Nous sommes dans une "pension de famille" où des vies en lambeaux s'étirent. Malika, la narratrice, côtoie des vieillards, des débiles, des caractériels, des êtres profondément blessés par la vie et surtout des femmes mises à l'écart de la société. Elles sont oubliées par le monde extérieur et c'est bien ça qui provoque encore et encore la colère de Maïssa Bey.
Comme dans tous ses livres, Maïssa, inlassablement monte au front pour raconter toutes ces femmes algériennes, pour revendiquer leur émancipation et faire qu'on les délivre de l'enfermement dans lequel les met la tradition et l'univers machiste.
Cette fois, le personnage central, surnommé M'laïka, se raconte, tout en recueillant la parole des autres pour nous transmettre des bouts de vies. D'emblée, elle nous prévient, avant même d'entamer les récits : "J'ai envie de dire ma rage d'être au monde, ce dégoût de moi-même qui me saisit à l'idées de ne pas savoir d'où je viens et qui je suis vraiment. De lever le voile sur le silence des femmes et de la société dans laquelle le hasard m'a jetée, sur des tabous, des principes si arriérés, si rigides parfois qu'ils n'engendrent que mensonges, fourberie, violence et malheur." Le destin l'a frappée et marquée pour la vie : arrêt de la croissance, aménorrhée primaire, estampillée "forte instabilité caractérielle", un cas qui laisse tout le monde dans l'ignorance et qui fait se refermer la coquille. Un cas bien encombrant, comme tant d'autres qu'elle finira par rejoindre dans cet endroit étrange où la vie s'est arrêtée.
Maïssa Bey, après avoir planté le décor, tant du point de vue de l'histoire de M'laïka que du "mouroir parcouru d'ombres d'êtres dans un état de décrépitude et d'hébétudes indescriptibles", nous transporte, tour à tour dans les chambres de résidents qui se confient à M'laïka. Comme pour faire une pause dans l'horreur, la narratrice fait des allers-retours dans sa chambre pour nous raconter un peu plus sa vie venue de nulle part et n'allant nulle part. C'est autant de petites nouvelles qui caractérisent les chapitres de ce poignant récit. Des mini condensés de vie qui, curieusement, ne commencent pas si mal que ça et finissent tous dans l'apocalypse.
Encore une fois, Maïssa Bey met sa très belle écriture au service des femmes de son pays. Inlassablement, elle se bat contre l'ignorance, le machisme, la tradition, l'obscurantisme. Elle nous surprend encore avec des effets poétiques et des formes d'écrit qui ne laissent pas indifférent. De cet amas d'horreurs, se dégage une grande humanité.
Maïssa Bey, signe là un nouveau livre fort, profond, émouvant et utile pour la condition féminine algérienne.
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