas envisager de marcher sur la mémoire piétinée dans le déroulement du 28e Salon international de Paris. Même si son comité d’organisation réfute la célébration de la 60e année de la création d’Israël. Il s’est justifié simplement par l’élection d’Israël en invité d’honneur après six années d’attente. Pour les éditeurs algériens, les Français ont manqué de tact. Ils ont choisi de célébrer la littérature israélite au détriment du malheur palestinien. Ils ont préféré l’oppresseur. Sa littérature, sa culture et son pouvoir. La France par ses auteurs a choisi librement Israël. L’Algérie par ses éditeurs et ses auteurs continue à soutenir la Palestine.
L’histoire retiendra le discours inaugural d’Ariel Sharon. Un discours empreint de mépris à l’adresse des pays arabes. Comme elle retiendra les propos méprisants de Yasmina Khadra, directeur du Centre culturel algérien à Paris. Un vis-à-vis, trompe-l’œil, l’auteur de L’Attentat se fourvoie dans son rôle. Il en oublierait même son passé d’écrivain à controverse.
Sam H. lesoirculture@lesoirdalgerie.com
Source de cet article : http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/18/article.php?sid=65853&cid=16
dimanche 2 mars 2008
Maïssa Bey : Surtout ne te retourne pas (Roman) - Éditions de l'Aube, La Tour d'Aigues, 2004
Ce roman m'a dérouté, un bout de temps. Il m'a fallu m'y adapter et laisser de côté les idées préconçues. Dès lors, la magie a opéré et j'ai rencontré l'univers de Maïssa Bey.
Amina, devenue Wahida va se lier avec des femmes qui ont toutes une très forte personnalité, à commencer par Dadda Aïcha qui lui sert très rapidement de grand-mère. C'est autour de cette dernière et de Wahida/Amina que Maïssa Bey dresse le portrait de ces femmes courageuses qui ne s'en laissent pas conter et qui sont les premières à prendre possession du camp de réfugiés et à l'organiser. On reconnaît bien là la patte de l'auteure qui plutôt que d'avoir un discours misérabiliste sur les femmes algériennes, préfère les montrer comme elles sont en réalité : des femmes déterminées et combatives.
samedi 1 mars 2008
Poste restante : Alger (Ed Gallimard mars 2006)
Voilà bien longtemps que je cherchais dans la littérature un écho à ce que je pensais au plus profond de moi, concernant la situation dans laquelle se trouve l'Algérie. Cette fois, pas de doute, j'ai trouvé !
Pour ne rien gâcher, Boualem Sansal dédicace cette lettre, datée du 1er janvier 2006, à Mohamed Boudiaf, Président de l'Algérie de janvier à jn 1992.
Sur 48 pages, il aligne dix chapitres pour faire le tour de sa pensée sur cette terre d'Algérie. Dans un style sobre, mais passionné, il balaie toute la période écoulée depuis la guerre d'indépendance, sans complaisance, sans exagération, avec la lucidité de quelqu'un qui aime son pays et qui se bat pour que ça change. Ses armes sont des mots, mots qu'il sait manier et qu'il met au service de la cause nationale.
Le lecteur de ce blog l'aura compris, l'écho que je donne de cet ouvrage ne sera pas objectif. A lui de se faire sa propre opinion en le lisant.
Dans ce qu'il appelle le prix du silence, Sansal constate que depuis l'indépendance, les Algériens n'ont pas pris le temps d'échanger, de se parler. "Personne n'écoutait l'autre" et la vie marquée par les pénuries, l'insécurité, l'instabilité, les multiples tracas du quotidien, la promiscuité ne permettait pas de faire autre chose. "Quand on est sans voix, on est lent à la détente", clamme Boualem Sansal, sans doute pour expliquer le manque d'implication de ses compatriotes dans les grandes questions algériennes. L'auteur ne manque pas dans ce premier chapitre, et à juste titre, de rappeler la riche histoire de ce pays, trop longtemps délaissée au risque d'oblitérer l'avenir.
Pourtant, il y en a eu des moments de grâce, constate Boualem. Ils permettait l'espoir, la prise en main de son destin par le peuple algérien. Ça ne s'est pas fait parce qu'on a réprimé dans le sang, on a verrouillé, on a interdit cet espoir, y compris par l'assassinat de Boudiaf, le 28 juin 1992 par un officier de la gade présidentielle. L'espoir était ailleurs disaient les jeunes algériens qui ne pensaient plus qu'à quitter leur pays. Dans ce contexte, la multiplication inouïe des partis en a rajouté à la confusion et à la désaffection politique des masses.
C'est alors le recourt au "système D" qui prévaut, selon Sansal. Pour survivre, pour espérer, tout est bon, de la parabole piratée, à la chasse aux visas en passant par la recherche des denrées rares. Le dilettantisme des uns, le papillonnge des autres, la jalousie du voisin, ont meublé le temps au détriment de la réflexion collective et de la prise en main des affaires pour le plus grand bénéfice du parti unique, omniprésent.
Quoi de pire dans tout cela que "le temps des censeurs" ? On comprend de suite que les "gardiens autoproclamés du temple" qui sont aussi bien des institutionnels que des gens ordinaires, ne sont pas les plus appréciés. Ces personnages sont d'autant plus redoutables qu'ils sont à l'extérieur et jouent sur l'idée nationaliste pour justifier le black out. Pour Sansal, l'ennemi, c'est "le blocus de la pensée". Quoi de plus juste !
Pour Boualem Sansal, "le temps de la colère et des mises au point" est venu. On ne confisque pas comme ça la libération d'un peuple du joug colonial pour "une dictature à la Bokassa".
C'est alors que l'auteur se livre à un véritable inventaire de ce qu'il appelle "des constantes nationales et des vérités naturelles". Tout y passe, les certitudes officielles, véritables tabous, les fausses évidences les vérités qui ne le sont pas... Il est temps, dit-il, de sortir des slogans maintes fois assénés, qui n'ont pour but que de maintenir le peuple dans l'ignorance. Il est temps de sortir des approximations arrangeantes, de l'histoire officielle. En quatre temps, Sansal bouscule tout ça et invite à la réflexion :
- Le peuple algérien est arabe
- Le peuple algérien est musulman
- L'arabe est notre langue
- La guerre de libération et son histoire
Quatre sous chapitres que je ne dévoilerai pas, tellement leur lecture est jubilatoire... Précipitez-vous et lisez, vous ne le regretterez pas.
C'est au tour de la décennie noire d'être évoquée. La période 1992-1999 et l'incroyable référendum de 2005 sur la réconciliation nationale. Cette "paix des cimetières et le retour des tueurs" fait dire à Sansal "la vigilance est le premier devoir de la vie et nous en avons abondamment manqué".
Concernant la "place (de l'Algérie) dans le monde et le regard (porté sur) lui (par les Algériens)", "c'est à nous qu'i revient de donner à notre pays une place gratifiante", conclue Boualem Sansal.
Enfin, en parlant de l'article 4, Boualem déclare "la loi ne fait pas l'Histoire, elle l'assujettit" et plaide pour une "Histoire repensée". Nous autres, Français, ça nous rappelle des débats nationaux d'actualité. Comme quoi, les mêmes causes produisent les mêmes effets...
Dans le dernier chapitre, "le temps qu'il fera demain", le lecteur est convié à l'action : libération des journalistes emprisonnés, abrogation du code de la famille, vérité et justice, nouveau jugement de l'assassin de Boudiaf, vérité sur l'assassinat d'Abane Ramdan et de bien d'autres encore, vérité sur la corruption et la confiscation des bien nationaux par une caste, justice sociale, élections libres garanties par l'ONU, réécriture de l'Histoire, etc...
Encore une fois : il faut lire ce livre salvateur. C'est la parole d'un Algérien pour des Algériens. C'est un plaidoyer pour une Algérie moderne dans laquelle "nous avons à oeuvrer, il n'y a rien de plus urgent pour le moment." Vous qui avez lu ce pamphlet, faites écho à ce billet pour poursuivre le débat. Merci.
Yahia
vendredi 15 février 2008
Maïssa Bey : Bleu, blanc, vert
A ce propos, je suggère de se pencher sur l'histoire du mouvement de libération algérien qui portait déjà en lui les éléments qui ont conduit à cette situation en Algérie. Par exemple, pendant la guerre de libération, des hauts gradés détournaient l'argent de la révolution, parallèlement à la lutte constante pour le pouvoir. Et je ne parle pas de la confusion entre guerre de libération et révolution. Mohammed Harbi en parle très bien et d'une façon très documentée dans "Le FLN Mirage et réalité des origines à la prise du pouvoir (1945-1962)" aux éditions Jeune Afrique.
-Le récit : la double histoire de l’écrivain ( je n’aime pas le mot écrivaine !),analysant sa vie et se mettant à la place d’Ali ! Pas de pleurnicheries, même dans les moments les plus durs, beaucoup de noblesse, d’acuité face à cette occupation pas forcément mal perçue ! Une vie régie par les tabous,la famille, l’amour, le désir ardent de la liberté, et du peuple algérien et de l’être humain tout court ! Bref ! on lit ce roman d’une traite !
Phrases élaborées, vocabulaire poétique quand elle se raconte, plus pragmatique lorsqu’elle se met dans la peau d’Ali !
J’allais à Alger avec une amie algérienne qui me racontait exactement ces choses de la vie après l’indépendance, ses flirts, tout en sachant qu’elle pouvait être mise au banc d’une certaine société conservatrice !
Françoise
jeudi 14 février 2008
Najia Abeer : une auteure algérienne partie trop tôt
Najia Abeer, de son vrai nom Benzeggouta, était rebelle, passionnée, parfois violente, mais toujours à l'écoute des autres et soucieuse de partager l'Histoire de son pays, de sa ville. Tous ses écrits le prouvent et c'est aussi en cela que nous sommes tous orphelins. Elle était libre et indépendante, rien ne pouvait la faire taire. Elle avait le courage de ses opinions. Elle avait l'intelligence et la dignité. Elle était "droite dans ses bottes" et c'est tout cela qui la rendait attachante. Elle avait le sens de l'amitié fidèle et donnait sans compter, malgré tous les aléas de la vie, de sa vie.
Son écriture était fluide, belle. On s'y retrouvait et on l'y retrouvait, à condition de la connaître un peu. Elle n'a pas eu le temps de tout exprimer ce qu'elle avait en elle. Tout le temps, elle voulait entreprendre quelque chose de nouveau, au risque de s'éparpiller, de se saouler. Dernièrement, la peinture avait suivi le chemin de ses poèmes et elle travaillait sur des projets de documentaires et d'autres publications, encore et encore consacrés à Constantine.
Oui, Constantine l'obsédait.
Oui, Constantine lui échappait dans ton exil algérois.
Oui, Constantine l'inspirait.
Oui, Constantine l'appelait, dans sa détresse des maisons détruites.
Constantine au cœur !
C’est par l’intermédiaire des « Amis de Constantine » que j’ai fait la connaissance de Najia Abeer, née la même année que moi (1948), Professeur d’anglais et Auteure (elle tenait beaucoup au "e" final...), constantinoise militante, habitant actuellement Alger qui a écrit un superbe livre sur sa jeunesse à Constantine : « Constantine et les moineaux sur la murette ». Najia qui est devenue une amie, que j’ai rencontrée au mois de Mai 2004, à Constantine, avec qui j’ai passé des moments émouvants. Najia, la généreuse qui s’est mise au service de mon projet et qui s’enthousiasme autant que moi…
Najia, avec qui je pouvais parler de tout et avec qui j’ai eu beaucoup de complicité.
Najia, avec qui j'ai passé 2 jours, à travers la lecture de son très beau roman, avant d’effectuer mon retour au « Bled ».
Najia qui m’a offert Sa « Souika » en mai 2004, en me la faisant découvrir.
Comment dire ce que je ressens ? Comment traduire des sentiments enfouis et remis au jour ? Les mots n'ont pas toujours la force de la Vie et pourtant elle a si bien dit les choses !
Je me suis refais mon parcours en parallèle avec le sien, puisque nous sommes nés la même année, et tout ce que tu dis, Najia, est juste, fort et sans fard. Simplement, tu t'en doutes, en ce qui me concerne les influences étaient ailleurs et, tu le sais bien, nous n'avions pas le choix.
J'ai été très touché par la description de l'ambiance de la ville qui, au fil des années, s'est dégradée, a été empoisonnée, mais n'a jamais été tuée puisque s'il restait de bons roumis , il y avait aussi les « bons arabes ». C'est vrai qu'on en était réduit à ça et, pour nous, gamins de cette époque douloureuse, la recherche identitaire a pris des chemins dévoyés et les rigoles sur le bord de nos routes sont devenues, trop souvent, des fossés.
Dans un autre registre, j'ai beaucoup aimé les descriptions de ce que je n'ai pas vraiment connu, pour cause de guerre. J'ai, je crois enfin situé la Souika (affreusement dénommé « village arabe » sur les plans coloniaux !), si chère au cœur de Najia et le quartier Sidi El Djellis. Souika est située en contrebas de la place Lamoricière, sous Sidi Rached et Ben Djellis vers le quartier juif.
En tous cas, elle a su trouver les mots pour parler de la maison familiale qu’elle a quittée pour aller à Sidi El Djellis et, si j'ai bien compris, à Sidi Mabrouk.
Dans ce roman, l’Auteure part à la reconquête de l’antique Cirta, comme si la ville des ponts l’avait répudiée. Au fil des pages, le lecteur occidental trouvera un excellent guide de Ksentina et celui qui a des souvenirs à partager communiera avec cette enfant élevée pour une bonne part dans la « Souika » et ayant fréquenté les européens grâce aux différentes écoles qu’elle a fréquentées avec son pédagogue de papa, successivement instituteur, directeur et conseiller pédagogique, féru d’Histoire.
Une grande vertu de son livre est de montrer la place que doit occuper l'Histoire dans nos existences. Cette place qui a manqué à ce Peuple algérien, je l'ai constaté lors d’un voyage en 84, pour s'approprier son pays et, au-delà de la libération du joug colonial, forger une vraie identité politique. Ben Bella a vraiment fait preuve d'une naïveté coupable qui a permis le phénomène Boumédiène, qui n’a pas arrangé les méfaits subits par notre Pays, après la France.
C’est un livre attachant, sensible, premier tome d’une trilogie dont le second volume est achevé et devrait donc être édité dans les mois à venir, en 2005. On le lit d’un trait, avec les odeurs de cette ville magique et ses bruits témoins du quotidien de cette cité imprenable, certes assez conservatrice, mais si hospitalière, aux habitants fiers et généreux. Cette générosité, on la retrouve à chaque page de ce livre merveilleux.
L’Albatros (Najia Abeer – Éditions Marsac septembre 2004)
Ce deuxième roman de Najia Abeer ne ressemble pas au précédent. C’est une parenthèse dans la trilogie en cours d’écriture. Parenthèse importante puisque outre l’analyse politique et sociale, l’auteure, avec une précision chirurgicale, nous dévoile les combats personnels de Nedjma.
L’héroïne qui ne peut être que la copie conforme de celle qui l’a créée, se débat dans une société en crise, auprès (le plus souvent loin) d’un mari nombriliste qui ne se soucie que de sa carrière. Elle se bat contre un cancer implacable et repousse la mort avec succès, tout en élevant ses trois enfants. Belle revanche sur la vie et sur les hommes !
Mais le combat de Najia/Nedjma ne s’arrête pas là. Il lui faut surmonter une grave dépression consécutive à la terrible maladie qu’elle a provisoirement vaincue et à sa solitude. Elle puise ses forces dans sa foi en un Dieu qui n’a rien à voir avec celui des barbus et dans sa révolte face au glissement de son amie Haoua, vers les profondeurs de l’obscurantisme. Cette révolte, loin de la priver de ressources face à la déprime, lui donne une vigueur supplémentaire. De front, elle mènera la lutte contre le vide affectif et la gangrène de l’islamisme.
Ce livre est tellement vrai que, par instant, c’est carrément l’auteure qui parle, sans même se réfugier derrière Nedjma. C’est alors un véritable cri.
Il restait à Najia Abeer à achever ce qu’elle a fort bien commencé avec le parcourt de Haoua : un autre roman qui, centré sur cette femme happée par l’intégrisme, nous éclaire avec la sensibilité propre à l’auteure sur cette décennie noire et le rôle des femmes algériennes dans la lutte pour se débarrasser des fous de Dieu.
La chronique d’un temps révolu à la recherche de l’espoir
Ce troisième roman de Najia Abeer, second de sa trilogie qui restera malheureusement inachevée, au-delà de la chronique d’une élève de l’École Normale de Constantine des années post libération nationale est encore un cri d’amour à la « Ville des Ponts » si chère à l’auteure. C’est aussi et toujours la quête d’un amour impalpable qui marquera à jamais la vie de la narratrice.
Dans le premier tome de la trilogie (Constantine et les moineaux de la murette 2003), nous avions quitté Joumana alors qu’elle abordait l’adolescence, dans un pays tout juste libéré du colonialisme. La recherche de Louise, la maman de Joumana, était déjà une démarche douloureuse et désespérée. Elle se poursuit dans ce second tome et Joumana se livre un peu plus encore. Chaque description, chaque situation illustre la personnalité de la jeune normalienne.
Très habilement, l’auteure nous emmène presque banalement sur la vie quotidienne d’une institution très respectable qu’est l’École Normale. Tout y passe, depuis la majorité des professeurs qui sont des coopérants français jusqu’à la coexistence de deux bacs, l’un algérien, l’autre français, en passant par les premières générations d’arabophones qui marquent clairement l’indépendance de l’Algérie.
Le lecteur, porté par les aventures de Joumana et de ses compagnes, fait des incursions de plus en plus intimes dans sa vie familiale et suit le cheminement psychologique d’une jeune fille blessée par la vie, à la recherche d’une affection non exprimée. Cette intimité permet de comprendre comment s’est forgé le caractère de l’héroïne et on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec celui de la romancière.
Joumana, dans cet opus, s’affirme bien comme une citadine, issue d’une grande famille constantinoise qui fait sa fierté, malgré sa difficulté à la vivre et son incapacité à intégrer sa belle-mère dans le cercle familial. Elle développe ses relations à la fois complices avec son papa et toutes les ambiguïtés résultant de la difficulté pour ce dernier à maintenir les plateaux de la « balance » en équilibre : d’une part ses filles et de l’autre Samra, sa seconde femme et cousine, et la petite dernière.
C’est au travers de tous ces méandres que Joumana/Najia se construit, s’affirme et se dirige tout droit vers la capitale algérienne pour devenir le professeur issu de l’École Normale Supérieure, haut du pavé de l’enseignement, libre de ses actes, loin du cocon familial où elle étouffait.
Ce deuxième tome de la trilogie, se lit à plusieurs niveaux. Les intimes, ceux qui ont côtoyé de près la narratrice, la comprendront mieux, après lecture. Les autres retiendront plus un témoignage unique des premiers pas des enseignants algériens formés dans la foulée de l’Indépendance. Reste aussi pour tous un nouveau cri d’amour pour le « Vieux-Rocher » qui veut se conjuguer avec l’espoir dans l’avenir d’une Joumana/Najia rebelle et moderne qui veut trouver la quiétude dans son univers familial.