La médina de Constantine
Souika, une ville séculaire au bord du ravin
«à tout jamais, ma ville s’est réfugiée derrière l’image qu’on s’en fait. Concédant une attitude et tolérant une silhouette, jalon entre deux infinis, elle veille sur le passé, et, relais du soleil, elle monte la garde au pied des espérances. Elle est une présence, elle est un rêve qui continue.»
Malek Haddad, Une clé pour Cirta, 1965
Pour le commun des Constantinois, l’accès vers le vieux quartier de Souika passe inévitablement par une halte à Bab El Djabia. Un lieu hautement symbolique qui abritait l’une des portes de la ville du Vieux Rocher, où une source émergeait des entrailles de la terre et ramenait l’eau à la cité. Certains trouvent une explication au mot
El Djabia : celle qui apporte l’eau. Comme pour le Tout-Constantine, les odeurs de Souika vous accueillent, vous accompagnent, vous poursuivent, vous prennent à la gorge ; on les reconnaît avant d’avoir fait deux pas, elles vous portent sur les nerfs et vous soulèvent le cœur, pour paraphraser le personnage du roman Ezzilzel (le séisme) de Tahar Ouatar, Cheikh Abdelmadjid Boularouah.
Par ces chaudes journées de juillet, les ruelles étroites de ce «petit souk» offrent une fraîcheur tant recherchée par les amateurs des escapades dans le passé. A la rue principale Mellah Slimane, ex-rue Perregaux (pour les anciens de la ville), le décor n’a pas beaucoup changé depuis les dernières décennies. Les marchands de fruits secs n’ont pas quitté les lieux, en dépit des travaux de rénovation de quelques anciennes maisons. Des travaux qui durent toujours. «Pendant le Ramadhan, ou autres fêtes religieuses, Souika devient La Mecque des Constantinois, ceux désireux de trouver quelque chose d’original, d’authentiquement ancien, ou ceux à la recherche d’occasions rares à des prix intéressants ; mais ses enfants, ceux qui l’on quittée pour d’autres cieux, y reviennent souvent s’y ressourcer, comme pour un vrai et éternel pèlerinage», dira Ammi Saïd, un enfant de cette cité.
Lui, par contre, il n’a jamais pensé un seul jour la quitter. Malgré la concurrence qui lui est livrée par d’autres quartiers, Souika, où chaque pavé a une histoire à raconter, demeure un haut lieu du commerce, où se mêlent, paradoxalement, légal et informel. Sa particularité est cette suite interminable de petites boucheries qui côtoient, sans encombres, depuis Bab El Djabia jusqu’au Chatt, les petites épiceries, les vieilles échoppes où l’on vend de tout, mais aussi les petites boutiques de torréfaction et autres herboristes. Tout le monde y trouve son compte et son espace, y compris les vendeurs d’abats, de merguez, pizza et mahdjouba. Même les bouquinistes et les vendeurs d’antiquités ont une place au soleil. Souika est un véritable petit espace cosmopolite riche par ses lumières, ses ombres, ses anciennes maisons, défiant le temps, et qui descendent en cascades pour narguer le ravin, ainsi que ses innombrables curiosités qui n’échappent pas aux regards «fouineurs».
Sur les traces des saints
Décrite comme une presqu’île originelle sortie des entrailles du rocher, quartier pittoresque en dépit des sévices du temps et de l’ingratitude des hommes, Souika demeure toujours le cœur palpitant de Constantine. Elle puise surtout sa sacralité dans un privilège qu’on ne trouve pas dans d’autres quartiers de la ville des Ponts, privilège attribué par la proximité du mausolée de Sidi Rached, le saint patron qui veille sur la ville, et qui est enterré à quelques mètres, en contrebas du fameux pont éponyme ; cependant, l’histoire et la vie de ce dernier demeurent, à nos jours, entourées de mystères.
Souika, qui attire pèlerins, touristes, simples badauds, chercheurs, artistes et autres curieux et nostalgiques en quête de souvenirs et de repères, est aussi riche en vestiges historiques et architecturaux, qu’en monuments inspirés de la civilisation musulmane et des lieux de culte : la mosquée Sidi Afane (un autre saint de la ville), construite à la fin du XVe siècle, située à quelques mètres de Kouchet Ezziat, une petite placette qui abrite à proximité d’un passage voûté (appelé Sabat) la maison de Daïkha, la fille d’Ahmed Bey, la rue Benzegouta (ex-Morland) en direction de la rue Abdellah Bey, plus connue par Essayeda, en référence à Sayeda Hafsa, dont une mosquée située dans les lieux porte le nom, et aussi un autre lieu de culte, Sidi Moghrof.
Ce dernier est un autre saint dont on ignore aussi l’histoire, et même l’origine de son nom. De là, en traversant le lieudit Zenqet El Mesk, les pas nous mènent forcément vers la mosquée de Sidi Abdelmoumène, une halte inévitable pour les fidèles de ce lieu vénéré, qui côtoie lui-même deux zaouias : Sidi M’hamed Ennedjar, fermée depuis des lustres, et Bouabdellah Cherif, lieu de rencontre préféré des adeptes de la confrérie des Aïssaoua. Au même titre que celles des Taybia, Rahmania, Tidjania et Qadiria, les zaouias sont profondément enracinées dans les traditions des Constantinois. Chaque coin de Souika recèle une histoire tout aussi fabuleuse que la précédente. Comme par superstition, les visiteurs, ici, ne reviennent jamais sur leurs pas : ils traversent le quartier afin de profiter de cette longue venelle, d’un bout à l’autre. Une si longue traversée exige que l’on s’y prépare, il faut donc avoir du temps pour découvrir chaque pan de cette petite cité : ses bains, ses cafés maures, ses fontaines, ses sabats, ses placettes et ses ruelles enchevêtrées. Le visiteur aura toujours le sentiment de vouloir revenir un jour. «A Souika, les gens sont des êtres inassouvis, car ils sont à la recherche de choses enfouies dans la mémoire collective, bien que les anciens et tous ceux qui ont vécu l’âge d’or de ce quartier, le plus mythique des quartiers érigés au cœur de la vieille ville, sur l’un des versants les plus escarpés du Vieux-Rocher, disent aujourd’hui qu’il a perdu son âme et toute la magie d’antan», regrette ammi Saïd.
Arslan Selmane
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