MAHMOUD DERWICHIl est mort le poète!
12 Août 2008 - Page : 12
Est-ce le sort qui veut qu’à chaque fois je m’engage dans une épreuve aussi difficile que celle-ci pour pleurer la disparition d’un de mes frères de combat ou d’un de mes nombreux amis avec lesquels j’ai eu de grands souvenirs au cours de nos passionnantes missions pour le devenir de notre pays ou de notre communauté arabe?
Il n’y a pas si longtemps, j’ai eu à évoquer le souvenir d’un éminent moudjahid..., j’ai pleuré sincèrement Mohamed Merzougui, ce militant hors du commun qui avait érigé le sacrifice en vertu cardinale. Bien avant lui, Yasser Arafat, qui a su imprimer à la révolution palestinienne la volonté d’aller jusqu’au bout à travers une Intifadha historique, et, peu après, Georges Habache qui a constamment vécu avec une passion de nationaliste impénitent. Aujourd’hui, ce même sort, me tient pour responsable devant l’Histoire et me contraint à rédiger, à l’intention des jeunes, un «petit quelque chose» sur mon ami, que dis-je, sur mon frère Mahmoud Derwich, qui vient de rendre l’âme en ce 9 août 2008, dans un hôpital au Texas, loin de sa terre natale, alors qu’il luttait pour la survie ou..., plus exactement, pour continuer son combat.
Ainsi, j’ose m’exprimer avec la douleur qui m’étreint, pour pleurer mon frère Mahmoud Derwich qui vient de s’éteindre après soixante-sept ans de combat légitime, un combat auquel il a donné le meilleur de lui-même, en s’engageant corps et âme dans une bataille qui lui a été imposée depuis sa naissance dans une terre qui a été ravie aux Palestiniens depuis 1948 par les soudards sionistes, au nom d’un concept insidieux et inacceptable. Ainsi, le chantre de Palestine qui a toujours repoussé cette occupation en revendiquant, dans ses vers, avec la noblesse et la saveur poétiques, la liberté et la souveraineté de son pays, vient de rendre l’âme au Tout-Puissant, pour laisser d’autres, des milliers d’autres Derwich, poursuivre son sacrifice pour lequel il a toujours vécu, en refusant le fait accompli sur «sa terre, ses rivages, sa mer, son blé, son sel et ses blessures...» Et pourquoi ne pas écrire, pardon ne pas évacuer de mon sein, ce qui m’adjure de sortir pour être su par les jeunes qui ont tant besoin de repères pour apprendre la vie, pour prendre conscience à partir du combat de leurs aînés. Et Mahmoud Derwich est, en effet, cet exemple de courage, d’abnégation et de profonde sincérité. Il écrivait pour la Palestine, affirmait notre ami commun, le regretté Hussein Mroué, «comme chante un amant. Pour ses amours de chair comme qui cherche sa patrie. Pour la poésie comme si elle était la patrie, l’amante et l’identité. A chaque fois, il écrit comme s’il était, lui-même, la joie de l’amant et sa douleur, la sueur et les halètements de celui qui court en quête de patrie...Et c’est ainsi que jamais la métamorphose ne s’arrête et que Mahmoud n’en finit pas d’arpenter les frontières du renouveau.» Que c’est joliment dit! Franchement, un témoignage éloquent. Et comment ne l’est-il pas quand Mahmoud déversait ses bouquets de beauté poétique devant les impénitents colonisateurs? Voyons ce poème écrit en 1988, qui a fait couler tant d’encre en Israël et devant les membres de la Knesset:
Vous qui passez parmi les paroles passagères
Portez vos noms et partez
Retirez vos heures de notre temps, partez...
Extorquez ce que vous voulez
Du bleu du ciel et du sable de la mémoire
Prenez les photos que vous voulez, pour savoir
Que vous ne saurez pas comment les pierres de notre terre
Bâtissent le toit du ciel.
Mais ce langage, selon Mahmoud Derwich, les Israéliens le comprennent-ils? Non! Ils ne peuvent le comprendre car ils sont façonnés dans un moule -pardon, ils sont élevés dans une propagande- qui les laissent comprendre que «Le monde entier est contre eux», un autre alibi qui est devenu la spécificité d’Israël et la condition de son existence.
Ce en quoi, il a répondu un jour, froidement, courageusement, placidement, par deux phrases qui n’étaient pas composées dans le style de la poésie, mais qui attiraient plus encore, du fait qu’elles s’inscrivaient dans le chapitre de ces répliques de fortes magnitudes: «Les Israéliens poseraient-ils comme condition de la paix avec les Palestiniens que ces derniers tombent d’abord amoureux d’eux? Dans ce cas, nous risquons d’attendre longtemps, très longtemps.»
Mais avant de continuer sur l’oeuvre de ce géant de la littérature arabe combattante, disons aux jeunes de chez nous, cette génération qui doit prendre exemple sur ces Hommes d’envergure, sur ces défenseurs obstinés de justes causes, ce que fut Mahmoud Derwich, dans sa vie, dans son cheminement politique, dans sa lutte antisioniste, dans ses campagnes pour l’émancipation de son peuple de Palestine.C’est pour cela que je vais dire l’essentiel le concernant, en quelques phrases, non sans ce «préjugé» de l’ami, plutôt du frère de combat, comme il me plaît à le qualifier, car ayant été souvent côte à côte dans plusieurs rencontres internationales, dont les Conférences, les Congrès, les Colloques, les Symposiums, les Festivals, où il nous était donné de mener, tambour battant, cette lutte pour les principes que s’imposaient nos deux révolutions pour rétablir le peuple palestinien dans ses droits inaliénables.
Ce fut du temps où le front anti-impérialiste avait encore sa raison d’exister dans un monde où les «Grands» prônaient l’essence d’une «liberté bien étrange», comme disait quelqu’un bien de chez nous. Ce monde, en réalité, «ne ressemble guère à l’espace où l’on croyait contribuer à créer en participant à la guerre, un monde fraternel et solidaire, un monde généreux...» C’était du temps où notre pays soutenait indéfectiblement la justice, le droit des peuples qui menaient un combat libérateur contre le colonialisme, le néocolonialisme, l’impérialisme, le sionisme, l’apartheid et la ségrégation raciale dans d’autres continents à travers le monde.L’exil en 1948
Mahmoud Derwich naquit en 1941 dans une famille modeste de petits propriétaires terriens qui se virent spoliés en 1948 et chassés de leurs terres. Sa famille, composée de quatre frères et trois soeurs, se réfugia au Liban momentanément avant de revenir en Palestine occupée pour s’y installer clandestinement à Deïr El Assad, car leur village d’origine ayant été complètement rasé par les Israéliens qui aménagèrent sur le site des structures pour installer une colonie de peuplement. Entre-temps, Mahmoud Derwich ne pouvait interrompre ses études primaires. Assidu et studieux, il les continua dans le village de Deïr El-Assad, tout en vivant les affres de cette menace constante qu’un jour sa famille serait chassée une deuxième fois par les autorités sionistes. Plus tard, il finit ses études secondaires à Kafr Yasif, une ville située tout près de Jdeideh au nord de la ville de Galilée. De là, le jeune Mahmoud, plein de bonnes dispositions littéraires, partit à Haïfa où il publia, en 1960, alors qu’il n’avait que dix-neuf ans, son premier recueil de poésie ‘Açafir bila ajniha (Oiseaux sans ailes).
Ayant terminé ses études secondaires, il s’engagea dans la poésie et l’écriture d’articles ayant trait à la difficile situation de son peuple sous le joug d’un colonialisme affreux, impitoyable. Des poèmes et des articles virent le jour dans des journaux et magazines comme El-Ittihad et El-Jadid. Il deviendra, plus tard, rédacteur de ce dernier journal... En 1961, et sans aucun complexe, et en son âme et conscience - hier, nous voyions cet acte d’un mauvais oeil, même si nos compatriotes algériens ont fait de même avec le PCF avant notre révolution -, il rejoignit secrètement le Parti Communiste d’Israël, le «Rakah», pensant que c’était la bonne formule de militer concrètement contre l’ennemi à l’intérieur de ses rangs. «C’était pour moi, une forme de combat», m’avoua-t-il un jour, au cours d’une discussion passionnée autour de ce point. C’est à cet âge que commença son véritable combat, un combat inlassable, sans répit, un combat qui le fera connaître à travers la Palestine et même dans le monde. Il sera reconnu comme une «voix de la résistance palestinienne» grâce à son autre recueil Awraq Ez-zeytun (Feuilles d’olivier). Ce recueil sera suivi par l’ensemble de la jeunesse arabe et deviendra son hymne. C’est la consécration de Mahmoud Derwich car il sera très populaire, notamment avec le poème Carte d’Identité dont je suis heureux de présenter aux jeunes, qui le connaissent déjà, je n’en doute pas, la première strophe qui est significative à plus d’un titre :
Inscris!En tête du premier feuillet
Que je n’ai pas de haine pour les hommes
Que je n’assaille personne mais que Si j’ai faim
Je mange la chair de mon Usurpateur
Gare! Gare! Gare
À ma fureur!
Ces écrits, sous forme d’appels, ne passent pas inaperçus chez les sionistes qui craignent énormément les gens de lettres et du savoir. Ceux-là leur font plus de mal par l’éloquence de leurs mots que les balles des Kalachnikovs ou les pierres de ces enfants, Awled el-hidjara, qui n’ont d’autres alternatives que ce moyen de refuser leur effrayante condition. Ainsi, en choisissant cette forme de lutte, il révèle par des vers habilement conçus une tout autre réalité du rapport: le combat des Palestiniens et l’hégémonie d’Israël.
Pour cela, il sera plusieurs fois inquiété, voire emprisonné, pour sa production littéraire et ses activités politiques entre 1961 et 1967. Mais Mahmoud Derwich, ne désempare pas. Il part en 1970 étudier à Moscou, où il aura de nombreux autres contacts avec les Komsomols et même le Pcus qui, du temps de l’Union soviétique, était un solide allié des Palestiniens. Ensuite, il revient au Caire pour collaborer au fameux quotidien El Ahram et militer dans la ferveur du panarabisme qui avait encore droit de cité dans cette capitale qui se pointait comme le phare du monde arabe ou Oum Ed-dounia, selon l’«orgueil» de nos frères égyptiens.
Il revient à Beyrouth, dans ce carrefour du Moyen-Orient, pour militer aux côtés des grands dirigeants de l’OLP qui élisaient domicile et, en même temps, pour diriger le fameux mensuel Shu’un Filistiniyya, (Les affaires palestiniennes). Il fut également rédacteur en chef au «Centre de recherche Palestinien», un centre qui a énormément progressé et présenté de sérieuses études grâce à lui et aux compétences avérées d’excellents cadres qui s’y trouvaient. Là, Mahmoud Derwich rejoint l’OLP en 1973 et, bien plus tard, en 1981, il crée le journal littéraire El-Karmel et devient son rédacteur en chef. Au cours de sa présence à Beyrouth, il eut le plaisir de connaître un autre géant de la poésie palestinienne, j’ai nommé le militant Kamel ‘Oudouane, celui qui, avec Kamel Nacer, ont péri dans cette même capitale en 1974, lâchement assassinés par un commando sioniste. Et dire que je devais être avec eux ce soir-là, pour faire le trio des Kamel, s’il n’y avait cette correspondance, quelques heures avant, sur Baghdad où je devais représenter l’Algérie au Sommet de L’Ospaa. Cela est une autre chronique..., avec mes frères les Palestiniens!1982. Beyrouth est assiégée par les Israéliens. Les Libanais et les Palestiniens combattent contre un ennemi solidement armé et soutenu par les grandes puissances. L’armée sioniste essayait de faire fuir l’OLP de la ville. Et Mahmoud Derwich relatera cette résistance libano-palestinienne dans Qacidat Beyrouth et, tout de suite après la fin du siège par la sortie des Palestiniens, il repartira pour l’exil au Caire, à Tunis et ensuite à Paris. Son militantisme ne cessera pas. Bien au contraire, il redoubla d’effort et les nombreux événements qu’ont connus la Palestine et le monde arabe, l’obligèrent à accepter sa place parmi les grands dirigeants de son pays, au Comité exécutif de l’OLP, en 1987. Il fut également Président de l’Union des écrivains palestiniens. Deux éminentes charges pour celui qui connaît la valeur de la responsabilité et du militantisme. Cependant, Mahmoud Derwich n’était pas de ceux qui jouaient les conciliateurs et les vaporeux transitoires car, après les Accords d’Oslo du 13 septembre 1993, il quitta l’OLP en guise de protestation contre l’attitude «accommodante», disait-il, de son Organisation dans les négociations. Ainsi, en «préférant une paix mais une paix juste», il devait rencontrer des problèmes après avoir déclaré son refus de ces accords.
«Tout a été ambigu nous concernant. Tout doit être clair et calculé minutieusement dans les accords entre les pays, et ce n’était pas le cas pour les accords d’Oslo», précisait-il en les contestant, d’ailleurs, comme son ami, l’autre Palestinien, l’intellectuel et le philosophe Edward Saïd, pour lequel il signe tout un poème dédié à son âme, à cette voix révolutionnaire. Mahmoud Derwich aimait beaucoup Edward Saïd, cet ancien membre du Conseil national palestinien qui a fait mettre en pratique sa conception du rôle de l’intellectuel, chargé de «déterrer les vérités oubliées, d’établir les connexions que l’on s’acharne à gommer et d’évoquer des alternatives». Ce même philosophe, ne disait-il pas, sur les ondes de la BBC en 1993: «Le choix majeur auquel l’intellectuel est confronté est le suivant: soit s’allier à la stabilité des vainqueurs et des dominateurs, soit - et c’est le chemin le plus difficile - considérer cette stabilité comme alarmante, une situation qui menace les faibles et les perdants de totale extinction.» En effet, il l’aimait beaucoup. Ne disait-il pas à son égard: «Edward Saïd est un intellectuel universel d’origine arabe; la force de Saïd est qu’il est le produit de la culture occidentale et il est l’un des pionniers qui ont fait la critique de la culture occidentale»?
De retour en Palestine en 1995, pour rendre visite à sa mère, il eut une inestimable occasion d’assister aux funérailles de l’écrivain Émile Habibi, son ami également. Ensuite, il reçut des autorités israéliennes une autorisation de séjour pour s’installer à Ramallah où il demeura jusqu’en 2002, auprès de l’Autorité palestinienne. Ainsi, Mahmoud Derwich continua son militantisme pour la Palestine malgré ses problèmes de santé et l’opacité de la situation sur tous les plans, interne et externe, jusqu’à sa mort en ce 9 août de 2008 au «Mémorial Hermann-Texas Médical Center» à Houston où il avait été admis.
Une question fort intéressante, bien sûr! D’ailleurs, ce bref rappel d’un cheminement politique nous laisse présager une vie remplie de bonnes oeuvres, pour ne pas dire d’oeuvres immortelles. En effet, le poète est mort..., c’est quelque chose qui disparaît. Mais ses livres resteront...Ses poésies lui survivront longtemps, très longtemps, tant est si bien que son nom va continuer à briller dans le ciel du patrimoine culturel arabe. Ce qui manquera, peut-être, et là je rejoins un des chroniqueurs d’un important journal étranger qui écrivait, dès l’annonce de sa mort: «Ce qui nous manquera, c’est sa voix, ce grain unique assorti d’un regard porteur d’une vision», auquel j’ajouterai, pour ma part, «mais également d’une conception de combat, d’un message pour les générations futures qui doivent se débarrasser de toutes les contradictions et des luttes intestines, pour aller de l’avant dans le sens du concret et de la réussite, afin d’activer l’instauration de ce climat de paix tant attendu en Palestine.»
Que laisse-t-il ?
Mahmoud Derwich laisse une oeuvre essentiellement poétique, combattante, qui représente une véritable lutte pour la liberté, un authentique mouvement d’une terre, une sincère complexion d’un peuple, d’une culture en même temps qu’une tentative audacieuse de conception littéraire. Elle est faite pour la Palestine, uniquement pour la Palestine, avec ses contours de démocratie, de respect d’autrui et de rapprochement entre les différentes communautés qui vivent sur cette terre, longtemps martyrisée par la bêtise humaine, dont le sioniste en est le principal vecteur de dissension. «La solitude et le désarroi de l’exil exprimés côtoient l’acceptation noble et courageuse où le désespoir profond devient générateur de création, porteur d’une charge poétique intense», ajoutent d’autres écrivains qui viennent témoigner leur douleur pour la disparition de ce monument de l’histoire de la littérature engagée, de cette voix de la liberté et de l’espoir.Il laisse ces splendides «vers d’exil», écrits dans la beauté de la langue arabe qui a fait de la poésie une matière noble et qui, en pareilles circonstances, celles de l’occupation d’un légendaire pays comme la Palestine, se transforme en fusils contre toutes les barbaries. Je parle de vers ou de ces poésies d’exil, car mon frère Mahmoud avait constamment sur les lèvres le terme «exil». Et je le comprenais aisément quand je savais qu’il était sorti tout jeune de sa Galilée mythique pour «habiter dans une valise», selon ses propres termes...,des termes justes qu’il lançait à ses indus-occupants qui sont constamment comblés de sollicitude par les gendarmes du monde qui les ont installés, sur cette terre, en dépossédant les véritables locataires, au détriment du droit international. N’écrivait-il pas à son autre ami, Samih El Kessem, resté là-bas en Palestine, alors que lui était en exil, ces sentences impressionnantes, dans un style plein de sensibilité et d’émouvante nostalgie? Je cite: «Un lieu, je veux un lieu! Je veux un lieu à la place du lieu pour revenir à moi-même, pour poser mon papier sur un bois plus dur, pour écrire une plus longue lettre, pour accrocher au mur un tableau, pour ranger mes vêtements, pour te donner mon adresse, pour faire pousser de la menthe, pour attendre la pluie. Celui qui n’a pas de lieu n’a pas non plus de saisons. Pourras-tu me transmettre l’odeur de notre automne dans tes lettres? Emmène-moi là-bas, s’il reste encore une place pour moi dans le mirage figé. Emmène-moi vers les effluves de senteurs que je respire sur les écrans, sur le papier, au téléphone...»
Enfin, il disait, dans ce chapitre douloureux, qui n’accorde aucune circonstance atténuante à ceux qui ont spolié et chassé tout un peuple..., il leur disait sans rien perdre de sa verve ni de son engagement vis-à-vis de son pays, de sa lutte légitime: «Celui qui m’a changé en exilé m’a changé en bombe...Palestine est devenue mille corps mouvants sillonnant les rues du monde, chantant le chant de la mort, car le nouveau Christ, descendu de sa croix, porta bâton et sortit de Palestine.» Des expressions pleines d’amertume, mais serties quelquefois ou souvent de cette magnanimité qui lui donnait cette explication politique au travers de belles paroles, tant sur le plan du verbe que de la musique..., une explication qui démontrait, entre autre, ses talents de diplomate et la sincérité du propos vis-à-vis de circonstances imposées à ce peuple de Palestine qui n’a pas cessé d’endurer les affres d’une occupation aveugle? N’en démontre que cette déclaration: «Le sarcasme m’aide à surmonter la dureté de la réalité que nous vivons, à apaiser la douleur des cicatrices et à faire sourire les gens.» Et de continuer en tirant son épingle du jeu, pour ne pas être pris pour ce qu’il n’était pas et considéré comme un insatiable «terroriste», terme si cher à ceux qui ont en aversion le combat légitime des peuples: «L’Histoire se moque autant de la victime que de l’agresseur.»
Enfin, et malgré tout, Mahmoud Derwich, le poète, l’écrivain, le penseur, le philosophe, le combattant et l’intellectuel, vivait d’espoir comme vivent, jusqu’à aujourd’hui, ces millions de Palestiniens et d’Arabes - lesquels ont foi en cette cause centrale qu’on appelle la Palestine - et le montrait manifestement, sans rougir d’émotion, et encore moins sans complaisance. Il s’exprimait dans la clarté la plus absolue: «Nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Espoir de libération et d’indépendance. Espoir d’une vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l’école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original: terre d’amour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de cet espoir.»
Il laisse concrètement un nom, une effigie sur l’ensemble de ses oeuvres, une marque indélébile de bonnes manières, il laisse ces belles paroles reprises aujourd’hui par mon autre ami, Marcel Khalifé et tant d’autres chanteurs arabes. Il laisse une bibliothèque où doivent aller, pour s’abreuver, tous les jeunes en quête de savoir et d’éducation patriotique et civique. Il laisse Les Feuilles d’olivier, Un amoureux de Palestine, La fin de la nuit, Journal d’une blessure palestinienne, Les oiseaux meurent en Galilée, ceux-là, parmi ses premiers recueils. Il laisse également: «C’est son image et c’est le suicide de son amant», Ode à Beyrouth, Une eulogie pour le grand fantôme, une anthologie Rien qu’une autre année, Palestine, mon pays: l’affaire du poème et d’autres oeuvres rédigées pendant son exil parisien dont La terre nous est étroite, et autres poèmes, chez Gallimard en 2000, Le lit de l’étrangère, chez Arles, Actes Sud, en 2000, Murale, chez Arles, Actes Sud, en 2003, Etat de siège, chez Paris Sindbad/Actes Sud, en 2004 et Ne t’excuse pas, chez Paris Sindbad/Actes Sud, en 2006.
Ce que je reproduis là, ne sont pas toutes ses oeuvres qui sont bien plus nombreuses, heureusement. Mais je les rappelle modestement, en fonction de sa simplicité et de sa candeur qui ont été toujours inégalables. «Parfois, je me sens encore un poète amateur et parfois je me sens un vrai professionnel, un jongleur de mots. Je vis entre ces deux sensations qui me permettent d’innover et de continuer», affirme-t-il dans un style dépourvu de faux-fuyant et d’hypocrisie. En tout cas, pour nous et pour le monde entier, ce monde qui apprécie les belles lettres et les superbes tournures qui reflètent la sincérité et l’honnêteté du barde palestinien, Mahmoud Derwich restera le «poète universel, il restera un monument-phare de la poésie arabe contemporaine, la figure de proue de la Cause palestinienne.»Dans sa poésie au lyrisme tempétueux, malgré lui d’ailleurs, puisqu’il se proclamait en faveur de poésies mesurées, le rythme ne quittait jamais son écriture. Et puis, comme le confirmait Hussein Mroué, déjà cité, «il y a le plus éclatant, le lyrisme des images. Dans le texte derwichien, les images se déploient sur deux axes convergents: celui de l’image en elle-même, comme valeur esthétique propre et relativement autonome et celui de sa fonction dans la complétude du poème.» Tout cela, bien évidemment, parce que la poésie de Mahmoud Derwich est née dans l’impétuosité de la lutte pour l’avenir et le devenir de la Palestine, elle est née d’un événement singulier et propre à imprimer dans l’esprit du jeune, qui deviendra un poète virtuose, ce bouillonnement, cette musique intérieure et ce rythme qui ne le quitteront jamais..., jusqu’à sa mort.
Ainsi était mon frère Mahmoud Derwich et ainsi restera gravé son souvenir dans nos coeurs et en Palestine, dans cette terre qui vit encore les affres de la colonisation sioniste d’une part, et les mouvements convulsifs de la mésentente, à partir de luttes fraternelles, d’autre part. Il est parti joyeux peut-être d’avoir accompli son devoir, mais il est parti quand même avec cette aigreur qu’ont tous les authentiques révolutionnaires, qui se demandent, tout comme lui de son vivant: «Le Monde arabe, la douleur! La défaite de 1967, le blocus de Beyrouth en 1982, la guerre contre l’Irak et la conjoncture actuelle où vit le Monde arabe...Dans cette déchirure, peut-on encore espérer?»
Dors en paix Mahmoud, ce que je peux te dire, pour l’instant, c’est que l’avenir, les jeunes Arabes et la Palestine ne t’oublieront jamais !
(*) Ancien ministre et ex-ambassadeur
Kamel BOUCHAMA (*)