dimanche 11 mai 2008

Boualem Sansal : Le village de l'allemand ou le journal des frères Schiller Gallimard janvier 2008

Boualem Sansal : Le village de l'Allemand ou le journal des frères SchillerCe livre est-il vraiment basé sur une histoire authentique, comme l'affirme son auteur ? Son propos se résume-t-il vraiment à vouloir comparer l'islamisme au nazisme ?

À la première interrogation, je réponds sans hésiter que ça n'a aucune espèce d'importance. Que ce soit vrai ou pas n'enlève ni n'ajoute rien au roman. Par contre, pourquoi Sansal a-t-il besoin de cette affirmation non démontrée pour présenter son roman ?

À la seconde question, je dois dire que je me suis demandé, tout au long de la lecture de ce roman, si je lisais bien le même ouvrage que tous ces auteurs des commentaires divers et variés s'étalant à longueur de colonnes sur cette similitude entre islamisme et nazisme et s'indignant avec force, dans un débat passionné auquel Boualem Sansal prête le flanc, comme le montrent les deux vidéos que l'on peut visionner à la suite de cet article. À croire que lui-même passe à côté de son propos !

Chacun jugera, mais j'ai tendance à penser que cette histoire n'a rien à gagner à l'exagération, à la caricature, sinon une certaine conception du marketing, si loin des ambitions littéraires. Si le village de l'Allemand existe vraiment, pourquoi ne pas le nommer ? Pourquoi l'avoir appelé Aïn Deb (la source de l'âne) et se contenter, sans autre précision, affirmer y être allé, il y a vingt ans et avoir découvert cette histoire assez incroyable ? Jusqu'à présent, aucune recherche n'a abouti... De la même façon, asséner que de nombreux nazis étaient venus gonfler les rangs de l'ALN, sans fournir de chiffres vérifiables, est quand même un peu court, lorsque l'on touche à des questions aussi sensibles. J'aimerais bien lire l'avis des historiens sur ces questions.

Je m'en tiens donc à ce que j'ai lu, en mettant de côté ce qui a envahi la scène médiatique, puisque c'est d'un roman que l'on parle. Nous entrons dans cette histoire par le biais de deux journaux écrits par deux frères : Rachel, l'aîné et Malrich, le plus jeune. En fait chaque chapitre est constitué de l'un ou de l'autre des deux journaux. Les deux frères sont nés d'un père allemand, Hans, et d'Aïcha, une mère algérienne. Ils vivent en France, chez un oncle, alors que leurs parents sont restés au pays.
Rachel (contraction de Rachid et Helmut), cadre aisé dans une grande multinationale, découvre que son père a servi dans l'armée allemande, dans les camps d'extermination, lors de la seconde guerre mondiale et a rejoint, plus tard, les combattants de l'ALN, lors de la guerre de libération en Algérie. Marié à Aïcha, converti à l'islam, le moujahid Hassan a des enfants et devient le cheikh respécté du village d'Aïn Deb.
Lors de la décennie noire, le village est massacré et les frères Schiller perdent leurs parents. C'est à cette occasion que Rachel qui est allé au bled découvre une boîte qui contient le terrible secret. À l'aide des documents qui s'y trouvent, Rachel refait le chemin accompli par son père pour comprendre. Il va être totalement détruit.
Son frère Malrich (contraction de Malek et Ulrich), sorti très vite du système éducatif et vivant de petits trafics, habite chez son oncle Ali et sa tante Sakina, en banlieue parisienne. Il découvrira ce terrible secret à la mort de son frère, suicidé un 24 avril comme ses parents pour expier des crimes de son père. Il fera lui aussi, à sa façon le chemin suivi par son père et éprouvera aussi la culpabilité. Il reste le plus positif des deux : « un jour je retournerai… et je raconterai l'histoire de Hans… je dois dire la vérité, dans la tête des enfants, elle fera son chemin ».

C'est sur ce fond tragique que Sansal aborde les questions sensibles :- le parallèle entre l'islamisme et le nazisme,- la culpabilité des descendants des criminels de guerre,- la Shoah,- la situation des banlieues françaises dans lesquelles vivent notamment des Algériens et des beurs rejetés par la France et livrés aux activistes islamistes.

L'auteur force le trait sur ce rapprochement entre islamisme et nazisme. Il a tort car en caricaturant, il décrédibilise son propos. Les cités quelles que soient les difficultés ne sont pas des camps de concentration, pas plus que l'Algérie, même si on ne peut que souhaiter une vie meilleure au peuple algérien. Ceci étant dit, ces aspects sont très loin d'être l'essentiel du roman qui est plutôt à chercher dans une étude minutieuse de la culpabilité vécue par les deux frères, chacun à leur façon. Voici, par exemple ce que dit Rachel : « Se découvrir le fils d'un bourreau est pire que d'avoir été soi-même un bourreau. Le bourreau a ses justifications, il s'abrite derrière un discours, il peut nier, il peut crâner, revendiquer son crime, que dis-je son ministère, et affronter fièrement la potence, il peut se cacher derrière ses ordres, il peut se sauver, changer d'identité, se construire de nouvelles justifications, il peut s'amender, il peut tout.Mais le fils, que peut-il, sinon compter les crimes de son père et traîner le boulet sa vie durant ? (...) Tu n'avais pas le droit de vivre, tu n'avais pas le droit de nous donner la vie, cette vie je n'en veux pas, elle est un cauchemar, une honte indélébile. Tu n'avais pas le droit de fuir, papa. (...) Hans Schiller, sois maudit ! » On peut regretter que cette analyse s'arrête à l'individu et que Boualem Sansal ne traite, à aucun moment, le problème sous l'angle du collectif. Il y avait là, l'occasion de donner plus de force encore à son roman.


Par contre, à travers Rachel, Sansal décrit, avec une minutie louable, les mécanismes de l'extermination des juifs. De ce point de vue, son roman trouve un souffle impressionnant et permet de rendre tout à fait crédible la démarche de Malrich qui, à son tour, va se saisir de cette histoire pour se hisser à un niveau de conscience remarquable, eu égard à son parcourt chaotique.

Enfin, même si je souligne la qualité de ce récit, je n'ai pas retrouvé le Sansal qui m'a ébloui avec Le serment des barbares et Harraga. Son style est plus sobre et ne donne pas lieu aux grandes chevauchées auxquelles il nous a habitués.

En résumé, c'est un bon roman, mais pas le meilleur de ceux qu'il a écrit.

Deux vidéos de l'interview de Boualem Sansal
accordée au Nouvel Observateur

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