jeudi 22 mai 2008

Maïssa Bey : Pierre, sang, papier ou cendre


ENTRETIEN AVEC L’ÉCRIVAIN MAÏSSA BEY
«Pas de haine...ni de pardon» (22 mai 2008)

«Beaucoup m’ont dit que c’est un livre nécessaire...», nous a confié l’auteure, lors d’une vente-dédicace, lundi dernier, à la libraire du Tiers-Monde.
Maïssa Bey est une femme blessée dans sa chair. Son père décéda en 1957, suite à des sévices endurés par la main du colon. Maïssa Bey est née avec cette plaie, jamais cicatrisée. Son salut, elle le doit aujourd’hui à l’écriture. Un don inculqué par son père, jadis instituteur. Depuis, elle n’a de cesse décrire et de «créer», toujours des histoires qui rappellent étrangement son mal, mais un mal parfois commun à tous les Algériens. C’est alors que les souffrances de Maïssa se diluent dans la beauté du mot, la précision du verbe. L’amour de la littérature tout simplement, y compris française, ce butin de guerre cher à un autre grand écrivain, Kateb Yacine. Cette culture «plurielle» n’est-ce pas ce qui nous constitue finalement? Aussi, depuis 1996, cette femme de Sidi Bel Abbès n’arrête pas d’écrire, en français. Des nouvelles, des romans, des récits. Certains sont adaptés sur les planches grâce à un ami français, Jean-Marie Lejude qui a pris l’habitude d’adapter ses textes en pièces de théâtre. Ce sera idem pour ce dernier roman Pierre, sang, papier ou cendre, qui remonte le fil du temps pour évoquer 132 années de spoliation de terres, de tortures, de violence, d’exactions, de déculturation, de négation du droit. Un roman fait de «sang», de «cris», et de «lamentations» à l’égard du peuple algérien. Mais aussi de «désirs et de rêves nés d’histoires parfumées, d’épices enivrantes, d’histoires saupoudrées d’exotisme...On appelle cela Désir d’Orient». Un roman, sur «les bienfaits de la colonisation» de cette Madame Lafrance qui a «remodelé cette terre (l’Algérie) à son image» et raconté par le regard de cette innocente sentinelle : Un enfant.
«L’enfant marche dans les rues du village.
Partout, partout la mort a laissé son empreinte.
L’enfant court.L’enfant retourne aux champs.
Il se cache au milieu des herbes.
Rouge. Rouge, le sang des coquelicots.
Jaune. Or des jonquilles...»
Alors, les peurs et les hésitations écartées, ce texte, appuyé de recherches approfondies, de quête historique, d’inspiration fortement poétique, dans l’esprit et dans la forme, une première pour Maïssa Bey, est né. Apres trois ans de préparation et de maturation. Il s’appellera Pierre, sang, papier ou cendre, un titre qu’elle doit à Paul Eluard. Un ouvrage saisissant aussi, dont le texte est écrit, précise Maïssa Bey pour la campagne L’oeil du Tigre (Reims). Il a été créé sous le titre de Madame Lafrance, au théâtre Nouveaux relax de Chaumont, en février 2008. Une adaptation et mise en scène par Jean-Marie Lejude avec comme comédiens, Fatima Aïbout et Lahcen Razzougui et comme accompagnement musical, un accordéon signé Eric Proud, sur une scénographie de Thierry Vareille.
Avec ce nouveau roman, Maïssa Bey gagne effectivement en intensité et en lumière. Autant qu’en force poétique. Ses mots sonnent comme un vent, hissant le voile d’un bateau prêt à se lancer dans mille batailles...
Comme avant-goût, voici cet extrait: «Elle avance. Droite, fière, toute de morgue et d’insolence, vêtue de probité candide et de lin blanc, elle avance. C’est elle, c’est bien elle, reconnaissable en ses atours.Tout autour d’elle, on s’écarte. On s’incline. On fait la révérence.
Elle avance, Madame Lafrance.Sur des chemins pavés de mensonges et de serments violés, elle avance.Claquez pavillons! Aux armes, citoyens! Formez vos bataillons, en rangs serrés:Tous derrière elle! Et vous, peuplades barbares, écartez-vous, prosternez-vous!» Le ton est donné. Tranchant. Aiguisé. Un livre impitoyable, à lire, celui d’une femme apaisée, qui se réconcilie enfin avec l’autre et soi-même. Grâce à l’écriture... Ecoutons-la.


L’Expression : Vous venez de publier aux Editions Barzakh, un nouveau livre sorti aussi en France, intitulé Pierre, sang, papier ou cendre qui évoque 132 ans de colonisation, qui retrace l’histoire de l’Algérie de 1830 à 1962. L’histoire se veut donc antérieure à votre roman Bleu, blanc, vert qui, lui, retraçait l’histoire de l’Algérie de 1962 à 1992. Je crois savoir que ce livre devait être à l’origine une pièce de théâtre sur les bienfaits de la colonisation. Qu’est -il vraiment?
Maïssa Bey : Le fait que j’avance dans l’histoire à rebours, pas exactement dans le sens chronologique, c’est parce que dans Bleu, blanc, vert je reviens sur la période post-indépendance (1962-1992). J’ai essayé donc d’éclairer notre présent à la lumière de cette histoire-là. Je me suis rendu compte qu’il fallait aller plus loin, creuser encore plus pour savoir de quoi nous sommes faits et construits. A la suite d’un entretien avec un metteur en scène qui monte tous mes livres au théâtre, qui s’appelle Jean-Marie Lejude, dont Entendez-vous dans les montagnes qui a été joué ici au Centre culturel français d’Alger, nous discutions un jour, en 2005, après la promulgation de la loi du 23 février sur les bienfaits de la colonisation. Il me dit: «Ecoute, Maïssa tu devrais écrire quelque chose sur "ces bienfaits"». Il voulait montrer ce qu’était réellement la colonisation
L’Expression : Vous avez, au départ, je suppose, rejeté la proposition.
Maïssa Bey : Oui, tout à fait car je ne suis pas historienne et je ne voulais pas revenir sur cette période...Il est revenu à la charge au moment où des écrivains africains, français et autres réagissaient à cette loi et au discours de Sarkozy à Dakar. J’ai pensé qu’il fallait quand même, nous, Algériens réagir à elle, nonobstant les journalistes et autres historiens. Je me suis demandé comment, moi romancière, je pourrais écrire quelque chose sur le sujet. Une lettre ouverte n’aurait pas suffi et n’aurait pas eu l’impact escompté. J’ai donc essayé d’imaginer dans quelle mesure je pouvais rentrer dans cette histoire-là, mais d’un point de vue d’écrivain et non d’historienne. Je voulais revenir sur la réalité, sur le fait colonial lui-même. Et comment revenir sur le fait colonial autrement qu’en essayant d’imaginer la vie quotidienne en ce temps. Imaginer un personnage confronté à cette réalité coloniale. Il s’agissait pour moi d’imaginer un enfant..
L’Expression : Pourquoi le regard d’un enfant?
Maïssa Bey : Le regard d’un enfant est important et intéressant. D’abord parce qu’il est porteur d’innocence. Parce qu’un enfant se pose des questions que des adultes ne se posent plus ou ne savent plus se poser. Aussi, je me méfie du mot vérité, car s’agissant de la colonisation, elle reste chez nous, toujours tributaire du subjectif, du vécu.
L’Expression : Cela a été dur de recouper tous ces faits historiques et de se documenter autour de la question coloniale.
Maïssa Bey : Cela a été surtout très long. Je croyais connaître l’histoire de l’Algérie. Je connaissais les faits les plus marquants, certaines dates, mais quand je me suis replongé dans cette histoire, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses que je ne connaissais pas. Donc j’ai essayé, à travers ce regard d’enfant, de voir d’abord quel était l’effet de la colonisation sur le peuple algérien, l’individu et non pas la masse comme on le considère de manière générale historiquement.
L’Expression : Vous avez, dans ce livre, évoqué ce que la France a laissé en vous comme empreintes..
Maïssa Bey : Il y a une tendance à faire l’impasse sur des choses qui nous ont constitués. Par exemple, aujourd’hui, on parle de colonisation française, mais je suis et je le répète, un produit de cette colonisation, ne serait-ce que par l’emploi de la langue française dans laquelle j’écris, je m’exprime, la langue dans laquelle j’ai appris à être, je suis, voilà. Ce sont des choses que je ne veux pas nier. Beaucoup de gens en France n’ont pas encore digéré d’avoir perdu l’Algérie. Je dis, certaines personnes n’ont pas encore accepté la réalité historique. Ce sont là des faits pervers de la colonisation. Je cite quelques exemples : Les ponts, les routes, les hôpitaux etc. On nous dit, voilà ce que la France a laissé. Or, ce n’était pas pour les «indigènes». Parce que c’était un territoire français et il fallait qu’il y ait l’architecture d’un territoire français. Cela n’a pas été fait pour le bien des indigènes, mais celui des Français. Il se trouve qu’aujourd’hui, ce pays n’est plus la France. Il y a même des gens qui me disent aussi: imaginez si la colonisation française n’avait pas eu lieu, que serait l’Algérie d’aujourd’hui? Je leur réponds : Elle se serait forgée, peut-être difficilement, peut-être avec un certain retard, par rapport, entre guillemets, aux démocraties occidentales mais moins douloureusement. Elle aurait une réalité, une culture, une histoire, des racines qui nous seraient propres et personnelles. Alors qu’aujourd’hui, on est faits de tous ces fragments qu’on essaie de bien rassembler pour constituer un Algérien.
L’Expression : C’est un peu provocateur ce terme «Madame la France»..
Maïssa Bey : Je n’ai rien inventé. C’est un terme qui existait et que beaucoup employaient ici. Quand on considère les représentations picturales ou les statuts, la France s’est toujours représentée sous des traits féminins. C’est une allégorie que je n’ai pas inventée et que j’ai reprise, bien sûr, avec cette dose d’ironie qui est nécessaire pour faire passer le propos.
L’Expression : Comment ce livre a-t-il été perçu depuis sa sortie en France?
Maïssa Bey : Beaucoup m’ont dit que c’est un livre nécessaire. Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de ce pays. Quand ils ont découvert, par exemple, à travers les yeux de cet enfant les répercussions du Code de l’indigénat sur le quotidien des Algériens, il y a des gens qui m’ont dit: «Nous ne savons pas. Nous avons lu des livres d’histoire, mais nous n’arrivions pas à visualiser. Tandis que là, c’est l’enfant qui raconte cette privation de liberté que représente cette entreprise d’acculturation qu’est le Code de l’indigénat. C’est raconté au quotidien par un enfant.» Cela rend les choses beaucoup plus proches. D’autres me disent aussi, c’est ce que nous retrouvons dans vos livres. Il n’y a pas de haine, mais il n’y a pas de pardon non plus.Cela se traduit aussi par la forme d’écriture, nouvelle chez vous, et la veine poétique dans laquelle vous avez puisé pour transmettre cette histoire.Le côté poétique est un parti pris. Quand j’ai entrepris ce texte qui est quand même assez ambitieux, je me suis dit que je n’avais pas droit à l’erreur. D’abord au plan historique.Il fallait que tous les faits historiques soient vérifiés. La deuxième chose, c’était sur le plan de l’écriture parce que dire des choses atroces telles qu’elles se sont passées, le napalm, les tortures, c’est horrible! Je ne pouvais pas les décrire comme elles se sont déroulées. Il fallait transcender cela par l’écriture. Vous savez, quand on lit des tragédies grecques où il y a les pires des choses qui se passent, les parricides, les matricides, etc. et pourtant, c’est très beau parce que c’est de la littérature, c’est de la création. Je crois que c’est ça que j’ai gardé en tête durant toute la rédaction de ce texte.
L’Expression : On ne peut faire l’impasse sur cette question. Récemment, s’est tenu le Salon international du livre de Paris qui a été consacré au 60e anniversaire d’Israël. Il se trouve que vous êtes un des rares écrivains algériens à ne pas avoir boycotté ce Salon. Pourquoi ce choix? D’autant qu’avec ce livre, un peu brûlot, sorti donc à l’occasion du Salon - c’est un peu provocateur de votre part - Est-ce finalement votre réponse (ce livre) à vos détracteurs?
Maïssa Bey : J’ai toujours refusé de répondre à cette question. Car il y a des propos qui ont été rapportés et déformés sciemment. Je le sais. Mais comme vous le dites, c’est tout à fait ça. Ma réponse est que je suis écrivaine. Ma seule réponse, c’est ce livre-là.
Propos recueillis par O. HIND

dimanche 11 mai 2008

Boualem Sansal : Le village de l'allemand ou le journal des frères Schiller Gallimard janvier 2008

Boualem Sansal : Le village de l'Allemand ou le journal des frères SchillerCe livre est-il vraiment basé sur une histoire authentique, comme l'affirme son auteur ? Son propos se résume-t-il vraiment à vouloir comparer l'islamisme au nazisme ?

À la première interrogation, je réponds sans hésiter que ça n'a aucune espèce d'importance. Que ce soit vrai ou pas n'enlève ni n'ajoute rien au roman. Par contre, pourquoi Sansal a-t-il besoin de cette affirmation non démontrée pour présenter son roman ?

À la seconde question, je dois dire que je me suis demandé, tout au long de la lecture de ce roman, si je lisais bien le même ouvrage que tous ces auteurs des commentaires divers et variés s'étalant à longueur de colonnes sur cette similitude entre islamisme et nazisme et s'indignant avec force, dans un débat passionné auquel Boualem Sansal prête le flanc, comme le montrent les deux vidéos que l'on peut visionner à la suite de cet article. À croire que lui-même passe à côté de son propos !

Chacun jugera, mais j'ai tendance à penser que cette histoire n'a rien à gagner à l'exagération, à la caricature, sinon une certaine conception du marketing, si loin des ambitions littéraires. Si le village de l'Allemand existe vraiment, pourquoi ne pas le nommer ? Pourquoi l'avoir appelé Aïn Deb (la source de l'âne) et se contenter, sans autre précision, affirmer y être allé, il y a vingt ans et avoir découvert cette histoire assez incroyable ? Jusqu'à présent, aucune recherche n'a abouti... De la même façon, asséner que de nombreux nazis étaient venus gonfler les rangs de l'ALN, sans fournir de chiffres vérifiables, est quand même un peu court, lorsque l'on touche à des questions aussi sensibles. J'aimerais bien lire l'avis des historiens sur ces questions.

Je m'en tiens donc à ce que j'ai lu, en mettant de côté ce qui a envahi la scène médiatique, puisque c'est d'un roman que l'on parle. Nous entrons dans cette histoire par le biais de deux journaux écrits par deux frères : Rachel, l'aîné et Malrich, le plus jeune. En fait chaque chapitre est constitué de l'un ou de l'autre des deux journaux. Les deux frères sont nés d'un père allemand, Hans, et d'Aïcha, une mère algérienne. Ils vivent en France, chez un oncle, alors que leurs parents sont restés au pays.
Rachel (contraction de Rachid et Helmut), cadre aisé dans une grande multinationale, découvre que son père a servi dans l'armée allemande, dans les camps d'extermination, lors de la seconde guerre mondiale et a rejoint, plus tard, les combattants de l'ALN, lors de la guerre de libération en Algérie. Marié à Aïcha, converti à l'islam, le moujahid Hassan a des enfants et devient le cheikh respécté du village d'Aïn Deb.
Lors de la décennie noire, le village est massacré et les frères Schiller perdent leurs parents. C'est à cette occasion que Rachel qui est allé au bled découvre une boîte qui contient le terrible secret. À l'aide des documents qui s'y trouvent, Rachel refait le chemin accompli par son père pour comprendre. Il va être totalement détruit.
Son frère Malrich (contraction de Malek et Ulrich), sorti très vite du système éducatif et vivant de petits trafics, habite chez son oncle Ali et sa tante Sakina, en banlieue parisienne. Il découvrira ce terrible secret à la mort de son frère, suicidé un 24 avril comme ses parents pour expier des crimes de son père. Il fera lui aussi, à sa façon le chemin suivi par son père et éprouvera aussi la culpabilité. Il reste le plus positif des deux : « un jour je retournerai… et je raconterai l'histoire de Hans… je dois dire la vérité, dans la tête des enfants, elle fera son chemin ».

C'est sur ce fond tragique que Sansal aborde les questions sensibles :- le parallèle entre l'islamisme et le nazisme,- la culpabilité des descendants des criminels de guerre,- la Shoah,- la situation des banlieues françaises dans lesquelles vivent notamment des Algériens et des beurs rejetés par la France et livrés aux activistes islamistes.

L'auteur force le trait sur ce rapprochement entre islamisme et nazisme. Il a tort car en caricaturant, il décrédibilise son propos. Les cités quelles que soient les difficultés ne sont pas des camps de concentration, pas plus que l'Algérie, même si on ne peut que souhaiter une vie meilleure au peuple algérien. Ceci étant dit, ces aspects sont très loin d'être l'essentiel du roman qui est plutôt à chercher dans une étude minutieuse de la culpabilité vécue par les deux frères, chacun à leur façon. Voici, par exemple ce que dit Rachel : « Se découvrir le fils d'un bourreau est pire que d'avoir été soi-même un bourreau. Le bourreau a ses justifications, il s'abrite derrière un discours, il peut nier, il peut crâner, revendiquer son crime, que dis-je son ministère, et affronter fièrement la potence, il peut se cacher derrière ses ordres, il peut se sauver, changer d'identité, se construire de nouvelles justifications, il peut s'amender, il peut tout.Mais le fils, que peut-il, sinon compter les crimes de son père et traîner le boulet sa vie durant ? (...) Tu n'avais pas le droit de vivre, tu n'avais pas le droit de nous donner la vie, cette vie je n'en veux pas, elle est un cauchemar, une honte indélébile. Tu n'avais pas le droit de fuir, papa. (...) Hans Schiller, sois maudit ! » On peut regretter que cette analyse s'arrête à l'individu et que Boualem Sansal ne traite, à aucun moment, le problème sous l'angle du collectif. Il y avait là, l'occasion de donner plus de force encore à son roman.


Par contre, à travers Rachel, Sansal décrit, avec une minutie louable, les mécanismes de l'extermination des juifs. De ce point de vue, son roman trouve un souffle impressionnant et permet de rendre tout à fait crédible la démarche de Malrich qui, à son tour, va se saisir de cette histoire pour se hisser à un niveau de conscience remarquable, eu égard à son parcourt chaotique.

Enfin, même si je souligne la qualité de ce récit, je n'ai pas retrouvé le Sansal qui m'a ébloui avec Le serment des barbares et Harraga. Son style est plus sobre et ne donne pas lieu aux grandes chevauchées auxquelles il nous a habitués.

En résumé, c'est un bon roman, mais pas le meilleur de ceux qu'il a écrit.

Deux vidéos de l'interview de Boualem Sansal
accordée au Nouvel Observateur

mardi 29 avril 2008

Boualem Sansal : Le Serment des barbares - Gallimard

Boualem Sansal : Le serment des barbaresPour un bouquin, c'est un bouquin !
Pour un premier roman, c'est un coup de maître !
C'est l'histoire d'un flic, un flic intègre qui cherche la vérité dans un monde totalement corrompu et instrumentalisé. L'inspecteur Larbi enquête sur la mort d'un anonyme, obscur gardien de cimetière chrétien à Rouiba qui gardait des caveaux abandonnés et bourrés de drogue et d'armes. Dessous ce trafic, le GIA. A l'occasion de cette affaire, Larbi tombe sur une affaire parallèle, celle de Moh, riche entrepreneur de Rouiba également qui avait des relations mafieuses. Cette histoire algérienne, sur fond de corruption généralisée, de meurtres islamistes à tout va, de barbus, de tangos, permet de remonter aux années de lutte pour la libération de l'Algérie, au règne sans partage du FLN qui s'est imposé comme seul acteur de la révolution.
Toute passionnante qu'elle est, cette intrigue n'est qu'un prétexte à la dénonciation implacable d'un système algérien généralisé qui tue toute espérance démocratique. C'est la loi de la jungle, le règne de l'argent, la dictature de la corruption. là est le véritable sujet du livre, d'autant qu'il permet à Sansal de s'attaquer à l'institution FLN qui a noyauté la guerre d'indépendance, au prix de luttes intestines sans aucune complaisance. Les éliminations brutales de cette époque pour imposer une seule voix, n'ont pas empêché, après la guerre de libération de remettre sur le devant de la scène les factions. C'est ainsi, nous dit Boualem Sansal que ce pays s'est enfoncé dans l'absurde et la violence.
Boualem Sansal s'explique sur la naissance de cette oeuvre : "Elle a été enfantée à une époque sombre de l'Algérie, en 1984, au plus fort du terrorisme. Ça l'est toujours. J'occupe de hautes fonctions dans l'administration et cela a fait de moi un observateur privilégié. La situation en Algérie est étonnamment complexe. Les négociations menées par le FIS, le GIA se sont soldées par un processus de réhabilitation des terroristes... Le pouvoir, s'il le veut, peut mettre un terme à toute cette violence. L'Algérie, c'est le cauchemar, et sur le plan stylistique je traduis le cauchemar, la peur et la tension permanente. L'administration est cauchemardesque. C'est un régime absurde. Tout part à vau l'eau. Tout n'est qu'illusion. L'illusion fonctionne. Les intellectuels se sont tus trop longtemps. Certains s'expatrient, d'autres se font assassiner. Les intellectuels dits francophones ne sont pas aimés en Algérie. Nous sommes marginalisés."
Le lecteur est confronté à une véritable logorrhée. Un peu comme un combattant qui reste le doigt crispé sur la détente de sa mitraillette. Les mots fusent, ne laissant aucun répit et ne faisant grâce à rien ni à personne. Comme si l'auteur ne pouvait plus maîtriser son débit. Et pourtant il dit avoir "écrit ce livre très calmement, une ou deux pages tous les soirs." On imagine mal ce que ça aurait pu être s'il avait été en colère...
L'écriture est magnifique et, malgré le flot, très maîtrisée. Boualem Sansal est maître dans l'art du point virgule qui lui permet de faire des phrases d'une longueur incroyable. Les paragraphes deviennent des pages entières, d'un seul trait et c'est fascinant, tant l'impression qui s'en dégage en est forte.
Après ce sublime marathon littéraire, on se retrouve comme un sportif vaincu par l'effort et rassasié par la performance. On en redemande, tant on est emporté par la volonté de sortir de ces ornières qui enlisent l'Algérie et son peuple, alors que ce pays mérite de vivre.

samedi 26 avril 2008

Hommage à Najia Abeer du 22 avril 2008 à l'Espace Noûn (Alger)

Une rencontre des amis des amis de Dzlit a eu lieu à l'espace Noûn, le 22 avril à Alger. A cette occasion, un hommage a été rendu à Najia Abeer, acompagné de la lecture de quelques poèmes inédits qui seront édités prochainement par les éditions APIC.

Présentation de l'œuvre romanesque de Najia Abeer en hommage
à l'écrivaine (Fatiha Nesrine)
Rencontre des amis de
Dzlit à ALGER, le 22 avril 2008.

A droite, Fatiha Nesrine, auteure de l'hommage à Najia Abeer, en compagnie de Nacira Belloula, à gaucheNajia Abeer est venue à la littérature avec des romans à caractère autobiographique .Elle a tenté de tout dire pour comprendre et se reconstruire : des blessures affectives à la maladie, du refus des tabous à l'amour, de la quête de soi aux problèmes socio-politiques du pays. Vie personnelle et problèmes de l'heure constituent la trame de ses trois romans : Constantine et les moineaux de la murette (2003), L'albatros (2004), Bab el Kantara (2005). Elle a également écrit des nouvelles, des poèmes et des articles de presse. Son œuvre est construite autour de quelques thèmes récurrents : Constantine, la ville de son enfance, les relations familiales dans la maison paternelle ou dans son foyer, la difficulté d'être une femme et la solitude.

Son premier roman s'ouvre sur un long monologue dans lequel la narratrice explique son passage à l'acte d'écrire. Elle veut mettre fin à un état d'errance et démêler les fils d'une énigme qui a trait à son passé. La recherche de la vérité, d'une clef, d'un indice vont lui permettre de se retrouver. Et c'est tout naturellement vers Constantine qu'elle va se retourner, l'interpellant et faisant d'elle un personnage, objet d'amour et de souffrance : « Constantine, tu me fais souffrir, est-ce que tu le sais ?» Constantine va servir de moteur à la fiction et les pages blanches décrites au début du roman vont se noircir, restituant l'enfance de la narratrice Joumana pendant la guerre de libération, l'ambiance de la Souika, vieux quartier où elle est née, la vie familiale, la guerre et la relation aux pieds-noirs et enfin l'indépendance. « L'écriture de Constantine…ne pouvait être que poétique et heureuse car elle a été conçue dans la tendresse de l'enfance et l'expression d'un amour pour une ville fascinante. Celle de L'Albatros est froide, parce que pleine de douleur et vide d'amour » avoue–t-elle dans une interview (Rachid Mokhtari, Le Nouveau Souffle Du Roman Algérien, Chihab Editions, 2006).

Les photos sont de Mébarek Mouzaoui

Une vue partielle du groupe de discussion
Une vue partielle du groupe de discussion

A droite, Amina Bekkat, animatrice de la discussion

A droite, Amina Bekkat, animatrice de la discussion

A droite, Christiane Achour

A droite, Christiane Achour

A droite, Lounès Ramdani, le 'papa' de DzLit, en compagnie de Djamel Mati, à gauche A droite, Lounès Ramdani, le "papa" de DzLit, en compagnie de Djamel Mati, à gauche

A la librairie Mille-Feuilles , Mébarek Mouzaoui, un des principaux artisans de la rencontre, à gauche de Rachid Boudjedra, Sidi-Ali, le libraire, en compagnie de Lounès Ramdani, à droite

A la librairie Mille-Feuilles , Mébarek Mouzaoui, un des principaux artisans de la rencontre, à gauche de Rachid Boudjedra, Sidi-Ali, le libraire, en compagnie de Lounès Ramdani, à droite

A droite, Samia Chikh, éditrice de Najia Abeer (Ed Apic)

A droite, Samia Chikh, éditrice de Najia Abeer (Ed Apic)

Algérie News du 24 avril 2008

jeudi 24 avril 2008

Germaine Tillion : une grande dame au service de la paix (2)


GERMAINE TILLION
L’Algérie au coeur
24 Avril 2008
«Je pense, de toutes mes forces, que la justice et la vérité comptent plus que n’importe quel intérêt politique.» Germaine Tillion
L’ethnologue et résistante française, Germaine Tillion, amie de l’Algérie, est décédée, samedi dernier, à l’âge de 101 ans à Paris. Entre 1934 et 1940, Germaine Tillion travaille en Algérie, dans les Aurès, à une thèse sur la civilisation tribale. Elle se retrouve en Algérie en 1956. En effet, ayant été dans la résistance une fondatrice du réseau du Musée de l’Homme, Germaine Tillion est arrêtée le 13 août 1942, et déportée le 21 octobre 1943 à Ravensbrück. Pendant son internement au camp, elle écrira sur un cahier soigneusement caché, une opérette Le Verfügbar aux Enfers, où elle mêlera à des textes relatant avec humour les dures conditions de détention, des airs populaires tirés du répertoire lyrique ou populaire. En 1951, elle participe à la commission d’enquête sur le système concentrationnaire en Union soviétique et est une des premières à dénoncer ce qui sera appelé plus tard, le goulag.

Fin novembre 1954, Germaine Tillion retourne en Algérie après le déclenchement de l’insurrection à la demande de Louis Massignon. En novembre 1954, elle apprend le déclenchement de la Révolution. De décembre 1954 à février 1955, Germaine Tillion parcourt le massif, constate l’effondrement économique. C’est à Batna qu’elle apprend ce que furent les événements de Sétif de 1945. Les 45.000 morts qui ont enlevé à la population jusqu’à l’idée même de révolte. Pour un temps, pour dix ans. Car en 1954, la révolte a éclaté de nouveau. Dans l’Aurès, les vieux Chaouia lui racontent comment un militaire maniaque torture de simples suspects. Germaine Tillion ignore tout du problème colonial. Etant reçue par Soustelle son ancien collègue ethnologue comme elle, elle bouillonne: «Croyez-moi monsieur le gouverneur, même un Ben Boulaïd qui a été arrêté est respectable. Je connais bien sa famille. Je l’ai vu tout gosse à Batna. Mostefa est un patriote et non un criminel de droit commun.»(1)

La mécanique des exécutions

Un an plus tard, elle crée des centres sociaux en Algérie. En 1957, en pleine bataille d’Alger, elle réussit à obtenir pour quelques semaines l’arrêt des attentats contre l’arrêt des exécutions capitales de militants du FLN, après une rencontre secrète avec Yacef Saâdi, chef militaire de la Région d’Alger. En même temps, Germaine Tillion s’élève avec véhémence contre la torture avec l’historien Pierre Vidal-Naquet ou le journaliste Henri Alleg. Le 18 juin 1957, elle participe à la commission d’enquête sur la torture dans les prisons de la guerre d’Algérie. Bien plus tard, toujours aussi interpellée par ses combats pour la dignité humaine, en octobre 2000, à 93 ans, Germaine Tillion a signé l’«Appel des quinze», demandant à la France de condamner officiellement la torture qui a été pratiquée en son nom pendant la guerre d’Algérie.(2)

On a tout dit de la bravoure de Germaine Tillion, de sa façon de défendre les causes justes de liberté et de dénoncer la torture. Germaine Tillion conseillère technique au cabinet de Soustelle, verra en Parlanges, le général commandant les Aurès et chargé de la pacification et des SAS chères à Soustelle, - tout comme les Chaouia -l’homme de la répression. Ecoutons comment elle raconte son entrevue avec lui: «Lorsque je lui ai raconté comment les officiers "maniaques" torturaient des "réputés suspects", j’ai compris la méthode qu’il pratiquait au regard profondément ironique qu’il m’a "accordé". Je me souviens encore de ses mains de garçonnet, sans cesse en mouvement, lorsqu’il parlait avec une évidente satisfaction de toutes les façons possibles d’égorger un homme.» Y.Courrières: p. 83

Elle eut par la suite à revenir en Algérie pour enquêter avec une Commission internationale contre le régime concentrationnaire sur les prisons en Algérie. Bien plus tard, écrit Yves Courrières, elle eut confirmation de ce qu’elle redoutait: «La pellicule agissante et pensante était bien mince chez les Français d’Algérie, j’étais atterrée. Toute l’élite algérienne était en prison. Tous ceux qui chez les Européens et chez les Musulmans pouvaient constituer le premier noyau d’une communauté franco-algérienne étaient incarcérés, torturés. La période coloniale se terminait et on massacrait l’élite algérienne. On l’acculait à nous détester.» Y.Courrières p.464.

On a beaucoup parlé de ses contacts avec Yacef Saâdi, des promesses non tenues et qui ont amené à la guillotine des dizaines d’Algériens conformément aux deux décrets 56-268 et 56-269 signés le 17 mai 1956 par un certain François Mitterrand, qui n’a jamais voulu commuer les peines de mort. Ce même François Mitterrand devenu président qui s’est refait, torturé par le remords durant son premier septennat, abolissait la peine de mort en 1982. C’est dire si les droits des Hommes ne sont pas les mêmes sous toutes les latitudes et les époques...

Étant reçu par le général de Gaulle, qui n’était pas encore revenu au pouvoir, elle lui raconte la mécanique épouvantable des exécutions capitales suivies d’attentats: «Toute la prison qui est mixte, entend les préparatifs. On sait ce qui va se passer. On hurle à la mort. Et la Casbah toute proche reprend le chant de mort. Elle hurle, pleure et prie. C’est une immense communion dans le supplice.» Germaine Tillion raconte ensuite la torture. Elle tenait les récits de la bouche de ses amis qu’elle avait pu visiter en prison grâce à son titre officiel. Y.Courrières p.468.

Elle ne s’arrête pas là dans la défense de son pays, puisque, dès le déclenchement de la guerre d’indépendance, Tillion dénonça la torture. Germaine Tillion crée les centres sociaux pour les ruraux musulmans déplacés dont elle dénonce la «clochardisation». Ces mêmes centres qui, le 15 mars 1962, virent six enseignants - trois Algériens et trois Français (dont Max Marchand et Mouloud Feraoun) - dirigeants des Centres sociaux éducatifs être exécutés par un commando de l’OAS. Germaine Tillion analyse les dysfonctionnements de la société coloniale, les Ennemis complémentaires, enquête sur la torture et les lieux de détention des moudjahidine...Elle était l’une des Françaises les plus décorées. Germaine Tillion fait sortir les femmes des Aurès de l’anonymat en publiant des photos mémorables qui datent de 1934, dans un ouvrage intitulé L’Algérie aurasienne.

Germaine Tillion ne s’arrêtera jamais. Signataire d’un appel à la condamnation de la torture durant la guerre d’Algérie (Appel signé par douze personnalités, L’Humanité, 31 octobre 2000.), cette femme, née en 1907, peut témoigner des nombreuses épreuves traversées dans ce siècle, épreuves vécues ou témoignages recueillis. Ethnologue formée par deux maîtres, Marcel Mauss et Louis Massignon, elle part en Algérie en 1937. Elle y accumule des quantités de notes et d’analyses sur l’ethnie berbère des Chaouïa L’idée de résistance s’impose alors, se structure. «Quand j’ai entendu la déclaration d’armistice de Pétain j’ai vomi.» 1940, sa vie bascule. Elle s’engage dans la Résistance. Dix de ses camarades sont fusillés, elle eut «pendant plusieurs mois, parfois plusieurs fois par semaine, l’occasion de dire adieu aux camarades qu’on emmenait au poteau d’exécution». L’Algérie, à nouveau, en 1954, pour une mission d’observation, puis pour la mise en place de centres sociaux, par lesquels elle espère enrayer la «clochardisation» de cette société qu’elle redécouvre. Et cette vision ethnologique si personnelle, «de la plus équitable douceur, la mesure et la raison», comme l’écrit Jean Lacouture, montre qu’aujourd’hui encore d’autres combats restent à mener: les sans-papiers, les minorités ethniques, l’esclavage moderne, etc. Pour le troisième millénaire, il faut «inventer autre chose».(3)


La dame aux mille vies

Sylvain Rakotoarison la décrit de la façon suivante: «Parmi les qualificatifs qui reviennent souvent au sujet de Germaine Tillion, il y a la passion de comprendre, la tendresse sans borne, l’humour, la malice et la dérision. Elle porta la lutte sur tous les fronts de la dignité humaine, notamment dans les prisons françaises où elle a encouragé l’enseignement et en Algérie, où elle s’est opposée à la torture, à la condition déplorable des femmes et à la ‘‘clochardisation’’ du peuple algérien avec la construction de centres sociaux. Elle l’expliqua ce terme dans son livre La Traversée du mal : "La clochardisation, c’est le passage sans armure de la condition paysanne (c’est-à-dire naturelle) à la condition citadine (c’est-à-dire moderne). J’appelle ‘‘armure’’ une instruction primaire ouvrant sur un métier. En 1955, en Algérie, j’ai rêvé de donner une armure à tous les enfants, filles et garçons.". C’était un peu cela la ‘‘méthode Germaine Tillion’’: une recherche pertinente de diagnostic des maux qui rongent la société, et surtout, la mise en pratique de solution concrète. Germaine Tillion est l’honneur de la République et l’honneur du XXe siècle.»(4)

Difficile de retracer les «mille vies» de Germaine Tillion. Ajoutons sans être exhaustif, son combat permanent pour les droits de l’Homme, question essentielle à ses yeux, donc la défense des minorités, de toutes les minorités. N’oublions pas sa contribution majeure à la cause des femmes et son livre magistral Le Harem et les cousins. Ajoutons encore sa participation, dès 1969, à la défense mondiale de la santé publique contre la pollution des eaux, et l’atmosphère aux côtés de René Cassin, prix Nobel de la Paix. Tout cela en poursuivant son enseignement à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Ehess, et ses recherches, comme directrice au Cnrs. Ceux qui connaissent Germaine Tillion s’accordent sur deux traits essentiels de cette humaniste inflexible: sa passion de comprendre et «sa tendresse sans borne qu’elle a toujours porté à ses semblables». Comment se définit-elle? Comme «une patriote de la justice, de la vérité, de la vie.» En 2004, pour le soixantième anniversaire du programme du Conseil national de la résistance, avec d’autres résistants dont Lucie Aubrac, elle signa «l’Appel des résistants aux nouvelles générations».(5)

Son combat contre la torture n’allait pas s’arrêter après la fin de la guerre d’Algérie. Elle a continué, tout au long de sa vie, à demander, aux gouvernements français de gauche comme de droite, de reconnaître la torture, qu’au nom de la République, les tortionnaires ont infligée aux Algériens. «Des deux côtés de la Méditerranée, la mémoire française et la mémoire algérienne resteront hantées par les horreurs qui ont marqué la guerre d’Algérie tant que la vérité n’aura pas été dite et reconnue...La torture, mal absolu, pratiquée de façon systématique par une armée de la République et couverte en haut lieu à Paris, a été le fruit empoisonné de la colonisation et de la guerre, l’expression de la volonté du dominateur de réduire par tous les moyens la résistance du dominé...» C’est là un extrait de «l’appel à la condamnation de la torture durant la guerre d’Algérie» lancé au moment où Massu et Aussaresses reconnaissaient, persistaient et signaient leurs crimes. Cet appel au président Chirac et à son premier ministre Jospin était lancé et signé par: Germaine Tillion, aux côtés de Henri Alleg, ancien directeur d’Alger Républicain et auteur de «La Question», Pierre Vidal- Naquet, historien et auteur de «La torture dans la république»; elle s’associera aussi à d’autres intellectuels et lance un autre appel contre la torture en Irak.

«Germaine Tillion, c’est un regard. Celui de l’ethnographe qu’elle fut, mais pas seulement. Toute sa vie, elle a regardé les hommes vivre, ´´amicalement et gentiment´´, dit-elle: les paysans pauvres des Aurès, dans les années 1930, où la mène son premier travail de terrain; les mêmes, en 1954, clochardisés, laissés-pour-compte de l’économie européenne; les femmes, d’abord celles qu’elle forme dans les centres sociaux d’Alger, et plus tard, celles qu’elle rencontre en Mauritanie, au Niger, en Haute-Volta, en Libye, au Moyen-Orient, en Inde, lors de ses missions scientifiques; les sans-papiers à Paris en 1996, les Maghrébins de France, les jeunes de banlieue, les harkis, les pieds-noirs...Est-ce son expérience du Mal, ou la fréquentation de ses maîtres en ethnologie - Marcel Mauss, Louis Massignon? Elle semble porter en elle toute l’histoire du monde, tissant ensemble avec une évidence confondante les temps immémoriaux et l’urgence du présent.»(6).

En définitive, Germaine Tillion fait partie de cette armée de l’ombre, celle des Justes qui ont fait, en leur âme et conscience, leur devoir. Elle ira rejoindre André Madouze, Pierre Vidal-Naquet, voire Aimé Césaire qui, à leur façon, ont porté haut et fort les valeurs de dignité humaine et qui, au quotidien, ont prouvé par leur engagement, certaines fois au péril de leur vie, que la justice était un combat sans compromis ni compromission. Assurément, cette Algérie qui peine à écrire son histoire devrait montrer que celles et ceux qui se sont battus pour elle, appartiennent à la famille des Justes et méritent toute notre reconnaissance.

(*) Ecole nationale polytechnique
(*) Ecole d´ingénieurs Toulouse

1.Yves Courrières: La guerre d’Algérie: le Temps des léopards. P.37. Editions Arthème Fayard 1969, 2001 Ed.Casbah 2005. Alger.
2.Jean Lacouture: Le Témoignage est un combat. Le Seuil 2000,
3.Violaine Ripoll. Les combats de Germaine Tillion Le Monde diplomatique janvier 2001
4.Sylvain Rakotoarison: Germaine Tillion: AgoraVox 21 avril 2008
5.Patrice Le Borgnic, Bon anniversaire madame U2R, Auray le 30 mai 2007.
6.Catherine Portevie. Germaine Tillion:Télérama 2 Juin 2007
Pr Chems Eddine CHITOUR (*)

lundi 21 avril 2008

Germaine Tillion : une grande dame au service de la paix





DÉCÈS DE GERMAINE TILLION

Le respect de l’autre

21 Avril 2008

Un siècle de vie, c’est une baraka, diraient les femmes et les hommes de l’Algérie profonde, qu’elle a connus, étudiés et aimés. La plus grande ethnologue du XXe siècle, qui a fêté ses cent ans le 30 mai dernier, est morte ce 19 avril.

L’engagement de Germaine Tillion a contribué à la décolonisation des esprits. Cela peut se résumer en sa croyance inébranlable en l’autre. Nous, les Algériens, ne dirons jamais assez notre reconnaissance à notre grande et fidèle amie Germaine Tillion.
En 2003, nous lui avons rendu hommage, au nom de l’Algérie, à l’Institut du monde arabe, qui fut si émouvant en sa présence. Bien avant les propagandes qui servent de diversion aujourd’hui, elle a été, toujours défenseur des droits de l’homme et des peuples, de la condition de la femme, résistante, pacifiste, dénonçant la torture et la violence d’où qu’elles viennent.Légende du respect de l’autre, nous témoignons qu’elle le mérite. Elle est, pour nous, une des figures savantes et humaines les plus marquantes de notre temps, qui a oeuvré, au prix de sa vie, pour le vivre-ensemble: «Si l’ethnologie, nous dit-elle, qui est affaire de patience, d’écoute, de courtoisie et de temps, peut encore servir à quelque chose, c’est à apprendre à vivre ensemble.» Elle martèle que sans l’égalité, il ne peut y avoir de fraternité ni de liberté.
Elle a partagé, par deux fois, durant les heures sombres de la nuit coloniale, la vie du peuple algérien, sans jamais prétendre penser et décider à sa place. Elle a fait son premier travail d’ethnographe de manière exemplaire, dans les années trente. Sa méthode, elle nous la décrit, en témoignage: «Tenir le moins de place possible, ne pas déranger mes voisins» (Il était une fois l’ethnographie). Elle a observé l’autre, l’ailleurs, le différent, ses pratiques, ses croyances et coutumes, ses richesses et ses pauvretés, sans juger ni prétendre tout décoder, en recueillant les témoignages, en analysant le concret de la vie. Elle voulait honorer la vie en refusant l’ignorance, puis, à l’heure du conflit, en réfutant la violence. Elle s’est révoltée contre la violence qui avilit; elle écrira: «L’asservissement ne dégrade pas seulement l’être qui en est victime, mais celui qui en bénéficie» (Le Harem et les cousins).
Elle gagna notre confiance, autant celle des humbles gens que celle des responsables. Tout comme elle fut conquise par l’humanité des Algériens, leur sens de la solidarité et leur détermination à vivre dignement. Ce souffle l’inspira dans sa résistance à l’innommable durant la Seconde Guerre mondiale, faisant de sa détermination et de sa colère les ressources de la survie de ses compagnons. Germaine Tillion renoue avec l’Algérie à la fin de l’année1954.
La guerre de Libération, dont l’occupant tait le nom, qui marque la capacité des peuples opprimés à faire l’histoire, a commencé le 1er Novembre.L’ethnologue prend la mesure de l’évolution de la société considérablement transformée en vingt ans. La rapacité du système colonial a empêché toute solution pacifique. Le peuple algérien était contraint de renouer avec l’ancestrale résistance de l’émir Abd El-Kader, et cette fois de manière décisive.
Germaine Tillion était choquée par la pauvreté de l’immense majorité du peuple algérien, tout comme d’une partie des non-musulmans, car l’hétérogénéité était une réalité. Pour lutter contre l’appauvrissement de la population, elle crée des «Centres sociaux», notamment pour instruire les femmes, qu’elle n’a cessé de défendre. Cet engagement puissant et profondément humain, elle va aussi le manifester dans son combat pour tenter d’humaniser les rapports entre les belligérants et essayer de préparer un autre avenir. Elle interviendra tant de fois pour empêcher des exécutions de condamnés à mort, pour contribuer à la libération de prisonniers, aux négociations, aux trêves et autres contacts, au nom de sa foi en l’autre. Elle le fera, parfois, en coordination avec d’autres figures engagées pour la justice et la paix, comme nos autres grands amis les chrétiens André Mandouze, le cardinal Étienne Léon Duval ou le Pr Louis Massignon, et des figures majeures de la Résistance nationale. Les Ennemis complémentaires, ce beau titre d’un de ses ouvrages illustre bien son souci, son angoisse et son idéal : allier le principe de la fidélité à ses racines à celui de l’attachement vital à la justice. Jacques Berque me disait aussi qu’elle militait pour la paix et la cause des femmes méditerranéennes au nom de son savoir sur l’égalité des peuples et des êtres, sujet qui reste toujours d’actualité.
Germaine Tillion révèle que l’analyse sociologique, ethnographique, peut aussi servir à penser l’avenir, puisque, notant que «la relation de l’homme avec son espace est en train de basculer», elle appelle à «inventer autre chose», un nouveau modèle social, une autre façon de vivre ensemble, une nouvelle civilisation universelle. Un impératif auquel nul ne peut répondre seul. C’est la leçon que nous lèguent la vie et l’oeuvre de Germaine Tillion, notre inoubliable amie. Que ce nouveau millénaire, marqué pour le moment par une injuste mondialisation, le recul du droit et des traditions fermées, retienne la leçon de ses combats, de sa vision, de sa patience.
À l’heure de la rupture des liens sociaux, du relâchement des liens de parenté et des rapports déséquilibrés ou archaïques entre les groupes et les peuples, bouleversements marqués par le retour insidieux ou brutal de la haine raciale et religieuse, relire Germaine Tillion sera toujours vivifiant. À partir d’un savoir qui n’annexe pas l’autre, ne le réduit ni ne l’enferme, mais croit en lui, sans en être l’otage, il est possible de renouer.
À l’heure où la rive Sud a besoin de se réformer en profondeur et de démontrer sa capacité à l’autocritique, et en ces temps de nécessaire mémoire vivante pour mettre fin aux amnésies de certains sur la rive Nord, relire Germain Tillion sera bien utile pour tous. Rouvrir sans cesse des espaces de rencontre entre les deux rives de la Méditerranée, sans jamais désespérer, est un combat de toujours, comme elle l’a si courageusement expérimenté.
(*) Philosophe algérien
Mustapha CHERIF

jeudi 17 avril 2008

Autour du livre de Boualem Sansal "Le village de l'Allemand" (2)

Voici un article du qotidien algérien "La Tribune", en date du 17 avril 2008.
J'attends avec impatience la livraison de cet ouvrage, afin que je puisse me faire une idée personnelle...

Autour du livre de Boualem Sansal
Les faussaires et le débat
Jeudi 17 Avril 2008
Par Mohamed Bouhamidi

En introduisant son dossier, paru dans la dernière livraison du quotidien Algérie News, sur le Village de l’Allemand, le dernier livre de Boualem Sansal, Arezki Louni, signant l’édito du dossier «Sansal» et indiquant ainsi clairement que le journal prenait position, annonce l’existence d’une polémique qu’il qualifie aussitôt de cabale dont il monte immédiatement le procès en procureur informé et soucieux des pièces à conviction.
Fort bien, examinons le corps du délit. Avant ce dossier, nous ne pouvions noter dans la presse nationale que quatre réactions critiques, quatre seulement et certainement pas coordonnées. R. Lourdjane signe la première dans le quotidien El Watan en réaction aux interviews de Boualem Sansal affirmant la véracité et la réalité d’un village de l’Allemand et de l’absence totale de la question de la Shoah dans la télévision algérienne. R. Lourdjane indique que Sansal ment sur les deux points. Le seul village de l’Allemand que connaît R. Lourdjane est en fait un «village des Allemands» créé avec la guerre, dans la région de Tiaret pour accueillir les Alsaciens-Lorrains après la guerre franco-allemande de 1871. Ensuite la télévision algérienne a bien diffusé une série sur la Shoah réalisée par notre poète N. Abba. Il ne dit pas plus que, dans son interview, Sansal a menti sur deux affirmations précises et vérifiables. J’ai signé la deuxième réaction, car Sansal situant le Village de l’Allemand dans la région de Sétif, j’ai indiqué que ce village, plutôt un lieu-dit, existait réellement mais qu’il a été construit, avec et autour d’un moulin, par Henry Dunant, le futur créateur de la Croix-Rouge pour accueillir des colons suisses du canton de Vaux dans une concession accordée à une grande banque suisse. Non seulement Sansal ment sur ce point précis qu’il avance comme point de départ réel de son roman mais il commet en plus un crime contre la mémoire de… et confond allégrement Croix-Rouge et croix gammée.
La troisième réaction vient de Omar Mokhtar Chaalal, parue dans le quotidien Horizons, qui parle de ce lieu-dit en racontant sa véritable histoire et rajoute que, n’étant pas une commune, ce hameau n’a jamais eu de maire ni français, ni algérien ni allemand, outre que jamais n’y a vécu un étranger après l’indépendance.
Et Boualem Sansal est catégorique sur la véracité de ce qu’il prétend mettre à l’origine de son roman. Je le cite : «Je suis ainsi, j’ai besoin de m’appuyer sur une histoire vraie pour écrire. Dans une fiction pure, je me sentirais comme un acrobate qui travaille sans filet, j’aurais trop peur de divaguer. Dans le Village de l’Allemand, je suis parti d’une histoire vraie, celle d’un officier SS qui, après la chute du 3ème Reich, est parti se réfugier en Egypte et, plus tard, est venu finir sa vie en Algérie, après s’être battu pour son indépendance… On m’expliqua que ce village était ‘‘gouverné’’ par un Allemand, ancien officier SS, ancien moudjahid, naturalisé algérien et converti à l’islam. Dans la région, on le regardait comme un héros, un saint homme. J’ai senti chez mes interlocuteurs une réelle admiration à l’évocation de son passé nazi, ce qui n’était pas pour me surprendre : la geste hitlérienne a toujours eu ses sympathisants en Algérie…»
Et cela marche. Dans le dossier, Samira Negrouche, qui n’a pas lu le livre, déclare : «Il s’agit d’un roman inspiré d’une histoire vraie.» Répliquer que, vérification faite, il s’avère que cette histoire est construite et totalement mensongère relève de la cabale. Mais avons-nous le droit de porter un regard critique sur les déclarations de B. Sansal ? C’est bien la première question à laquelle doivent répondre Arezki Louni, Bachir Mefti, Samira Negrouche et Christiane Chaulet Achour dont on ne sait pas très bien si elle a fait une déclaration d’ordre général ou si elle faisait référence à ces trois articles sur la véracité des affirmations de Sansal. Jusque-là, rien de concret ne vient étayer l’acte d’accusation et le corps du délit est introuvable : pas d’anathèmes à l’endroit du livre, aucun appel à l’interdiction ni à l’autodafé, aucune stigmatisation. Bien au contraire puisque l’une de ces réactions souhaitait que le livre soit disponible en Algérie pour que les lecteurs s’en fassent une idée par eux-mêmes, loin de toute velléité de tutelle de l’administration.
Reste la quatrième réaction parue dans la Tribune sous la forme d’une lecture que j’ai faite du roman de Sansal. Comme je n’ai lu aucune autre note sur le livre dans la presse nationale, le dossier d’Algérie News ment aussi sur ce plan-là. La seule note consacrée à ce livre a bien été faite après lecture. A moins de considérer cette lecture comme nulle pour insuffisance de formation critique, l’équipe qui a présenté le dossier ment aussi sur ce point- là.
Mais puisque la cabale n’existait pas, le dossier l’invente en ouvrant, pour le besoin, des fenêtres à des regards critiques. Le corps du délit n’existant pas, le procureur le crée de toutes pièces à l’instant du procès mais en usant de deux subterfuges et d’une vilenie. Le premier subterfuge est d’accorder la parole à des personnalités comme Rachid Boudjedra, Amine Zaoui, Ahmed Selmane en les stigmatisant dans l’éditorial par leur marquage en tant qu’acteurs de la cabale qui n’a pas eu lieu, répétons-le. Le deuxième subterfuge consiste à rajouter du sens à leurs textes en les insérant dans un montage. Pris chacun à part, ces textes disent un point de vue ; mis dans un ensemble, on leur fait dire un autre point de vue.
Louni écrit : «Au moment où les uns saluent le courage de l’écrivain, celui d’exprimer une vision qui reste du domaine de la fiction et de la création littéraire, d’autres versent dans l’injure et la diffamation. Certains n’ont d’ailleurs même pas pris la peine de lire l’ouvrage controversé pour l’apprécier à sa juste valeur. Ils ont, au contraire, agi par esprit revanchard. Les termes utilisés pour qualifier l’œuvre de Sansal cachent mal la haine viscérale de leurs auteurs contre tout ce qui incarne une vision diamétralement opposée à la leur. Ils n’hésitent pas à adopter les raccourcis pour accabler ceux qui sont parvenus à se faire une place sur la scène littéraire mondiale. La réaction de l’un d’eux, qui n’en est pas à son premier impair, même à l’encontre de défunts, est révélatrice de cette réalité.» Il parle évidemment de Tahar Ouettar auquel personne n’a pardonné ni n’est prêt à pardonner l’ignominie de ses déclarations sur Tahar Djaout. Mais alors pourquoi le convoquer dans ce procès ? Mais il fallait bien ce repoussoir pour marquer les regards critiques de ce voisinage imposé par le procureur et tout aussi inventé que le reste. La vilenie rajoute au dossier son air de procès fabriqué pour atteindre un ailleurs qui n’est pas dit explicitement.

Le relativisme idéologique
Tenons-nous en aux principaux indices de cet ailleurs. Le premier d’entre eux est que cette affirmation proclamée de donner la parole à tous pour qu’ait lieu le débat sans la stigmatisation est inconsistante. Tous ceux qui n’ont pas lu ce livre ou même qui l’ont lu sont tenus de respecter la liberté de création. C’est bien la première fois que d’un point de vue philosophique la liberté de création s’accompagne de la mort de la liberté de critique. Parce que c’est une œuvre de pure fiction, alors taisez-vous ! Toute atteinte à l’œuvre devient une atteinte à la liberté. Il ne nous reste plus qu’à nous mettre au garde-à-vous idéologique. Mais cela n’est pas suffisant dans la panoplie des arguments, Maougal en rajoute un autre de toute beauté : cette œuvre n’est pas à mettre entre toutes les mains. C’est tout à fait novateur ! C’est bien la première fois, aussi, qu’on proclame que les œuvres littéraires doivent être protégées du public et que le peuple des lecteurs n’est pas globalement mature pour aborder ce livre hors du commun ! Il ne nous manquait plus que les imams de la lecture, des directeurs de conscience, des exégètes qualifiés pour nous, peuple immature et enfoncé dans des lectures «idéologiques». Maougal nous invite, en sorte, à une lecture «censitaire», celle des mandarins, un remake du premier collège des lecteurs. Christiane Chaulet Achour ne dit pas autre chose, peut-être à son corps défendant, dans le sens que donne le montage de ce dossier à son intervention. Nos lectures sont «idéologiques». Ne connaissant pas encore les validations épistémologiques d’une lecture scientifique des œuvres d’art et de la littérature, il me semble difficile de faire autre chose que des lectures marquées par l’idéologie et, à un degré supérieur, des lectures armées par des grilles empruntées aux sciences sociales.
Aussi, je préfère m’en tenir à ces lectures idéologiques étayées par ce que je sais des sciences humaines. Mais lecture idéologique quand même, affirmée et assumée. Et c’est bien le deuxième indice de cet ailleurs vers lequel on nous entraîne : par un tour de passe, la «lecture idéologique» ou «non objective», comme le regrette un autre intervenant, soustrait le roman à l’idéologie.
Comment en arrive-t-on à nous culpabiliser d’avoir une lecture idéologique d’une œuvre par essence idéologique ? Par ce tour de passe-passe qui fait passer le roman de l’ordre de la représentation à l’ordre du droit. Le roman ne se construit plus sur une vision du monde, sur son interprétation, sur sa représentation, sur l’instance émotionnelle mais sur une catégorie juridique : la liberté et le droit à l’expression. Il n’appartient plus au monde de la vérité mais au monde du formel juridique. Il n’appartient plus au monde et, par conséquent, ne participe plus aux luttes de ce monde. C’est bien ce que l’on veut nous faire croire.
Exit Marx ou Gramsci pour la lecture autour des enjeux sociaux ; exit Freud pour la lecture autour des enjeux psychiques. Nous sommes en pleine mythologie. Ce texte devient un texte parmi d’autres, sans sens ni direction particulière, sans prise de parti dans les luttes des hommes et n’a rien à voir avec la multiplication des visées néo-coloniales qui veulent nous faire passer le 1er Novembre pour une erreur historique, une atteinte au rêve d’une Algérie multiraciale et multiculturelle qui nous aurait sauvés des griffes de l’islamisme et de son terrorisme. Le dossier nous invite au relativisme. Il n’existe plus d’enjeux. Nous allons remiser au placard nos vieilleries idéologiques qui nous ont fait croire au passage, à l’intérieur de la littérature, des conflits, des visions, des espérances des hommes. Nous classerons désormais M. Darwish, G. Amado, G.G. Marquez, L. Aragon dans une malle au fin fond du grenier et nous nous convertirons au relativisme.
Mais ce n’est pas que ce seul enjeu. Le dossier nous glisse en contrebande, comme avérées, deux thèses : l’islamisme est un fascisme et il trouvait sa source dans l’idéologie de la guerre de libération. Il nous faudrait un peu plus que les affirmations de Sansal et de Louni pour classer l’islamisme dans la case «fasciste», le vert étant le fils du gris et pour ce premier argument que nous ne voyons pas où se trouve ce grand capital dans notre pays qui aurait poussé à la création de ce fascisme dans une réaction de peur face aux risques de prise de pouvoir par la classe ouvrière. Il nous en faudrait un peu plus pour oublier le rôle de l’impérialisme anglais et américain dans sa création, sa manipulation et son utilisation. Même si l’élucidation scientifique de l’islamisme n’est pas achevée. Etrange dossier qui invente une polémique et une cabale et qui, pour se légitimer, les convoque le jour même du procès. Etrange dossier qui reprend les procédés de l’auteur qu’il tient à défendre. Etrange dossier qui nous invite à nous taire et à faire place à la divine parole d’un créateur. L’enjeu doit être bien important pour qu’on nous somme de nous taire sous mille et une argumentations et surtout qu’on esquive les seules questions qui aient été posées avant ce dossier : avons-nous le droit, oui ou non, de critiquer n’importe quelle œuvre littéraire ou artistique et ces œuvres appartiennent-elles à l’instance de représentation du monde réel et sont-elles donc une partie des enjeux de ce monde ?
Ce dossier avait, cependant, un objectif plus immédiat : disqualifier toute la défense du mythe fondateur de notre Etat-nation, la guerre de libération et le 1er Novembre. Leur ôter tout ce caractère sacré qui fait qu’au-delà de nos divergences, de nos luttes internes, des affrontements, en tant qu’Algériens, nous défendons notre lignée symbolique, notre appartenance commune à l’Algérie dont nous plaçons la naissance dans le 1er Novembre. Il faudra aussi compter sur le poids de nos mythes agissants avant d’espérer mener un débat à sens unique avec ou sans le soutien discret des appareils idéologiques de l’Etat français et de ses démembrements locaux.

M. B.

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vendredi 11 avril 2008

Rencontre avec les amis de Dzlit à l'Espace Noûn (Alger)

Mardi 22 avril 2008 à 15 h 00 :
Rencontre avec les amis de
Dzlit (le site de la littérature algérienne)
Avec un hommage à Najia Abeer

À l'Espace Noûn
9, rue du Colonel Chabani (ex Rabah Noël) Alger

animée par Amina Bekkat.


Programme


15 h 00 :
- Mot de bienvenue par les libraires : Nacéra Saidi (et ou Arezki Tahar)
- Mot de l'invité d'honneur : Lounes Ramdani
- Mot de l'animatrice : Amina Bekkat

Première Partie
Hommage à Najia Abeer

15 h 05 :
- L'Oeuvre romanesque de Najia Abeer.
Par Fatiha Nesrine.

15 h 15 :
- Lecture de poèmes inédits de Najia Abeer.
Par Samia Chikh.

15 h 30 :
- Lectures d'extraits de textes (Max et Jean-Michel) contenus dans la page web du site
Dzlit dédiée à Najia Abeer.

Deuxième Partie
Dzlit: Site web de la Littérature Algérienne

15 h 35 :
- Présentation de
Dzlit
Par Lounes Ramdani

15 h 45 :
- "Littérature algérienne"
Une discussion entre Christiane Chaulet Achour, Bouba Tabti, Afifa Bererhi et Tayeb Achour.

16 h 10 :
- Débat avec les présents.

17 h 00 :
- Mot de la fin

dimanche 23 mars 2008

Assia Djebar : Femmes d'Alger dans leur appartement - Albin Michel - 2002

Assia Djebar : Femmes d'Alger dans leur appartement Pour parler des femmes algériennes, Assia Djebar a choisi le tableau que Delacroix a peint en 1832 après être entré dans un harem de la Casbah d'Alger. 15 ans plus tard, il retravaille sa toile et la présente au salon de 1849.

L'enfermement de la femme est un thème central de cette œuvre et il n'est pas étonnant que l'auteure ait saisi cette occasion artistique pour en faire le fil conducteur des 8 nouvelles de l'ouvrage.

La première nouvelle est un ajout récent. C'est la plus longue avec "Femmes d'Alger dans leur appartement" et elle s'intitule "La nuit du récit de Fatima". En 1918, Arbia est demandée en mariage par Toumi, un de ces nombreux algériens venus au secours de la France, lors de la grande guerre, aux deux frères de celle-ci. Devant le refus de ces derniers, il l'enlève avec la bénédiction de Magdouda, la mère de la jeune fille de 14 ans. La seule fille qu'ils eurent fut Fatima. Elle va très vite avoir un demi frère puisque ses parents acceptent d'élever leur neveu Ali, fils de Hassan devenu veuf. Fatima ira fièrement à l'école française d'Aumale et un an après son départ du système scolaire sera donné au même âge que sa mère à Kacem, un homme de 35 ans, sous-officier comme son père. Elle aura un garçon, Mohammed, qu'elle va confier à Arbia qui ne se console pas du départ d'Ali pour s'engager dans la marine. Elle aura un second fils Nadir qui prendra Anissa pour femme. Il y aura aussi une naissance et là je vous laisse le plaisir de la découverte de la suite de cette très belle nouvelle.

Suivent les sept autres nouvelles :
- Femmes d'Alger dans leur appartement,
- La femme qui pleure,
- Il n'y a pas d'exil,
- Jour de Ramadham,
- Nostalgie de la horde,
- Regard interdit, son coupé.

Toutes sont attachantes, émouvantes et ne cessent de narrer le quotidien des femmes, leurs difficultés à exister, leur enfermement, dans tous les sens du terme. Au passage, Assia djebar, par petites touches nous aide à comprendre l'Histoire de ce pays.

Ce recueil est si riche qu'il n'est pas possible d'en faire un résumé exhaustif. D'ailleurs, après avoir tenté de vous le faire aimer, je vais le relire dès que je serai parvenu au bout du "Serment des barbares" de Boualem Sansal dont je vous entretiendrai bientôt. Alors, Convaincus ?

Yahia

Boualem Sansal : Harraga (Roman) - Éditions Gallimard, 2005

Deux femmes algériennes face aux traditions

Ce roman m'a dérouté, un bout de temps. Le temps de m'aclimater au style de Sansal. Le temps de bien comprendre ce que sont ces fameux "brûleurs de route" - traduction littérale du titre du roman - et l'extrapolation qui en est faite par l'auteur.

Cet ouvrage est bien plus qu'un roman. C'est au-delà de cette Algérie des années islamistes. Il s'agit bien du destin de deux femmes différentes et par l'âge et par le caractère. Mais il s'agit aussi de deux femmes seules dans une société marquée par la prééminence de l'homme.

Chérifa, jeune Oranaise de 16 ans, est libre et vit dans son époque. Elle est paumée parce qu'abandonnée. Les circonstances de la vie l'amène à Alger pour chercher refuge chez Lamia, pédiatre et vieille fille, sur les conseils de Sofiane, son frère. Ce dernier a de son côté disparu pour rejoindre la France, comme tant de jeunes harraga.
Dès lors une histoire passionnante va se nouer entre ces deux femmes, magnifiques chacune à leur façon. Lamia folle d'inquiétude pour ce frère qui a déserté et Chérifa, enceinte, qui croque la vie à pleines dents et vient bouleverser l'univers quelque peu fataliste de la pédiatre.
La relation qui s'installe entre les deuix femmes est pour le moins assez épique : à la fois tendre et violente, compliquée, dérangeante pour Lamia jusqu'à présent résignée à sa solitude hantée par le passé, tout juste troublée par l'inquiétude par rapport à Sofiane et la mélancolie de sa soeur Louiza perdue au profit d'un mari fanatique et de la disparation de son frère Yacine dans un accident de voiture. Cette joyeuse pagaille semée par Chérifa va réveiller la vie de la pédiatre et sa douce folie.
Boualem Sansal reste fidèle à une écriture magnifique, riche et efficace. Dans ce livre, il raconte une histoire vraie et en profite comme toujours pour éclairer le lecteur sur la réalité de l'Algérie : islamisme, condition féminine, traditions, corruption à grande échelle, incapacité des algériens à vaincre l'ignorance et le "mektoub". Autant de raisons pour Lamia d'entrer dans des colères folles qui donnent lieu à des morceaux de littérature pittoresques où le langage fleuri rejoint le besoin de se révolter contre un système qui confine l'individu à la résignation, à la recherche des solutions immédiates du quotidien.
On comprend alors que la narratrice, Lamia, malgré une maison enracinée dans l'Histoire de ce pays, malgré qu'elle soit entourée, dans le quartier de Rampe Valée par des demeures hantées par des personnages hors d'âge, finisse par vouloir de toute son âme sauver Chérifa de ses errements, de ses excés qu'elle sait être dangereux dans cette ville d'Alger. Cette fille irritante, attachante s'impose comme étant incontournable dans la vie de Lamia et elle reste pertubatrice, fuyante, insaisissable...
La fin de ce roman est essentielle, sublime et lourde de symboles. Nous comprendrons qu'à Jamais ces deux femmes restent liées indissolublement.
Sansal, nous livre un magnifique roman où la vie est omniprésen te et où finalement et paradoxalement elle triomphe.
Yahia

mercredi 19 mars 2008

Salon du livre de Paris : la polémique

© Audrey WNENT Où la communication sert la manipulation et met de côté les convictions...

J'ai mis du temps, avant de publier ce message. Non pas parce que je ne savais pas où était ma conviction, mais parce que les dés sont pipés et que le terrain est miné. Sur des sujets comme celui-là, on ne peut plus, aujourd'hui se contenter de son intime conviction; il faut se garder des interprétations, des procès d'intention, des faux-semblants, des prétextes, des lobbies, de l'air du temps, bref pour une grande part de la désormais sacro-sainte communication !

C'est aussi pourquoi, je commencerai par des préalables, afin d'espérer être compris. Je le constate, il est bien fini le temps où la sincérité du propos suffisait. Il y a quelques années, je n'hésitais pas, sur un tel sujet, à livrer un avis tranché. Aujourd'hui, ça n'est plus possible et je le regrette.

Je prends tout de même la précaution de dire avec force combien je suis étranger aux propos intellectualistes, somme toute faciles et surtout soucieux de donner une certaine image de celui qui les exprime, lorsque ça n'est pas pour brouiller les pistes. Pour autant, je ne conteste pas, loin de là, aux intellectuels le droit, voire le devoir, d'alerter l'opinion.

Il m'apparaît comme très important de distinguer la réaction d'un occidentaml de celle d'un ressortissant arabe. Lorsque l'on vit le conflit, quelle que soit la façon dont on se place, on n'est pas du tout dans les mêmes conditions de réflexion que lorsqu'on y est extérieur. Ma qualité d'"Algérien-Français" me permet de le dire et c'est comme cela que je réagis moi-même, au premier abord. Combien les débats de salon sont relativisés par une telle remarque !

Je dois également à l'honnêteté d'exprimer ma très grande gêne par rapport à la position exprimée par les pays arabes, en général. Sentiment de malaise parce que le boycott prôné est en totale contradiction avec la façon dont ils règlent leurs problèmes intérieurs, notamment au niveau des libertés, et de la faiblesse de leur soutient à la Palestine.

Enfin, puisque ce sujet est très sensible, au regard du contexte historique et international et de l'exploitation qui en est faite, j'affirme que je ne mélange pas peuple israélien que je respecte et pouvoir israélien et je me garde bien de faire l'amalgame avec le sionisme ou le problème juif qui sont d'autres domaines de débat. De la même façon, je ne confonds pas islam et islamisme, peuple des pays arabes et gouvernement.

J'ai beaucoup lu sur le fait de savoir s'il fallait ou non boycotter le salon du livre de Paris. Plus pour mieux y réfléchir et ne pas risquer de me fourvoyer que pour déterminer ma conviction sur le sujet qui est que OUI le boycott organisé et accompagné par des actions fortes, concertées est la plus honnête des positions, si l'on veut bien considérer la question uniquement sous l'angle de la conviction profonde, indépendamment du reste, de tout ce qui touche aux calculs et aux apparences. En d'autres temps cette démarche de conviction m'aurait été plus spontanée et non susceptible d'aménagements, comme c'est la cas aujourd'hui puisqu'il me faut bien admettre que pour être efficace, il faut désormais prendre en compte les approches communicantes, les méthodes modernes qui régissent le débat public qui est souvent loin de l'échange d'idées et au plus près des intérêts étroits des individus, des groupes ou des institutions.

La polémique qui a accompagné la tenue de ce salon est là pour soutenir ce que je viens d'exposer. C'est pourquoi, je pense que, malheureusement, le boycott ne pouvait pas être une réponse capable d'éclairer les choses et que la manipulation politique, politicienne, l'étroitesse des motifs ne pouvaient que conduire à le vider de son véritable sens et de son authentique pouvoir : influer sur l'opinion internationale, interpeller les peuples pour que cesse enfin le martyre du peuple palestinien.

Dans ces conditions, il fallait organiser la riposte à ce qui m'apparaît comme une provocation, au vu du contexte israélo-palestinien. Cette nécessité s'imposait aux états arabes comme aux intellectuels de ces pays, à commencer par les écrivains, afin de délivrer un message clair et de faire de cet évènement une tribune pour la cause la plus noble qui soit : la PAIX et l'affirmation que le peuple palestinien a le droit d'avoir un pays qui se développe dans le respect de ses voisins et dans l'affirmation de son identité. Quant à nos intellectuels, il aurait été bienvenu que leur position soit concertée et sans rapport avec les intérêts personnels de tel ou tel !

Force est de constater que malheureusement cette démarche n'a pas prévalu. Le résultat sera donc que le débat a été dévié et que la cause du peuple palestinien comme celle de la paix n'aura pas avancé.

Nous avons donc assisté à l'exposé d'arguments qui n'avaient pour but que de légitimer des choses peu avouables. Fallait-il inaugurer ce salon avec le chef de l'État israélien ? Non, au regard du symbole qu'il supposerait. Était-il normal de privilégier les écrivains de langue hébraïque, alors qu'initialement le projet était autre ? Encore NON et résolument NON, si l'on veut bien admettre qu'aucun choix n'est innocent. En l'occurrence celui-ci était lourd de sens et la France n'avait pas du tout l'obligation de suivre Israël sur ce terrain ! L'ayant fait, elle ne s'honore pas comme ne s'honorent pas ceux qui se réfuigent derrière la césure entre homme de plume et citoyen...

Personne ne me persuadera que la légitimité du boycott est à géométrie variable : vrai, par exemple pour l'Afrique du Sud en son temps et injuste, voire hérétique pour la désapprobation de la politique israélienne aujourd'hui. J'ai vraiment le sentiment qu'aujourd'hui "le marché", les contrats tiennent lieu d'éthique et c'est tout bonnement insupportable.

Enfin, je ne peux terminer ce billet sans dire deux mots par rapport aux positions défendues par deux écrivains que je respecte et que je lis avec admiration. Maïssa Bey qui distingue sa qualité d'auteure et de citoyenne et Boualem Sansal qui Pense que la littérature ne doit pas être concernée par cette histoire. Je suis en désaccord avec eux et je ne doute pas que leur jugement n'a rien à voir avec de quelconques intérêts personnels. Mais je suis aussi surpris si je me réfère à ce qu'il défende si bien dans leurs livres.

Cette affaire aura au moins eu pour moi l'avantage de m'inciter à me documenter plus, à commencer par la fréquentation du blog de Ahmed Hanifi qui publie deux articles de la presse algérienne sur le sujet (L'Expression et El Watan) : http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/. Je ne serais pas complet si je ne signalais pas l'excellent site de Lounès Ramdani, référence pour tout ce qui concerne la littératrure algérienne : http://dzlit.free.fr/ ainsi que le forum qu'il anime : http://groups.yahoo.com/group/dzlit/ où la discussion a été très enrichissante.

Yahia

En clin d'œil, voici un article parlant lui du salon du livre... Algérien !

Le Soir d'AlgérieCulture : 7e EDITION DU SALON NATIONAL DU LIVRE Nous sommes tributaires de notre histoire !

Paradoxe. Comment envisager une quelconque ouverture de l’esprit culturel en Algérie lorsque l’accès au Salon national du livre se fait par un passage obligé et halte au stand dédié au président Bouteflika ? Quelle image offre cette manifestation dont les éditeurs ont choisi de boycotter le Salon international du livre de Paris parce que Israël en est l’invité principal ?

Difficile de croire que la thématique choisie pour ce salon «Ecriture et crise : esthétique ou engagement ?!» reflète la réalité.

Impossible de croire aussi que Mohamed Tahar Guerfi, président du Syndicat national des éditeurs et organisateur du salon, n’était pas au courant de cette initiative. Au-delà, il aurait pu estamper ce miroir qui nous renvoie vers l’amère vérité d’un pays soumis au diktat. Rattraper le coup et placer ce stand de la vénération parmi les autres, au mieux au dernier niveau de la Bibliothèque nationale du Hamma aurait été possible.

Le Salon national du livre à son 7e rendez-vous n’a finalement rien changé au cours de notre histoire. Nous sommes tributaires de cette identité qui à chacune de ces manifestations se retrouve dans la tourmente de la soumission politique. Parvenir à dissocier son appétit politique de celui de la lecture est apparemment impossible. Sinon comment justifier une adoration en grand format du président de la République !

Aller plus loin, avancer dans les allées du Salon du livre ne servirait presque à rien du tout puisqu’au final, la sortie se fera encore par le stand du président Bouteflika. Un stand où deux livres pour une seule écriture flashe le visiteur. Une écriture qui s’apparente à celle d’un vizir pour son roi. Il est donc plus facile d’afficher une position ferme lorsque ça concerne un autre pays.

Au premier niveau, le débat fait rage

Et là, il ne s’agit pas de cautionner ou pas le Salon international du livre de Paris, mais d’une rencontre entre journalistes spécialisés en culturelle et éditeurs. D’ailleurs, la question n’a même pas été envisagée lors de ce rendez-vous précieux.

Cependant, deux camps se sont affrontés dimanche dernier au premier étage de la bibliothèque du Hamma. Des antagonistes qui se rejoignent malgré tout dans un seul objectif : la culture de la lecture. Pour Fodil Boumala, l’animateur de cette manifestation, il est d’abord question d’envisager une solution au manque de communication promotionnelle entre les éditeurs et les journalistes.

Beaucoup de choses ont été dites. Beaucoup de problèmes ont été posés. Chacun y est allé de sa version. De ses convictions et de sa parfaite maîtrise de la chaîne de l’édition freinée par le manque de promotionnel. Le lecteur était cet après-midi-là au centre de toutes les préoccupations. Editeurs et journalistes ont livré franco leurs contraintes et notamment leurs craintes. Ils ont partagé leur désir commun de voir le champs culturel s’épanouir. Certains des présents ont rappelé le confinement intellectuel à celui de l’engagement économique. Le livre a un prix. La promotion aussi. L’un ne pouvant se passer de l’autre, des efforts ont été fournis et des promesses de concessions ont été faites.

De la bande de Gaza à la bibliothèque du Hamma

Ce sont des échos d’une sale guerre qui frissonnent dans un coin de la bibliothèque du Hamma. Des images de Gaza, des victimes mordues par des chiens, massacrées dans un coin de Jérusalem. Des enfants périssent sous nos yeux écarquillés. Mais le choc a déjà lieu. Il y a plus d’un demi-siècle que ça dure. Nous avons déjà vu ces séquences et nous les avons déjà condamnées.

La Palestine, un peuple frère est opprimé au quotidien. Et l’Algérie ne peut pas envisager de marcher sur la mémoire piétinée dans le déroulement du 28e Salon international de Paris. Même si son comité d’organisation réfute la célébration de la 60e année de la création d’Israël. Il s’est justifié simplement par l’élection d’Israël en invité d’honneur après six années d’attente. Pour les éditeurs algériens, les Français ont manqué de tact. Ils ont choisi de célébrer la littérature israélite au détriment du malheur palestinien. Ils ont préféré l’oppresseur. Sa littérature, sa culture et son pouvoir. La France par ses auteurs a choisi librement Israël. L’Algérie par ses éditeurs et ses auteurs continue à soutenir la Palestine.

L’histoire retiendra le discours inaugural d’Ariel Sharon. Un discours empreint de mépris à l’adresse des pays arabes. Comme elle retiendra les propos méprisants de Yasmina Khadra, directeur du Centre culturel algérien à Paris. Un vis-à-vis, trompe-l’œil, l’auteur de L’Attentat se fourvoie dans son rôle. Il en oublierait même son passé d’écrivain à controverse.

Sam H. lesoirculture@lesoirdalgerie.com

Source de cet article : http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/18/article.php?sid=65853&cid=16