Une Algérie poétique
Nous sommes dans la très belle région de Collo où se trouve cette magnifique baie aux jeunes filles. La vie s'écoule lentement, dans le respect des traditions avec la toute puissance de l'homme et l'effacement de la femme. La petite fille, au centre de ce très beau récit, partage le quotidien de sa maman et son esprit vagabonde toute la journée, pendant que d'autres vont à l'école française. En ces temps coloniaux, le père ne veut pas que sa fille aille apprenne le français. Mère, comme l'appelle avec infiniment de respect la petite fille, va prendre tous les risques pour que sa fille fréquente l'école communale.
Au-delà de cette trame de fond, Fatiha Nesrine, avec beaucoup de délicatesse, de talent, nous livre le quotidien lancinant d'une femme confinée dans sa maison (enfermée dans ces quatre murs) et ses échappées poétiques. Le récit est parsemé de références à des légendes, des contes, des fables, de toute une fantasmagorie. Le récit est émaillé de comptines, de chansons enfantines. Mille détails, en apparence insignifiants, captent l'attention du lecteur qui ne peut plus se détacher du récit.
Les géants peuplent l'univers des enfants. Tout autant que les arbres, la végétation qui occupent la campagne et nourrissent l'imaginaire enfantin. Qui sont ces géants ? Au lecteur de l'imaginer, de le découvrir. Curieusement, le père est à la fois omniprésent et très absent du récit. Sans doute, faut-il le trouver dans le dédale des métaphores... De la même façon, les murs sont partout, sauf dans la baie, seul espace de liberté des femmes...
Les descriptions auxquelles s'adonnent Fatiha sont de pures merveilles ! Moi qui était sous un arbre du jardin, le vent dans les arbres, l'atmosphère chauffée par un généreux soleil charentais, je me suis retrouvé dans mon, notre Algérie aux milles senteurs. J'avais dans les narines la terre chaude arrosée par une pluie d'orage et dans les yeux le spectacle de l'oued qui déborde et balaie tout ce qui est sur son passage. Souvenirs d'enfance qui ressurgissent par la magie des mots.
Il n'empêche que ce récit qui ne peut être que fortement autobiographique, nous interpelle fortement sur la place de la femme dans la société algérienne, même si le discours évite avec adresse et justesse le militantisme pur et dur. Le lecteur est invité à réfléchir, à faire fonctionner son cerveau, au-delà des aprioris, des poncifs de tous bords. Comme pour la fillette, "la tête demeure l'unique espace de liberté" (commentaire de notre regrettée Najia Abeer).
Et la baie aux jeunes filles, me direz-vous, pourquoi ce titre ? Sachez simplement qu'elle est strictement réservée au femmes. Le reste, découvrez-le en vous jetant sur ce bouquin dont on a très peu parlé en Algérie. Trop peu.
À quand le prochain roman, Fatiha ?
Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de vous livrer, en partie, ce qu'a écrit mon amie et regrettée Najia Abeer, à propos du livre de Fatiha Nestrine et plus particulièrement son sentiment sur ce mystérieux géant :
"Et puis, il y a le Géant que raconte Fatiha, l’unique sœur et non mariée de Ahmed le fou. Mais qui est donc ce géant ? Fatiha Nesrine veut bien en faire un mystère, une véritable charade.
« Et le géant ? Le vrai.
(…)
Le géant n’est pas l’olivier.
Alors, un rocher ?
Un rai de lumière concentrée ?
Une paupière, voûte ouverte, printemps de l’amandier, piège vert, blanc, irisé, halo de senteurs, refuge des nuits d’été ?
(…)
Une onomatopée ? Une harmonie de sons ? La véhémence de l’été ?
(…)
Le géant est peut-être un arbre. Le géant est sans doute la fois d’après, celle qui ne recommencera pas…
Un voilier accostant sans écueil ?
Une baie où se reposer ?
(…) Sur le rivage, le géant s’est ensablé… Sur le chemin, un figuier,
Vieux comme la Méditerranée (…) Donnent des œufs bleus, tendres… »
Et, au moment même où l’on croit deviner, l’auteur nous renvoie à la question :
« Qui est le géant ?
Personne ne le connaît. Moi, les femmes me l’ont raconté. Il y a longtemps.»
Moi, je crois avoir deviné. Mur protecteur et obstacle infranchissable, bon et effrayant géant qui, signifiant haut et fort son incontournable présence dans le silence qui tue, réduisant l’espace de liberté à cet espace qu’aucun interdit, qu’aucune loi humaine ne réussira jamais à violer : l’esprit. N’est-ce pas ce mur obstiné, ce géant qu’on ne peut approcher même quand il sommeille, qui refuse la scolarité de sa fille ? Et la fillette de se demander si elle apprendra à tuer le temps comme sa mère, des jours, des mois, des années, si elle devra apprendre à « S’abîmer en prières muettes pour des jours meilleurs ? » L’enfant qui a patienté avant même de naître patientera encore et encore jusqu’au jour où la mère décide de l’envoyer à l’école… en secret."
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