mercredi 3 août 2011

Il l'aimait (5)

Dans une Algérie retrouvée…


La retraite sonna enfin à sa porte et l’espérance, née de la défaite des islamistes, répondit présente à l’appel des Algériens. Rien ne pouvait plus l’empêcher d’y aller : une lettre à son ami Mourad, des contacts pris grâce à Internet, des retrouvailles sur le Net et le voilà, les valises à la main, accompagné de son ami d’enfance, né dans cette rue Sassy qui l’a vu venir au monde, au bord de l’abîme, à Marignane, impatient de monter dans cet avion et de débarquer au bled pour un mois ; un mois de renaissance, un mois décisif pour la conduite de sa vie.

Enfin il trouva la paix de l’âme. Un jour du mois de mai, alors qu’il se baladait avec ses amis, il réalisa que cette fois, il avait apuré les comptes avec le passé. Il se situait désormais dans cette Algérie bouillonnante, celle qui se reconstruisait qui permettrait de voir le lendemain avec espoir. Bien que rien ne soit joué, il eut la conviction profonde que ce combat serait gagné, malgré les lourdeurs, les séquelles de la terrible période passée. Il vit dès lors, SA ville différemment, il ne la sublima plus et s’inscrivit définitivement dans son histoire, tout en voulant vivre son avenir. C’est à ce moment-là de son périple qu’il acquit la conviction qu’il lui fallait obtenir la nationalité algérienne.

En rentrant en France, il prit sa plume et écrivit à ses frères Constantinois. Il leur dit combien Ksentina, qu’il vient de quitter lui manque. Elle lui a donné tant de bonheur, offert une telle bouffée d’oxygène, l’a tellement considéré comme un des siens de toujours. Bref, il lui doit tant…

Oui, il lui faut retrouver les futilités, les faux débats, l’hypocrisie, les mauvaises certitudes des occidentaux. Il tellement bu à sa fontaine pour calmer sa soif de souvenirs. Il a tellement arpenté ses rues chaque jour, à la recherche de choses enfouies ou à la découverte de lieux ignorés. Il a tellement partagé le quotidien de ses habitants. Il a tellement été enivré par sa musique et ébloui par sa beauté. Tellement qu’il ne peut plus s’en passer. Tellement qu’il ne pourra plus jamais rester longtemps loin d’elle.

Et lui, le frère qui l’a reçu sans se poser de questions, il ne lui dira jamais assez ce qu’il lui doit.

La première chose qu’il lui a rendu, c’est son algérianité, sa qualité de Constantinois à part entière. Lorsqu’il lui était présenté, il répondait « Bienvenue dans TA ville ! » et ses yeux brillaient du bonheur de celui qui retrouve un ami disparu.

Le second trésor qu’il ramène, c’est la générosité de celui qui a encore tant de mal à bien vivre. Elle est sans limite. Pour l’invité, tout est possible, il n’a qu’à parler ! Belle leçon pour les donneurs de leçons qui n’ont jamais le temps, ou une bonne excuse pour ne pas s’attarder… Générosité matérielle qui fait qu’un inconnu offre à déjeuner à ces curieux passants, mais aussi affective lorsque « la Mama » de la famille, sèche ses affaires, après le hammam, comme elle le fait pour son propre fils. Plaisir de recevoir, en concoctant les meilleurs plats de fête pour satisfaire le convive. Plaisir de montrer sa ville en se mettant à l’entière disposition du promeneur.

Le troisième c’est la vie, les relations sans faux-semblants, la spontanéité des rapports, la simplicité et la volonté d’aller à l’essentiel, au vrai et non aux apparences. Quel bonheur d’avoir des rapports débarrassés des calculs et des manœuvres si communs en Occident ! Quelle sérénité retrouvée, lorsque l’on ne se dit pas « Mais que vont-ils dire derrière moi ? ».

Il est arrivé dans cette belle Cirta avec plein de questions, d’incertitudes. Il ne savait pas s’il était vraiment un des fils de la Cité des Ponts, parmi tous les autres, même si c’était sa volonté. Il se questionnais sur l’opportunité de revendiquer la nationalité algérienne. Il craignait pour l’avenir de cette Constantine chargée d’Histoire. Il avait la crainte que son affectif n’ait enjolivé ses souvenirs et rendu ses aspirations irréalistes.

Il en est reparti avec une sérénité inconnue jusque là : oui, il était bien un fils de Constantine à part entière et les Constantinois le lui ont fait savoir avec force. Oui, il peut revendiquer la nationalité algérienne, étant né sur ce sol de mélange des Cultures. Oui, il est possible d’aider la ville des ponts à se sauvegarder. Sur place, nombreux sont ceux qui y sont sensibles. Il suffit d’intervenir en gardant sa place et de travailler inlassablement au rapprochement des Peuples et au développement de la Culture. Oui, l’Algérie a grandi. Le Peuple a retrouvé son Histoire, il sait que son avenir dépend de son action. Demain, après-demain, une vie politique plus soutenue, plus libre est possible. Le danger de l’extrémisme est semble-t-il passé, pour l’essentiel, et la vigilance extraordinaire du Peuple lui donne confiance en l’avenir.

Des questions restent posées, bien entendu. Tout n’est pas encore satisfaisant et sans doute qu’il faudra encore beaucoup d’efforts et beaucoup de courage à ses frères et sœurs Algériens pour avancer dans la construction d’une Nation plus juste, plus démocratique et plus solidaire. Mais il a la certitude que cela se fera.

Certitude renforcée par ce qu’il a pu observer, durant un mois. Lors de son premier séjour en 84,il était effaré par la volonté de ne pas parler de l’Histoire. Il était inquiet et, malheureusement les évènements ont montré que ses craintes étaient fondées. Aujourd’hui, Ksentina, sa belle Cirta, est une femme mûre. Elle a un passé et elle l’assume. Avec elle, il a pu parler du passé et donc de l’avenir. Il a pu parler de l’actualité et il a pu comprendre ce qui lui paraissait obscur depuis l’autre rive.

Constantine, il a arpenté ses rues mille et mille fois, sans fatigue, le cœur en fête, toujours prêt à rencontrer ses habitants si chaleureux. Il a croisé un monde incroyable. Il a vu combien la vie était au fond de ses entrailles et ses yeux gourmands ont remarqué combien les femmes de Constantine étaient jolies. Pourtant, nombre d’entre elles portaient le hidjab. Ces femmes fières et droites avec ou sans hidjab affichaient leur dignité et leur liberté. Elles tenaient leur mari ou leur ami par la main, comme pour dire « Vous voyez bien qu’on existe ! ». Merci de cette belle leçon, il saura en faire profiter ceux qui veulent bien entendre.

Une mention particulière pour toutes les femmes algériennes et plus exactement pour les Constantinoises pour leur courage hors norme, leur fierté et leur dignité. Elles donnent à distance, une belle leçon de vie et de ténacité à tous ces monopolisateurs de parole de cette France ignorante et stupide qui parle à tort et à travers de Hidjab sans un seul moment vouloir voir la réalité de la condition féminine algérienne telle qu'elle est, dans toute sa complexité. Désormais, une émancipation saine, aux couleurs algériennes, dans une liberté retrouvée, après la décennie noire, avec le simple respect des traditions qui font la richesse de ce Peuple qui retrouve, aujourd'hui, la voie de la modernité, sans un seul instant céder sur l'essentiel, l'algérianité, est possible.

« Messieurs les politiques de tout poil, Messieurs des médias, vous pouvez manœuvrer, cacher la réalité, instrumentaliser autant que vous le voulez, mentir à dessein, prétexter de la Laïcité (si seule, lorsqu'elle avait besoin de vrais militants !), vous n'arriverez pas à décourager ce Peuple droit dans ses bottes et les Français seront assez intelligents pour rétablir la vérité ! » Voilà ce qu’il veut crier.

Constantine, qui grandit en taille. Où va-t-elle s’arrêter ? Sa ville nouvelle est déjà énorme. Les constructions fleurissent partout. Quelle est la maison individuelle qui n’a pas son étage prêt à être surhaussé ? C’est stupéfiant. Les problèmes urbains ne sont pas simples à régler, en commençant par la circulation démentielle, à longueur de journée. Il s’est laissé dire qu’on allait creuser ses entrailles pour faire des tunnels, afin de décongestionner, puisque l’on ne peut pas élargir les voies existantes. Pourquoi ne pas rendre piétonnier, tout le vieux centre-ville ? En effet, les rues ne peuvent plus accueillir piétons et voitures sur la chaussée. Flâner dans ton cœur devient très sportif !

Et puis il y a ce projet de téléphérique qui partira des environs du lycée Redha Houbou, au bord de l’abîme, pour plonger sur Bab El Kantara et continuer jusqu’au Mansourah. Projet initié en collaboration avec Grenoble, ville jumelée, dont le savoir n’est plus à prouver.

« Souika, si belle et si malade, tu perds pied et tu m’as accueilli avec Najia, mon amie écrivaine qui te raconte si bien. Comme deux moineaux, nous avons quitté la murette pour aller t’explorer, te retrouver, enfin te découvrir. Tes maisons s’effondrent inexorablement. Comment accepter que ce glorieux passé soit englouti ? »

Il va falloir patienter encore un peu, des médecins compétents vont bien arriver à consolider ses assises ! D’ailleurs ça n’est pas le seul quartier concerné. Il a vu ses plaies au quartier Saint Jean. Un trou béant remplace désormais l’immeuble qui faisait le coin du boulevard et de la rue de Verdun. Et puis, derrière, cette école Gambetta qui s’est écroulée voilà 2 ou 3 ans, sans faire de victimes heureusement… Oui, il faut une ordonnance prioritaire et que les hommes de l’Art spécialisés se penchent sur son cas. Ses habitants sont inquiets et malgré les constructions tous azimuts, les solutions de relogement manquent. Comment faire accepter à une famille de 10 membres ou plus qui disposent de 5 ou 6 pièces actuellement, un déménagement pour un 3 pièces en immeuble ? D’autre part, comment les Pouvoirs publics peuvent-ils accepter que la vie des habitants soit en danger ? Il est donc urgent que les solutions soient trouvées : canalisations vieilles de 120 ans qui ravinent le sol, maisons dangereusement bâties sur des gravats, au bord du précipice, maisons qui subissent la poussée des bâtiments voisins lézardés, glissements de terrain dus à la géologie, etc…

Malgré tout, Constantine chante, fait la fête. Pas moins de trois festivals en 2 mois. Des expositions dans une des salles de Khalifa, la Maison de la Culture. Des spectacles au théâtre avec Salim Fergani et d’autres artistes, y compris irakien joueur de luth de génie : Nassir Shamma. Aujourd’hui on ose même des projections de film comme celle de « Viva l’Aldgérie » de Moknèche. Quel bonheur quand on pense que les barbus voulaient éradiquer le septième art du territoire algérien ! Il a même pu profiter d’un salon de l’Artisan d’Art qui se tenait à Malek Haddad, superbe complexe culturel qui a aussi accueilli un festival de Jazz particulièrement riche. Il a eu la chance d’y découvrir le groupe « Ahl El Beit » qui réalisait sa première scène et qui n’a toujours pas enregistré. Ce jazz fusion, métissé avec toutes les couleurs de la musique algérienne : un vrai régal !

Elle chante et elle joue cette belle musique constantinoise, le Malouf, par l’intermédiaire de ses associations qui font vivre cette musique académique, une des marques de reconnaissance de Ksentina, mais aussi une marque de noblesse. Il a pu entendre, pendant de longues heures, sans avoir épuisé le sujet, de nombreuses associations comme Icshbilia, Maqam, Bestandjia, Mouhibi El Fen, L’Étoile de Cordoba, etc… Il a rencontré les grands maîtres du Malouf qui mettent leur savoir à la disposition des jeunes : Cheikh Darsouni, impressionnant d’autorité et de savoir, Cheikh Bentobal, gardien de la musique nationale algérienne et véritable guide des jeunes enfants qui fréquentent Bestandjia et Cheikh Toumi, 98 ans qui reste passionnant dans ses récits et sa profession de foi sur la musique Malouf.

La jeune génération du Malouf est là et bien là, prête à prendre le relais et à permettre à cette magnifique musique savante de vivre des millénaires encore.

Il est rassuré sur la survivance de cet art qui, jusqu’à présent, s’est transmis de génération en génération par la voie orale. Rassuré, car des musiciens, des musicologues pensent à laisser des traces écrites, sans rien enlever à la pureté de cette musique. C’est ainsi que Maqam organise pour la troisième année un forum sur le Malouf, en septembre prochain. C’est ainsi que d’autres pensent à laisser sur « galettes » des enregistrements inédits ou à transcrire les poésies qui accompagnent la musique et mieux encore, à mettre sur des portées les noubates qui existent encore. Important si on réalise que 12 sur 24 ont disparu, au fil du temps…

Il a aussi été très impressionné par la soif de savoir et d’apprendre de la jeunesse qu’elle soit à l’école ou à l’université. Lorsque l’on pénètre sur le campus de l’université de Mentouri, on entre dans une véritable ville : 12 campus universitaires pour 8 facultés, 51 981 étudiants pour 1954 enseignants. Il est surprenant, pour un occidental d’y voir des étudiants studieux, sachant allier discussions et travail qui respectent les locaux et le matériel mis en commun. On se sent porté par une atmosphère saine, calme, dans un environnement pourtant chargé. Les rapports avec les professeurs sont très simples et marqués par le respect. Quant au rapport entre les enseignants et la hiérarchie, on est très loin des phénomènes de pouvoir que nous connaissons bien, trop bien.

La soif d’apprendre est décelable très tôt, dès l’école primaire et elle s’accompagne d’une autonomie très importante des jeunes élèves. Tout le monde étudie et a envie d’étudier, sans se soucier de la pertinence ou non du système éducatif. Y compris dans les familles modestes, on emmène ses enfants très loin et les carrières de médecins, avocats, architectes, etc… sont très prisées, pratiquement sans distinction de classe sociale.

Il existe une formidable énergie, trop souvent ignorée ou mal utilisée, pour la reconstruction du pays et sa marche en avant.
Enfin, il a circulé dans les rues de Constantine, tous les jours, pendant un mois. Il n’a jamais été en insécurité, même lorsqu’il était seul. La présence policière est importante, mais elle suffit à garantir la sécurité des citoyens. Il fut étonné dans un premier temps, d’autant que les intellectuels appuyaient cette présence. Au fil des jours, il a compris que c’était un facteur essentiel de calme dans la ville. Il a croisé des islamistes, encore que peu nombreux, mais leur attitude discrète permettait de comprendre qu’ils étaient rentrés dans le rang, depuis assez longtemps. Reste la délinquance ordinaire, comme dans toutes les grandes villes, d’autant qu’il faut compter sur 850 000 habitants pour l’agglomération de Constantine.
« Tu vois, Ksentina, j’en ai ramené des souvenirs et des enseignements ! Je ne cesserai de faire ta promotion, car vois-tu, chère amante, tu es et tu resteras à jamais la plus belle ville du monde, perchée sur ton rocher, s’offrant à la vue de tous et réservant tes douceurs pour l’invité. Attends-moi, j’arrive ! »

A suivre...

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