mardi 9 août 2011

Najia Abeer (1948-2005) : une auteure constantinoise et poétesse

Les * renvoient aux explications en fin de poésie 

Dans l'ombre bleue de tes ruelles

Sommeillent mes rêves

Glissent mes pas

De Sidi Rached à Sidi Bouannaba

Sillonne mon sourire dans les méandres d'un rire

Cuivré

Blotti au fond d'un atelier

Enjouement d'un maillet danseur

Sur le bord d'un s'ni*

Ruisselle l'eau de fleur d'oranger.


Oranges amères

Roses perlières

Gouttent d'un distillateur

Rouge cuivré.

Mousse rose de mon enfance

A une gouttière cendrée

Suspendue

Lèvre rose souriante.


Toits rouges de désir

De soleil et d'azur, voici :

Un pan de firmament

Entre deux minarets, coincé

Sidi Lakhdar, embaumé.


Voilà

Un chaud rayon débrouillard,

Lézard

Cent fois centenaire, toujours étonné

Noyé, heureux, dans le nil* de tes pierres

De plaisir frissonnant

Fier.

Yeux turquoise d'un zélidj*

Du Wast ed Dar*, où, dans le zigzag de son souffle

La fontaine

Chuintements

Murmures

Quiétude intime d'un hammam en fleurs

Henné à l'eau de rose sous le nacre d'un qabqab*

Dans une paume fiévreuse, l'ambre d'un s'khab.*

Yeux vermeille d'un zélidj

D'un arc-en-ciel volé

Du Wast ed Dar

L'arôme poivré d'un café dans la cendre endormie

Brasero en quête de fraîcheur

Ebloui.

Femmes, faites tinter vos r'dif*

Agitez votre khalkhal*

Ce soir, nous irons compter les étoiles

De la fenêtre

Du menzeh.*

Les petites, les grandes

Les plus proches, les plus éloignées

Les filantes, les voilées

Puis, nous irons nous les partager

A égalité.

Que vos rires en cascades roulent jusqu'à la s'qifa*

Que vos velours génois étales

Montrent l'or de vos doigts !


De Sidi Bouannaba à Saïda

Sillonne mon sourire dans les méandres d'un rire

Doré

Blotti au fond d'un atelier

Ballade d'une aiguille trotteuse

Brodeuse

Qattifa annabi.*


Sillonne mon sourire dans le creux d'un rire

En offrande argentée

Pour ce pan de mur

Mille baisers

Milles bras embrassés.


Du Chatt à El Bat'ha

Sillonne mon sourire dans l'éclat d'un rire

En échos

Dispersés.


Sillonne mon sourire dans la joie d'un rire

Aux senteurs de henné

Dans une main câline

Du haut d'un quinquet

Sourire d'une Médine

A ne jamais offenser

Oublier


Amis de Constantine

D'hier

D'aujourd'hui

Entendez-vous ces bruits ?

Cliquetis de chenilles

Les monstres de la nuit.


Pour ce pan de mur nili*

Milles baisers

Mille bras embrassés.


S'arrête mon sourire dans l'agonie d'un rire

Trahi.


Najia Abeer, 11/04/05

* S'ni : grand plateau en cuivre pour les repas



* * Nil : indigo


* Zélidj : carré de faïence mauresque


* R'dif :  bracelets en or à tête de serpent portés autour des chevilles


* Khalkahl : autre appellation du r'dif


* Menzeh : grenier dont l'unique fenêtre s'ouvre sur un toit


* S'kifa : entrée d'une maison de la Souika


* Qabqab mules en bois, souvent décorées de nacre, portées dans les hammam


* S'khab : long collier fait de plusieurs rangs de perles d'ambre étranglés par espaces réguliers de tubes en or ciselé


* Wast ed Dar : patio central de la maison


* Qattifa annabi : velours couleur de jujube


* Nili : couleur indigo


Lettre à Constantine

J’ai réussi à rattraper un pan de ton histoire Constantine. Et dire que tu avais failli m’échapper !

Avec tes amis, aujourd’hui, une nouvelle histoire commence.

Ma Belle, de moi, tu n’en auras plus assez.

Cette fois, je promets.

Enfin Constantine, tu m’as rendu mes amis, mes voisins, ma maison.

Mieux encore, tu m’en as offert d’autres.

L’exilée, c’est ainsi que me nomme mon père.

L’exilée, c’est ainsi que je me voyais.

Me reconnaissais.

Je ne le suis plus, enfin !

Depuis que je suis revenue au pays

J’ai compris.

Je t’aime toi, vieux Rocher

Ta barbe couleur rouille, henné, s’en va puiser sa sève dans cet oued qui t’enlace depuis une mémoire aussi profonde que tes gorges.

Ô combien de fois j’ai tenté l’approche, le retour.

Et toutes ces fois tu n’as pas daigné me regarder.

Je ne voulais pas plus d’un bras, d’un simple geste.

Un regard aurait suffi.

Et j’aurais avancé.

Non, pas une fois tu m’as regardée.

Puisque je te le dis !

Ne t’en fais pas ma Belle, ne t’excuse pas.

Je sais.

Tu aimes trop tes enfants.

C’est moi qui cherche à me faire pardonner.

Tu dis m’avoir cru partie pour toujours ?

Et bien, pour une fois, tu te trompes Constantine.

Je t’aime moi aussi, toi, vieux Rocher

Solitaire qui porte mon monde en chapeau.

Je te fais la révérence

Et dépose le reste de ma vie à ton pied.


Najia Abeer

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour
Je suis ravie de lire ces vers,je leur trouve une grande sensibilité j'espère qu'un jour les poêmes de Najia Abir seront édités,merci